Ethnobotanique : interview avec Richard Arnoldi (abonnez-vous au podcast ici) :
Présentation de Richard
Retrouvez Richard sur son blog ici.
« Bonjour, je suis aujourd’hui avec Richard : . Richard est enseignant à l’École Lyonnaise des Plantes Médicinales, il est botaniste et il a développé une expertise dans l’ethnobotanique, et c’est ce dont on va parler aujourd’hui.
Alors qu’est-ce que c’est l’ethnobotanique ? À quoi ça sert ? Et pourquoi on est tous les deux aussi intéressés par ce sujet ? C’est ce dont on va parler aujourd’hui.
Bonjour Richard !
RICHARD :
- Bonjour Christophe !
CHRISTOPHE :
- Je te remercie d’être passé ici pour cette discussion !
RICHARD :
- Mais c’est avec grand plaisir ! Merci de m’avoir invité !
CHRISTOPHE :
- Mais je t’en prie. On va commencer par parler un petit peu de toi si tu veux bien, Richard. Aujourd’hui tu te passionnes de botanique, d’ethnobotanique aussi. Tu enseignes différentes choses à l’école des plantes médicinales de Lyon, la botanique, l’écologie, et maintenant ce nouveau cours : l’ethnobotanique. Tu as un parcours qui me semble quand même assez atypique !
RICHARD :
- Eh bien je pense que c’est le cas pour beaucoup de personnes qui travaillent dans ce domaine, d’avoir des parcours qui sont assez atypiques.
CHRISTOPHE :
- Oui, c’est vrai, on a un petit peu zigzagué avant d’en arriver aux plantes médicinales.
RICHARD :
- Oui, tout le monde a cherché un peu sa voie.
CHRISTOPHE :
- Toi tu as démarré dans l’économie et la finance, tu as travaillé pour des banques, ensuite tu as étudié la science et la biologie. Tu as travaillé pour un laboratoire pharmaceutique ?
RICHARD :
- Oui c’était de la pharmacovigilance.
CHRISTOPHE :
- Oui pharmacovigilance, et puis après tu t’es dirigé vers les plantes médicinales. Comment tu as fait cette reconversion ? Est-ce que les plantes médicinales c’est un amour qui date de très loin ?
RICHARD :
- Oui, je pense que je suis tombé dedans quand j’étais petit. Je suis fils de paysans de montagne d’origine italienne, donc j’ai grandi et baigné dans l’utilisation des plantes médicinales, culinaires, les histoires qui tournaient autour des propriétés des plantes, leur symbole, des contes,… Et du coup ça représentait un peu le quotidien de mon enfance, même si j’ai grandi en ville (je suis un citadin, concrètement), mais tous les week-ends on allait cueillir des plantes, tous les week-ends on allait faire des cueillettes, toutes mes vacances je les passais à la montagne avec les grands-parents, où je baignais dans cet univers.
Donc on va dire que je suis parti de cette façon-là, mais après la vie fait que l’on prend d’autres routes. J’ai effectivement travaillé pendant des années dans la finance, mon quotidien c’étaient les actions, Wall Street, acheter et vendre, jusqu’à mes trente ans. À trente ans j’ai eu l’appel de la forêt, ou peut-être plutôt la crise de la trentaine ! Et j’ai ressenti le besoin de revenir à des valeurs qui me correspondaient davantage. Alors j’ai recommencé des études.
J’ai commencé à me former d’abord en m’inscrivant en faculté de biologie, ensuite, en m’orientant davantage vers la botanique, l’ethnobotanique. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à développer une idée autour de l’ethnobotanique, j’ai fait notamment une classification des enquêtes ethnobotaniques alpines. Je m’orientais tranquillement dans cette voie, et je te le donne en mille : on m’a fait gentiment comprendre que l’ethnobotanique ça n’intéressait personne, que ça n’était pas une science,…
CHRISTOPHE :
- Qui a dit ça ? Qui est-ce qui t’a découragé ?
RICHARD :
- Disons que c’était une période où l’intérêt pour les plantes médicinales n’était pas aussi important qu’aujourd’hui et on voyait plus l’aspect lié à la botanique plutôt que l’aspect un peu « remède de grand-mère » qui était rattaché à l’utilisation des plantes. Du coup j’ai changé mon fusil d’épaule et j’ai continué la recherche, cette fois en faculté de médecine, en travaillant sur le cytosquelette, donc rien à voir avec les plantes ! Et ensuite en pharmacovigilance. Mais au fond de moi il y avait toujours une certaine envie de revenir au monde des plantes à un certain moment.
Et c’est à travers l’École Lyonnaise des Plantes Médicinales que je suis revenu aux plantes par ce biais, à travers l’herboristerie, et puis ensuite l’enseignement de la botanique, et progressivement la mise en place d’un module d’ethnobotanique.
CHRISTOPHE :
- Ah vraiment je trouve ça génial ! Tu as connu ça dans ton enfance, tu t’es séparé de ce sujet qui te tenait à cœur mais que tu ne réalisais probablement pas à l’époque… On pourra y revenir un peu plus tard car ça me rappelle un peu mon histoire mais, pour en revenir à la tienne, il me semble que c’est une enfance assez géniale que tu as eue ! Est-ce que tu as des souvenirs de sorties avec la famille, peut-être à ramasser certaines plantes culinaires pour faire des préparations ?
RICHARD :
- Oui alors c’était chaque week-end, typiquement, choses dont je me rappelle le plus souvent, ce sont les salades de printemps, où ça commençait par les pissenlits, l’ail des ours, les silènes, les chénopodes,... En fait, chaque sortie était un prétexte pour ramener quelque chose, à chaque fois c’était lié à un usage, le plus souvent alimentaire plus que médicinal.
CHRISTOPHE :
- Et ce savoir, tes grands-parents l’avaient obtenu de leurs parents et leurs
grands-parents ?
RICHARD :
- Oui de bouche-à-oreille, de façon tout à fait normale et naturelle, comme si tout le monde était au courant de ces usages, le quotidien de nos sociétés jusqu’à il n’y a pas si longtemps.
Définition du terme ethnobotanique
CHRISTOPHE :
- Une époque… On va peut-être reparler de pourquoi on a cassé ce lien à un moment de notre histoire.
On va parler d’ethnobotanique aujourd’hui, j’aimerais qu’on définisse quelques termes d’une manière simple. Ethno/logie, botanique, ethno/botanique, comment est-ce que tu nous définirais ces termes ?
RICHARD :
- Effectivement on a toujours la volonté de tout classer, tout définir, tout bien mettre dans des tiroirs, ce n’est pas toujours facile et il y a beaucoup de possibilités, beaucoup de suggestions. Pour ma part je suis pour faire des définitions les plus simples possible, et plus larges possible.
L’ethnologie c’est une science humaine qui étudie, collecte, et cherche à comprendre les savoirs culturels des groupes humains. Donc qui tourne autour des savoirs humains.
La botanique, c’est une science qui étudie les végétaux.
Et l’ethnobotanique c’est mettre les deux ensemble, c’est l’étude des relations entre les hommes et les plantes. Ça peut être très vaste : quand on offre un bouquet de fleurs c’est de l’ethnobotanique, parce qu’autour d’un bouquet de fleurs ça a une signification, ça a un message,…
CHRISTOPHE :
- C’est un rituel, c’est une habitude…
RICHARD :
- Je pense que si on offre un bouquet de roses rouges ça n’a pas la même signification qu’un bouquet de chrysanthèmes, c’est lié à des habitudes et à des fêtes culturelles, et non pas à une propriété de la plante en elle-même.
CHRISTOPHE :
- Voilà, une propriété qui est devenue presque la caractéristique qui décrit la plante médicinale aujourd’hui : c’est-à-dire que le millepertuis c’est devenu de l’hypericine et de l’hyperforine, alors que d’un point de vue ethnobotanique on redécouvre le millepertuis comme il était inscrit dans nos coutumes, nos habitudes. Donc c’était une des plantes de la Saint-Jean, à la Saint-Jean il y avait des coutumes, c’est à ce moment-là qu’on ramassait le millepertuis, qu’on le transformait peut-être, tout ça était intégré dans toute une culture.
RICHARD :
- Tout à fait, aujourd’hui on retient souvent la plante comme étant un support de principes actifs, mais il faut penser qu’avant ça s’inscrivait dans le quotidien des gens, souvent relié à des fêtes religieuses, à des périodes de l’année, à des périodes liées à la moisson, ou aux semis. Et par exemple les « plantes de la Saint-Jean » ça représentait les plantes qui étaient ramassées à la période de la Saint-Jean, qui était la période à laquelle on fêtait le jour le plus long, la fête du soleil, et traditionnellement selon les différentes coutumes, on avait l’habitude d’aller ramasser des plantes de la Saint-Jean la nuit précédente, qu’on mettait à macérer dans l’eau pendant la nuit pour ensuite le matin, soit boire cette eau, soit se laver le visage, ou se laver les parties douloureuses, ce qui permettait de soigner, guérir, et se purifier. On a dénombré de nombreuses plantes de la Saint-Jean. Dans les enquêtes ethnobotaniques on a probablement une centaine de plantes qui ressortent comme plantes de la Saint-Jean, finalement c’est toutes les plantes qu’on pouvait trouver autour de chez soi à cette période.
L'importance du rituel autour du remède
CHRISTOPHE :
- Je trouve ça assez fabuleux de revenir à ces choses simples, à ces gestes simples, de réapprendre à trouver la plante dans la nature, à la cueillir avec respect, dans une grande éthique, bien sûr, de la ressource naturelle, pour que les générations suivantes puissent en profiter ; puis de l’inclure dans cette série de rituels qui fait qu’au final le pouvoir de la plante qui guérit, n’est-ce pas en partie dû à tout ce qu’il y a autour de la plante elle-même, de toutes ces traditions ? Certains appelleront ça « effet placebo », certains appelleront ça une certaine « énergétique », quel qu’il soit est-ce que tu penses qu’il pourrait y avoir un effet de soin qui soit dû à ce grand tout autour de la plante ?
RICHARD :
- Certainement ! Aujourd’hui on a retenu l'aspect scientifiquement démontrable en parlant de façon négative de l'effet placebo, mais finalement le processus de soin (qu'on retrouve dans beaucoup de cultures) allait au-delà de simplement la consommation d’une plante pour ses principes actifs, il s’inscrivait dans une démarche qui demandait d'aller sur le terrain, de ramasser la plante à un certain moment, en suivant certains rituels, souvent accompagnés de prières.
C’est cette démarche qui probablement aidait le processus de guérison et permettait finalement à la personne de retrouver un équilibre, parce que souvent on considérait que la personne qui avait une maladie avait une situation de déséquilibre, et la plante permettait d'accompagner la personne dans ce processus de rééquilibrage.
CHRISTOPHE :
- À ta connaissance, dans les observations ethnobotaniques qui ont été faites dans différents pays, est-ce qu'on retrouve toujours cette notion qu'on retrouve beaucoup chez les peuples premiers, de ramasser la plante en conscience, de remercier la nature de ce qu’elle nous offre ? Est-ce que c'est une base commune, basé sur ce que tu as vu ?
RICHARD :
- Oui, ce qui était dans la conception qu'on a un petit peu oubliée, c’est que l'Homme et les plantes font partie du même écosystème, et que demander de l'aide à une plante s’accompagne du remerciement, du respect, et que souvent le fait d'avoir un déséquilibre, le fait de s'éloigner de la réalité, faisait sortir la personne de sa communauté et la faisait sortir du monde naturel. Finalement l’aide de la plante c’était de pouvoir réintégrer ce monde naturel, de pouvoir réintégrer la communauté et du coup de remercier la plante pour cette démarche.
En fait la plante c'est vraiment dans l'esprit de la définition de Pierre Lieutaghy, de la « plante compagne », qui nous a accompagnés pendant des centaines de milliers d'années dans notre coévolution, avec qui on a partagé le même environnement, et qui nous permet de résoudre souvent les mêmes contraintes de milieu.
CHRISTOPHE :
- Tu sais je pense à quelque chose : c’est intéressant cette notion de « gratitude » parce qu’aujourd'hui quand on regarde certaines études, même la science nous démontre qu'avoir une attitude de gratitude nous aide à améliorer certains sentiments toxiques, négatifs, comme l'anxiété et la dépression. Donc là on voit un effet physiologique de la gratitude qui, combinée à l’effet de la plante médicinale, et combinée au pouvoir du rituel et de cette sensation de se sentir comme partie du grand tout, fait probablement partie du pouvoir de guérison de nos chers végétaux. Ça c'est quelque chose qui se retrouve depuis très très longtemps.
Naissance des plantes en tant que remèdes
D’ailleurs puisqu’on parle d’historique, il y a quelque chose que je trouve assez fascinant, c'est le fait que si on remonte très très loin dans l'histoire de l’humain sur cette planète, on voit que certains groupes qui étaient complètement coupés les uns des autres, sont arrivés à découvrir les mêmes plantes, en ont déduit les mêmes propriétés, les mêmes indications, alors qu'il n'y avait aucun moyen de communication. Comment est-ce qu’on arrive à expliquer ça ?
RICHARD :
- C'est une excellente question ! C'est la question à un million de dollars ou un million d’euros… Je vais séparer en deux parties : la réponse scientifique acceptée aujourd'hui est que ces connaissances nous viennent, d’une part, de l'observation des animaux, donc d’avoir observé le comportement des animaux. Et c'est effectivement le cas, certains animaux consomment des plantes pour se soigner. Je prends par exemple le cas de la vernonie qui est une Asteracée africaine ; on a observé que les chimpanzés mâchent les feuilles de cette plante pour se guérir des parasites intestinaux, et on retrouve dans la médecine traditionnelle de nombreux pays d'Afrique l'usage de ses feuilles pour les propriétés vermifuges et anti-infectieuses. Donc il y a une observation, et la transposition dans la médecine traditionnelle. Pareil sur d'autres continents, l’oshá en Amérique du Nord qui était utilisée par de nombreuses tribus amérindiennes qui l’appelaient bear root, la « racine ours », parce qu’ils avaient observé que les ours consommaient cette plante et se frottaient avec cette plante, et du coup ça a été intégré dans la médecine traditionnelle comme plante fortifiante, répulsive, antimigraineuse, etc. Il y a effectivement ce passage qui existe, mais on voit bien que c'est quand même relativement anecdotique sur quelques exemples.
Ce qui est souvent retenu comme la raison principale, c'est une approche empirique. Donc une approche empirique ça consiste à tester des plantes soit pour les manger, soit pour se soigner, soit par curiosité, et que finalement, au hasard, les personnes auraient découvert des propriétés des plantes en les testant sur le terrain. C'est tout à fait possible pour certaines plantes : une plante toxique, il suffit de la tester une fois et on s’est bien rendu compte de ses problèmes de toxicité. Une plante laxative drastique je pense qu'on ne risque pas de l'oublier de sitôt après l’avoir utilisée, mais on voit bien que c'est limité à certaines pathologies bien précises, et on imagine très mal que partout dans le monde une personne malade aurait commencé à tester les plantes les unes après les autres pour voir laquelle allait la guérir de sa pathologie. Parce que déjà il faut tomber sur la bonne plante, ramasser les bonnes parties, l’utiliser avec la bonne forme d'extraction, sur la bonne durée, et même avec ça on n'a aucune certitude que la plante va fonctionner dans cent pour cent des cas. Et tout ça, ce serait fait partout dans le monde pour toutes les pathologies. On voit que statistiquement ça ne tient pas la route.
CHRISTOPHE :
- C’est invraisemblable…
RICHARD :
- Il y a certainement d'autres façons d'avoir acquis ce savoir. Alors là évidemment il n’y a aucune preuve tangible scientifique et physique de ça, mais il est très probable qu’à une certaine époque l’être humain vivait davantage en contact avec la nature, davantage à proximité, et certainement avec une sensibilité différente, une capacité différente de communiquer, et que c'est probablement à travers ces formes de communication différentes qu’il a pu accéder à des informations sur les propriétés de la plante. Des propriétés qui ne sont pas forcément liées strictement à un principe actif, qui peuvent être liées à son potentiel énergétique.
CHRISTOPHE :
- Bien sûr. Donc basé sur une grande sensibilité qu'on aurait perdue aujourd'hui, de ce lien avec le végétal, cette intuition de savoir des données qui nous permettent après d'expérimenter, avec tous les risques que ça peut comporter comme tu nous l’as expliqué. Donc ça ce sont les trois hypothèses de l'acquisition du savoir, et puis par la suite tout ceci s’est passé dans les cultures de bouche-à-oreille, bien sûr, avec au travers de chaque génération des sophistications, des détails en plus qui sont ajoutés, de l'expérience en plus qui fait que très rapidement se sont formées ce qu’on pourrait appeler des « pharmacopées », des listes de plantes médicinales que chaque peuple savait utiliser.
RICHARD :
- Tout à fait : traditionnellement, la transmission des savoirs s’est faite oralement, au fur et à mesure, et beaucoup plus récemment certaines parties ont été transcrites, donc en général ça a donné naissance à une médecine savante qui était accessible uniquement à certaines personnes, à une élite qui pouvait fabriquer des remèdes basés sur cette médecine savante. Et une médecine populaire qui elle était à la portée de tout le monde et était en général transmise de génération en génération, soit au sein de la famille, soit au sein de la communauté, mais toujours liée à des rituels, toujours liée à un savoir-faire, toujours liée à des connaissances, toujours liée à des périodes de récolte, etc.
CHRISTOPHE :
- Que l’ethnobotanique justement se veut de capturer.
RICHARD :
- C'est l'objectif de l’ethnobotanique. L’objectif de l’ethnobotanique c’est vraiment de capturer les relations entre les hommes et les plantes. Donc vraiment, qu’il s’agisse d’utilisation pure et dure, voire de connaissances liées à l’Histoire, à la géographie, à la culture, à la religion, qui expliquent ces différentes interactions entre des êtres vivants.
Cassure de la passation du savoir
CHRISTOPHE :
- Donc le savoir se passe de génération en génération jusqu'à ce qu'on ait cette cassure. Cette cassure qui s'est passée après la Seconde Guerre mondiale je pense, disons dans les années 1900, parle-nous un petit peu de cette cassure, qu’est-ce qui est arrivé ? Qu'est-ce qui s'est passé tout à coup ?
RICHARD :
- Alors ce qui s'est passé en général c'est qu'on a eu, dans les pays industrialisés, une phase d’exode rural, on a eu une phase d’industrialisation qui a fait fuir les gens des campagnes pour rejoindre les villes, et qui s'est accompagnée d’une perte de savoirs. Il faut dire que pendant cette phase ces savoirs ont souvent été dénigrés, comme des savoirs naïfs, archaïques, qui s’opposaient à des savoirs modernes, récents, basés sur la science, et qui étaient validés par des autorités scientifiques. Souvent on retrouve ça dans les enquêtes où les personnes souvent d'un certain âge ont honte de leurs savoirs, n’osent pas les exprimer de peur d'être ridicules parce qu'on les a stigmatisés pendant des années, comme des savoirs liés à des périodes où on n’avait pas de science, on n’avait pas de médecine, pas de pharmacie, on était pauvre et finalement on avait des remèdes qui ne marchaient pas. Voilà, un peu, la stigmatisation.
CHRISTOPHE :
- Oui, et justement on en parlera tout à l'heure, de l’utilité d’avoir un projet d'ethnobotanique pour aller, pour retourner rétablir un contact vers ces personnes qui n’osent pas en parler, pour les remettre en confiance et récupérer ces informations précieuses. Mais j'ai quelques questions pour toi dans quelques minutes.
Si on remonte dans l'histoire de l'ethnobotanique, j'ai l'impression qu'il y a eu une période de l'Histoire, on va dire les années 1600-1700, où à première vue on pourrait appeler ça de l’ethnobotanique mais c'est plutôt un grand pillage des ressources des colonies, avec une attitude de tourner en dérision les peuples « primitifs ».
C’est à quel moment qu’on a commencé à faire de la vraie ethnobotanique ?
RICHARD :
- Alors c'est vrai que de tout temps on a observé l'utilisation des plantes par les peuples. Mais pendant très longtemps, c’en est resté à une utilisation purement utilitaire, purement matérialiste, et commerciale. Et on a eu une véritable explosion, un véritable changement, avec les grands voyages, les grandes découvertes, qui ont permis d'aller à la rencontre d'autres peuples et de se rendre compte que le monde était beaucoup plus vaste que ce que la plupart des gens imaginait, qu'il ne s'arrêtait pas au bout de son jardin, ou au coin de son village, mais qu'il y avait dans le monde entier d'autres peuples, d'autres plantes, d'autres façons de se soigner, d’autres façons de voir le monde. Ça a été le point de départ de nombreuses campagnes, de nombreuses recherches, mais qui avaient toujours une vocation commerciale, dont l'objectif était de retrouver des plantes alimentaires qui pouvaient nous servir.
On connaît toutes les plantes alimentaires qui ont été ramenées du Nouveau Monde, des pommes de terre aux tomates. Mais aussi des plantes médicinales : on connaît l'histoire de la quinine qui a été ramenée d'Amazonie comme remède contre le paludisme, plante qui était utilisée traditionnellement par des peuples en Amazonie pour des fièvres et non pas pour le paludisme que nous leur avons amené, et qui nous a servi pour soigner le paludisme pendant plus de trois cents ans, et dont on a extrait la quinine pour passer à des médicaments de synthèse.
Donc ça a été l'image pendant plusieurs siècles, il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour arriver à de l'ethnobotanique. La première notion d'ethnobotanique c'est Rochebrune qui a fait des études sur les plantes retrouvées dans des tombes en Amérique du Sud, et qui a utilisé le terme d'« ethnographie » au lieu d'utiliser le terme d’« archéologie ». Ça paraît être un détail comme ça mais en parlant d'« ethnographie », ça inclut la dimension humaine, et que dans ses recherches il fallait considérer la relation avec les hommes. Le premier à avoir utilisé le mot « ethnobotanique » c’est Harshberger en 1895, mais sa conception de l'ethnobotanique était encore bien différente de comment on l’imagine aujourd'hui. J'ai la définition de l'ethnobotanique, ça vaut le détour !
CHRISTOPHE :
- Vas-y, vas-y !
RICHARD :
- Alors, il nous dit : « Il est de première importance d'étudier attentivement ces ethnies primitives et de répertorier les plantes dont elles ont trouvé l'utilité pour leur vie économique, avec l'idée que des propriétés valables pour leur vie sauvage pourraient très bien remplir des fonctions non assurées dans la nôtre. » Donc on voit que la notion d’« ethnobotanique » c’est une notion commerciale, utilitaire, de l'usage par des peuples primitifs. Ça c'est ce qui a duré pendant des décennies, en gros jusqu'aux années1930, et là c'est aux États-Unis qu'on a eu les premières vraies enquêtes ethnobotaniques qui ont tourné autour de l'Université du Michigan, avec de nombreux chercheurs qui ont commencé à aller sur le terrain, et aller à la rencontre des peuples amérindiens pour, non pas uniquement voir l'utilisation des plantes, mais aussi leur culture, leurs traditions, et les remettre dans un contexte global. Mais on reste quand même sur une approche de peuples dits « primitifs ».
Il faudra attendre encore les années 1960 pour arriver à la figure de Richard Evans Schultes qui va positionner les choses différemment en disant que finalement les peuples ne sont pas du tout inférieurs mais que, au contraire, sur de nombreux aspects nous sont bien supérieurs. Et donc là on part sur une ethnobotanique moderne où on fait de la recherche d'égal à égal.
CHRISTOPHE :
- Respectueuse !
RICHARD :
- Respectueuse, où ce sont des études de cultures différentes et de visions différentes sans aucun critère qualitatif.
Celui qui nous avait mis en garde !
CHRISTOPHE :
- Ni préjugé…
Moi il y a une personne qui a beaucoup influencé l'ethnobotanique dans ma région, en particulier dans les Alpes-Haute-Provence, c'est Pierre Lieutaghi. J'ai un de ses ouvrages ici qui s'appelle L'herbe qui renouvelle. Il a écrit plusieurs ouvrages mais celui-ci est un de ses ouvrages-phares. Ça ne se lit pas comme un livre sur les plantes médicinales et leur utilisation… enfin si : il y a une partie qui contient ces informations-là mais il y a aussi des tables et des questionnaires, et des petites vues statistiques de ce que les gens ont dit sur telle et telle plante. C'est un livre un petit peu à part. Pierre Lieutaghi nous a dit déjà dans les années 1980 qu'il fallait qu'on agisse vite parce qu'on avait un savoir qui était en train de se perdre et qui disparaîtra peut-être à jamais. Lui avait déjà interviewé des gens qui avaient un certain âge : autour de soixante-dix, quatre-vingts ans.
Aujourd'hui on se retrouve quarante ans plus tard, quel est ton constat ? Est-ce que Pierre Lieutaghi avait dit vrai ? Est-ce qu'on a déjà perdu énormément de savoirs ? Est-ce qu'il est encore temps qu'on se réveille ?
RICHARD :
- Oui c’est vrai on a perdu des savoirs, des personnes ont disparu avec leurs savoirs. Il faut relativiser les choses : la perte de savoirs, de la même façon que le gain de savoirs, se fait de façon dynamique pendant l'Histoire, on perd où on gagne des savoirs au fur et à mesure du temps. Donc certainement qu'on a perdu quelques savoirs mais ce n'est pas ce qui est le plus inquiétant aujourd'hui parce qu'on peut quand même retrouver un certain nombre de ces savoirs, soit auprès de personnes âgées, soit même des savoirs de seconde main au travers des enfants ou des petits-enfants qui en ont entendu parler, même au travers d’écrits, de manuscrits,… On peut retrouver un certain nombre de ces savoirs.
Par contre ce que l'on perd c'est le pourquoi, c'est la relation derrière ces savoirs, c’est pourquoi les personnes l’utilisaient. Quelle était leur façon de récolter une plante ? Quelle était leur motivation ? De quelle manière ? Quel était finalement l'intérêt derrière une plante au-delà de ses principes actifs ?
CHRISTOPHE :
- Ce qui est important, parce que ce savoir avait été développé sur des générations et des générations, il avait été affiné et optimisé, et tout à coup on le perd.
RICHARD :
- Tout à fait. Ça nous ramène à l’effet placebo dont on parlait tout à heure, qui va au-delà de simplement les principes actifs présents dans la plante, mais qui s'accompagne de toute une démarche de l'individu d'aller sur le terrain, d'aller à la rencontre de la plante, d'aller faire sa connaissance, la découvrir, ce qui va probablement déjà déclencher un processus d'autoguérison, une volonté d'amélioration chez la personne. Aujourd'hui on récupère beaucoup de savoirs mais en observe un lissage de ces savoirs, où on voit apparaître dans de nombreuses formations, de nombreux livres, toujours la même information qui est véhiculée et qui est répercutée sur les propriétés d'une plante sans que personne ne sache vraiment le pourquoi à la base.
CHRISTOPHE :
- Parce qu'il n'y a plus ce grand processus de pratique et d'expérimentation qui se déroule aujourd'hui, c'est du ressassé, c'est du remâché, c'est du réchauffé au micro-ondes et c'est à moitié tiède… c'est pathétique.
RICHARD :
- D'ailleurs tu en parles souvent dans tes vidéos : on peut acheter des plantes, on peut faire l'acquisition de certaines plantes, mais dans la mesure du possible il est toujours plus intéressant d'aller sur le terrain, d'aller à la rencontre de ces plantes, et de faire soi-même la démarche de préparation. Ça permet de s'approprier, dans le bon sens du terme, la plante, et retrouver les liens qui nous unissent depuis des siècles.
CHRISTOPHE :
- Tout à fait, les choses n'ont pas besoin d'être noir ou blanc, on peut tout à fait acheter des plantes de bonne qualité, faire une petite sortie, découvrir le plantain, apprendre comment l’utiliser, et puis deux mois plus tard on a des besoins parce que peut-être qu'on a une problématique d'infection respiratoire, et on va acheter des choses parce qu'on ne va pas pouvoir aller se les procurer en nature. Voilà je dis ça pour nos auditeurs : on n'est pas en train de prêcher des modèles qui sont très caricaturaux, on est en train de dire qu’il faut juste entamer ce processus de reconnexion aujourd'hui à la nature, de ce rituel de voir, de reconnaître, de toucher, d'observer au travers des différents stades de la plante. Quelque chose qu'on retrouve énormément je pense aussi dans différentes régions, dans certains peuples, c’est cette attitude de gratitude envers la plante. Est-ce que, basé sur tes recherches, toi tu vois que c'est un composant commun dans tous ces peuples dans l'histoire de la plante ?
RICHARD :
- Tout à fait. On voit dans la plupart des traditions qu’il ne s'agissait pas de piller la plante, il ne s'agissait pas de se procurer la plante, il s'agissait finalement de demander de l'aide à la plante pour rétablir un déséquilibre, pour pouvoir être réintégré dans une communauté, pour être réintégré dans un écosystème, dans le monde du vivant dont nous faisons partie. Et ça s'accompagnait de gratitude, de remerciements, de prières, d'offrandes, systématiquement.
CHRISTOPHE :
- Et qu'on y croie ou pas, au minimum ça nous inculque quelque chose de primordial, c'est de respecter la nature et notre environnement. Et rien que ça aujourd'hui c'est énorme et c'est nécessaire. Donc j'espère que ça va être un réveil pour la population.
Petit détour par l'Italie
Richard je crois savoir que tu as toi-même fait un projet d'ethnobotanique qui s’est déroulé en Italie. J'aimerais que tu nous expliques un petit peu ce projet, en quoi consistait-il ?
RICHARD :
- Il s'agit d'un projet d'enquête ethnobotanique dans une vallée alpine dont l'objectif était de retrouver des savoirs populaires un peu oubliés et de les faire revivre, de les revaloriser. C’est un projet qui a eu lieu il y a deux ans, et dont les résultats sont disponibles à ce jour.
CHRISTOPHE :
- Pourquoi tu as choisi cet endroit ?
RICHARD :
- C’est l'endroit d’où ma famille est originaire, donc c'est un endroit dont je connais assez bien la culture, le patois, dont l'accès est relativement facile, et qui correspond à mon histoire.
CHRISTOPHE :
- Qu'est-ce que tu as découvert dans ce projet ? Est-ce qu'il y a des choses qui t'ont surpris ? De belles découvertes ?
RICHARD :
- Oui beaucoup de choses ! On découvre des usages inhabituels des plantes. Certaines plantes qu'on n’a pas forcément l'habitude d'utiliser, qui étaient utilisées au quotidien, et des liens qu'on peut faire, où en tout cas des hypothèses que l'on peut faire.
Une que je trouve particulièrement intéressante, c'est l'utilisation de l’orpin, le genre sédum (Sedum album, ou Sedum dasyphyllum). La vallée, historiquement, était séparée en deux parties : une partie qui dépendait du duché de Milan, et une partie qui dépendait de la République de Venise. Et même si la vallée est très petite on avait deux contextes culturels historiques relativement différents à quelques kilomètres de différence. Dans la moitié de la vallée on retrouve l'usage de cet orpin avec de la graisse de porc pour préparer un onguent que l’on utilisait contre les hématomes, et qui portait d'ailleurs le nom d’« onguent contre les hématomes », et on ne retrouve cet usage nulle part ailleurs. Et je suis tombé sur une enquête ethnobotanique en Espagne, où le même usage est décrit. Quand on regarde les données historiques eh bien pendant une bonne partie de l'Histoire le duché de Milan a été sous le contrôle de la couronne d'Espagne, qui envoyait des apothicaires et des fonctionnaires dans la région. Donc peut-être que la transmission de ce savoir ethnobotanique espagnol est passé dans cette région par ce biais. Ce sont des hypothèses bien sûr.
CHRISTOPHE :
- Oui, excellent ! Et donc ce sédum ? On a du sédum dans différentes régions, ce sont des succulentes donc avec des feuilles très épaisses, très humides, qui contiennent comme un gel. Donc, on écrasait ces feuilles dans un pilon, c’est ça ? On mélangeait ça avec de la graisse animale, c’est tout ?
RICHARD :
- Oui pour en faire un onguent qui était utilisé sur les hématomes.
CHRISTOPHE :
- D'accord ! Tu as pu essayer ou pas encore ?
RICHARD :
- Je ne l'ai pas essayé encore !
CHRISTOPHE :
- C'est à tester bientôt alors.
Compétences requises pour faire de l'ethnobotanique
CHRISTOPHE :
Est-ce qu'il faut être chercheur ou scientifique pour réaliser un projet d'ethnobotanique ?
RICHARD :
- Non, bien sûr que non, tout le monde peut faire une enquête ethnobotanique, tout le monde peut faire des recherches ethnobotaniques. Par contre il s'agit de définir qu'est-ce que l'on entend exactement par « ethnobotanique ».
On a une ethnobotanique qui est plutôt académique qui elle, est destinée à faire des publications de type scientifique qui seront étudiées dans un contexte académique, et qui nécessite d'avoir des bases scientifiques, d’avoir une institution sur laquelle se reposer pour faire les enquêtes. Donc là c'est un peu plus complexe. Mais il y a une autre ethnobotanique, on parle plutôt d’une ethnobotanique « appliquée », qui consiste à faire les enquêtes autour de soi et c’est à la portée de chacun. Ensuite il s'agit d'acquérir une certaine méthode pour pouvoir le faire, c'est ce qui va être la différence entre recueillir des anecdotes où l’on va noter sur une feuille les informations. Mais pour le faire de façon structurée, pour pouvoir en tirer des résultats exploitables que l’on puisse valoriser, il faudra faire l’étude d'une façon particulière avec une certaine méthodologie, une certaine rigueur, pour ne pas perdre non plus beaucoup de temps et beaucoup d'informations.
CHRISTOPHE :
- D'accord, donc il ne faut pas être chercheur mais il faut avoir certaines compétences. Première compétence : la botanique, un minimum de botanique. Arriver à reconnaître les plantes qui vont être passées en revue dans le projet d'ethnobotanique.
RICHARD :
- Oui tout à fait. Tout dépend du projet, bien entendu, mais il est clair qu’il faut savoir de quoi on parle, être capable de reconnaître les plantes, de savoir de quelles plantes il s'agit, et pouvoir idéalement, avec la personne sur le terrain, pouvoir observer la plante sans ambiguïté.
CHRISTOPHE :
- Voilà, parce que la personne peut te dire qu'elle a ramassé une plante qui avait telle forme et telle couleur, et il va falloir que tu sois en capacité de valider si on parle véritablement d'arnica ou d’autres choses.
RICHARD :
- Absolument : tu parles de l'arnica, c’est un très bon exemple. L’arnica (Arnica montana) une Asteracée qui est probablement l'une des plantes les plus utilisées dans les massifs alpins où des Vosges, qui a fait ses preuves contre les coups, les bleus, les ecchymoses, et on la retrouve dans quasiment toutes les enquêtes ethnobotaniques, comme une plante majeure ramassée par les populations.
Sauf que quand on regarde où pousse l'arnica, l'arnica pousse sur des terrains siliceux ou très pauvres en calcaire, ce qui veut dire que dans la moitié des Alpes il n’y a pas d'arnica. Alors que ramassent les personnes ? Eh bien quand on va voir de plus près il va s'agir de doronique, il va s’agir d’anthyllide, il va s’agir de séneçon, donc il ne s'agira pas du tout d’arnica, mais les personnes l'appellent « arnica » et c'est ça qui est considéré comme de l'arnica. Ce qui est intéressant et curieux : c’est que ça nous ramène à notre effet placebo, ou en tout cas l’effet qui va bien au-delà des principes actifs, c'est que les résultats sont tout aussi bons avec cette plante alors qu'elles ne contiennent absolument pas les mêmes principes actifs que l'arnica.
CHRISTOPHE :
- Et chez nous, Pierre Lieutaghi l’a bien argumenté, ce qu'on appelle « arnica » c'est une inule, et moi il y a quelque chose qui me frustre énormément, c'est le fait que lorsque tu as quelqu'un avec toi dans un groupe dans une sortie botanique, lorsque tu as quelqu'un avec toi qui connaît bien les plantes d'une manière un petit peu livresque et scientifique, certaines personnes vont dire : « Ah oui mais non, ça c'est une inule et donc ça ne peut pas fonctionner comme l’arnica. C’est faux ce n'est pas de l’arnica. » Alors que la personne n'a absolument aucune idée de l'efficacité de cette plante mais elle a tout de suite bondi sur le fait qu'il y avait eu une erreur de commise, et donc ça ne peut pas fonctionner. Alors que les peuples ont utilisé chez moi l’inule pendant des générations et des générations, et je leur fais confiance pour avoir établi la bonne utilisation parce qu’il ne faut pas prendre nos ancêtres pour des imbéciles, ils n'avaient pas de temps à perdre comme nous aujourd'hui on en perd dans des discussions sans fin…
Est-ce que tu as déjà rencontré ce type de personnes ?
RICHARD :
- Oui c'est effectivement quelque chose qui est courant, d'utiliser des formes de comparaison, des méthodes d'analyse qui ne correspondent pas, et dire qu'une plante ne peut pas avoir telle propriété parce qu'elle n'a pas tel principe actif. Ça nous ramène finalement à ne voir chez une plante qu’un support de principes actifs.
CHRISTOPHE :
- Et sa chimie !
RICHARD :
- Et que finalement ses propriétés ne s'expliquent que par sa chimie, alors que l'on a probablement d'autres façons d'analyser les choses, et que comme tu dis si ces personnes l’ont utilisée pendant très longtemps avec de bons résultats, eh bien il y a peut-être quelque chose qui nous échappe.
CHRISTOPHE :
- Laissons parler l'expérience, sachant d'autant plus que d'un point de vue chimique on connaît encore très peu de choses sur les plantes, on connaît uniquement ce qu'on a analysé, sachant qu'il y a une longue liste de constituants qu'on n'a même pas encore trouvés et découverts, ce qui laisse la place, quand même, à pas mal de surprises dans le futur.
Étapes d'un projet d'ethnobotanique typique
CHRISTOPHE :
Est-ce que tu pourrais nous donner les différentes étapes d'un projet typique ethnobotanique ? Est-ce qu'il y a une phase de planification, une phase de terrain ? Comment ça se passe ?
RICHARD :
- Ça dépend évidemment du projet, les projets peuvent être très différents donc on peut avoir des étapes différentes. Mais dans les grandes lignes, pour un projet typique on va avoir quatre grandes étapes.
La première étape sera une étape de planification en amont qui est probablement l'étape la plus importante à laquelle on ne pense pas suffisamment. On est pressé de passer à la phase d'enquête et de récolte de données en oubliant la phase en amont qui est d'essayer de connaître et de comprendre le plus possible la langue, la région, la culture, la bibliographie, savoir ce qui a déjà été fait, trouver des points de contact, les personnes qui vont pouvoir servir de ressource, pour pouvoir lancer l'enquête à proprement parler. La deuxième étape ça va être la partie enquête : ça va être d’aller sur le terrain à la rencontre des personnes. Donc là il va s'agir d'avoir le maximum d’échanges et pouvoir discuter à 360° avec ces personnes, donc d'essayer de récolter le maximum d'informations en sachant que ce n'est pas si facile que ça et que souvent les personnes ont tendance à ne pas vouloir s'ouvrir tout de suite parce qu’on leur a dit pendant des années que leurs savoirs étaient ridicules, qu'elles n'avaient pas de connaissances, qu'elles n'avaient pas fait d'études. D'ailleurs souvent c'est un peu la première réaction quand on pose des questions à des personnes d'un certain âge : « Moi je ne connais rien ! Toi tu as fait des études, toi tu sais ! ». Donc voilà la position dans laquelle ces personnes se trouvent. Il va falloir prendre du temps pour les mettre en confiance, pour discuter, peut-être passer des heures à parler d'autres choses, et après tout à coup, entre deux, une pépite lâchée comme ça par hasard sur un usage. Mais c'est clair qu'il ne faut pas penser à aller sur le terrain avec un questionnaire et à demander « oui » ou « non » aux personnes.
CHRISTOPHE :
- Oui il faut lier des liens, il faut des capacités humaines, l’art d’interviewer des gens aussi, qui n'est pas donné à tout le monde non plus, d'écouter beaucoup,… Comment est-ce que je trouve ces gens-là ? C’est ça la question que je me pose.
RICHARD :
- Ce n'est pas forcément facile c'est pour ça qu'en général le plus aisé c’est de faire une enquête ethnobotanique dans un endroit que l’on connaît déjà, soit parce que c'est là où l'on habite, ou parce que c'est notre lieu de villégiature, ou parce qu'on connait très bien la culture. Ça va nous donner la possibilité de rentrer plus facilement en contact avec certaines personnes, notamment des personnes souvent d'un certain âge qui sont reconnues comme détentrices d'un savoir, et qui vont nous permettre déjà de servir de « super informateur » en apportant beaucoup d'informations, mais qui vont aussi nous permettre d'ouvrir des portes pour rencontrer d'autres personnes par la suite.
Après il y a aussi d'autres possibilités : ça peut aussi être d'aller à la rencontre d'associations locales, d’aller voir s’il y a un parc régional,… Beaucoup de possibilités existent, toujours avec humilité, toujours avec l'intention d'aller à la rencontre des personnes, de chercher un échange, de chercher à les connaître.
CHRISTOPHE :
- Donc au fur et à mesure tu documentes ce savoir, ce que les gens te disent, donc ça c'est la phase collecte de l'information.
RICHARD :
- Voilà ça c'est la phase collecte. Ensuite on a la phase de compilation et analyse de ces résultats, c'est une phase qui n'est pas si longue. Si le travail en amont a été bien fait, la partie méthodologique a été faite correctement en pensant à la suite, en général ça peut aller assez vite. D'où l'importance de faire les choses de façon structurée pour éviter d'avoir des centaines de pages de notes qui demanderont un travail de compilation énorme.
CHRISTOPHE :
- Pas besoin de faire des tableaux de statistiques, de comptages,… Enfin je vois que Lieutaghi a fait un travail assez sérieux bien sûr, mais pas besoin d'aller jusqu'à ce niveau-là non plus ?
RICHARD :
- Ça dépend du type d'enquête que l'on veut faire. Si on parlait d’une enquête de type plus scientifique, là effectivement on va plus miser sur la partie quantitative pour permettre de faire des statistiques autour de ces chiffres.
CHRISTOPHE :
- D'accord.
RICHARD :
- Mais ça dépend du type de publication, du type de retour que l'on veut faire parce que la quatrième phase c'est la partie de restitution, donc de restituer ces savoirs, de les valoriser, et de faire un retour aux populations. L'objectif étant que ces savoirs ethnobotaniques ne soient pas perdus, qu'ils ne finissent pas au fond d'un tiroir d'une bibliothèque, mais qu’ils soient disponibles à un maximum de personnes, et prémices aux personnes qui ont bien voulu partager ce savoir, et donc aussi revenir vers elles avec des projets qui peuvent être tout aussi variés en fonction des intérêts et de la sensibilité de chacun. Ça peut être de produire un livret, ça peut être de faire une exposition, ça peut être organiser des sorties ethnobotaniques, un jardin,…
Restitution du savoir
CHRISTOPHE :
- Toi par exemple dans ton projet que tu as réalisé en Italie, est-ce que tu as déjà des idées de comment tu vas restituer ce savoir ?
RICHARD :
- Oui, il y aura une publication qui va être faite sur demande de la commune pour justement faire connaître ces savoirs oubliés, et organiser des sorties ethnobotaniques pour les touristes qui viendraient visiter la commune, et également pour les personnes un peu plus jeunes qui ne connaissent pas elles-mêmes les usages de leur région.
CHRISTOPHE :
- J'aimerais lancer un message positif ici, c’est que j'entends beaucoup aujourd’hui l’envie des personnes jeunes ou moins jeunes, de recommencer à passer un savoir aux générations futures. Là encore on revient à la période d'après-guerre où il y a eu un arrêt brutal de la passation de ce savoir, et là j'ai l'impression que vraiment il y a une forte envie de léguer quelque chose, de laisser quelque chose pour que ça ne s’efface plus, donc j'ai bon espoir que ce ne soit plus perdu à partir de maintenant.
RICHARD :
- Oui c'est un fait, on observe ces dernières années une envie de transmettre, une envie de retrouver, une envie de récupérer ces savoirs. Ce qui est important c'est de les récupérer dans leur globalité et non pas uniquement l'aspect à la mode. Mais finalement c'est de savoir qu’ils s'inscrivent dans une histoire complexe, dans une histoire qui fait intervenir différents aspects, et c’est justement le but de l'ethnobotanique de trouver ces relations.
CHRISTOPHE :
- Je vois tout à fait de quoi tu parles.
Le programme de Richard à l'ELPM
J'aimerais maintenant qu'on parle de ton projet à l'École Lyonnaise des Plantes Médicinales (et je voudrais mentionner au passage que l'école ne m'a absolument pas demandé de parler de ce programme, l'école ne me paye pas pour parler de ce programme, je vous en parle car j’estime que c'est très important aujourd'hui d'acquérir ce type de savoirs). Tu as créé un nouveau programme à l'école lyonnaise. Comment est né ce programme ?
RICHARD :
- C'est un programme que j'ai à cœur depuis au moins une quinzaine d'années. À l'époque j'avais commencé à développer un projet d'ethnobotanique qui s'inscrit dans la raison d'être de l'École Lyonnaise des Plantes Médicinales telle qu'elle a été fondée par Patrice de Bonneval : mettre ensemble les hommes et les plantes. Contrairement à certaines formations qui visent uniquement à une utilisation pratique des plantes, l'idée c'est de mettre ensemble les deux. Et du coup l'ethnobotanique s'inscrit vraiment dans ce mouvement de développer les relations entre les êtres vivants, tous quels qu’ils soient.
CHRISTOPHE :
- Donc c'est toi qui as proposé l'idée à l'école ?
RICHARD :
- Oui !
CHRISTOPHE :
- Qui a été bien reçue ?
RICHARD :
- Oui elle a été très bien reçue car elle s'inscrit dans cet esprit de l'école.
CHRISTOPHE :
- On étudie pendant à peu près une année ? Certains week-ends ? Parle-nous un petit peu du programme ; comment s'organise l’étude ?
RICHARD :
- L'étude dure un an. Il y a deux parties : une partie qui va être faite par l'élève à distance, qui va être une étude bibliographique, qui va être une enquête sur le terrain, et qui sera ponctuée de cinq week-ends dans lesquels on va se retrouver pour apprendre les méthodes, donner les outils pour cette enquête, faire des ateliers pour résoudre les problèmes, échanger entre les élèves pour que ce soit mutuellement instructif, et développer ainsi, étape par étape, avec un accompagnement. En même temps pendant cette période il y a une plateforme informatique qui est dédiée, sur laquelle je suis en contact permanent avec les élèves, et où les élèves peuvent également échanger entre eux pour développer leurs projets, demander de l'aide, ou juste échanger.
CHRISTOPHE :
- Est-ce que tu as eu ton mot à dire sur le projet qui serait sélectionné ? Tu as eu des gens qui ont été intéressés, qui ont postulé, comment tu as sélectionné ? Est-ce qu'il y avait une étape de sélection ?
RICHARD :
- Oui ! Je tiens à préciser que tous les projets que j'ai reçus étaient tous très intéressants. Il y a une phase de sélection qui est nécessaire, surtout par rapport au temps imparti. L’objectif étant de faire une formation sur un an, pour aboutir à un résultat concret au bout d'une année.
CHRISTOPHE :
- C'est très rapide !
RICHARD :
- Oui, c'est extrêmement rapide, ça passe vraiment très vite. Du coup il y a certaines conditions, qui sont d'avoir par exemple des notions de botanique, d'avoir une faisabilité du projet pour pouvoir arriver à quelque chose de concret assez rapidement. Donc toutes les personnes ont envoyé une description de leur projet et j'ai eu un entretien avec elles avant pour valider, et dans lequel on a discuté du projet pour éventuellement le modifier un peu, ou l'orienter, pour avoir des résultats tangibles au bout d'une année, en sachant que d'autres aspects du projet vont pouvoir être développés par la suite si la personne le désire de son côté.
CHRISTOPHE :
- Et je sais que je t’ai torturé avant cette interview pour que tu partages avec nous des exemples de projets sur lesquel vous travaillez en ce moment, mais tu as été très ferme. Il est un petit peu prématuré de parler de détails, mais on a hâte vraiment de voir ce qui va ressortir de ces différents projets qui seront exposés. On pourra les consulter j'espère !
RICHARD :
- Oui tout à fait il y a en ce moment douze projets en cours. Il y a déjà de très bons résultats. L'objectif c'est qu'ils soient tous visibles à la fin. Ils vont pouvoir évidemment être consultés à l'école, ils seront visibles localement selon le type de production dans les lieux d'enquête, et ils seront présentés au cours de la première journée d'ethnobotanique qui aura lieu en septembre 2021.
CHRISTOPHE :
- À quel endroit cette journée aura lieu ?
RICHARD :
- À Lyon, dans les locaux du lycée horticole à Dardilly.
CHRISTOPHE :
- Est-ce que tu sais si cette journée sera ouverte au grand public ?
RICHARD :
- L'objectif étant que ce soit disponible et ouvert au maximum de personnes, ensuite c'est d'un point de vue organisationnel, la façon dont ça va pouvoir être mis en place… mais je te donnerai des informations dans quelque temps.
CHRISTOPHE :
- Dès que tu les as je les posterai dans la transcription de cette interview dès que tu me les donnes.
Intérêt de se lancer dans un tel projet
CHRISTOPHE :
Si je démarre un projet d'ethnobotanique, outre mon envie de découvrir, de partager, de faire circuler un savoir qui se perd, est-ce qu'il y a d'autres intérêts pour moi, pour ma carrière, pour mon futur, de faire un tel projet d'ethnobotanique ?
RICHARD :
- L'intérêt principal étant évidemment la volonté de valoriser des savoirs et de ne pas les perdre.
CHRISTOPHE :
- Bien sûr.
RICHARD :
- D'un point de vue personnel, c’est clair que ça peut tout à fait s'inscrire dans un objectif professionnel à long terme dans lequel on voudrait développer un réseau local, on voudrait davantage s'intégrer dans la vie locale, organiser des sorties ethnobotaniques, un jardin, faire partie d'une association,… La quantité de possibilités est presque infinie, d'où la volonté d'avoir un premier résultat concret assez rapidement, quitte à développer d'autres volets par la suite.
CHRISTOPHE :
- Pour donner un exemple, imaginons que j'aille m'installer dans une certaine région que je ne connais pas, et j'ai l'intention d'organiser des ateliers, peut-être des sorties nature, de partager ce savoir,… Une des premières étapes pourrait être d'organiser un projet d'ethnobotanique pour vraiment recenser tout ce savoir-là, qui me fera une bonne base de connaissances pour après bâtir une activité.
RICHARD :
- Exactement c'est un très bon exemple, c'est une façon de s’intégrer à une culture locale, d’apprendre la culture de l'endroit où l'on s'installe, et finalement de la valoriser après peut-être par des sorties, et pour permettre justement à ces savoirs de perdurer.
Tous défenseurs de l'ethnobotanique ?
CHRISTOPHE :
- J'ai une dernière question pour conclure : est-ce qu'on ne pourrait pas tous devenir à notre façon des ethnobotanistes amateurs qui pourraient faire l'effort de regarder tout autour de nous ? Voir quelle poche de savoirs il reste sur les plantes médicinales, et commencer à récupérer ce savoir, le capturer, et en faire un jour quelque chose. Est-ce que ce n'est pas à la portée de tous ?
RICHARD :
- Oui tout à fait, moi je vous encourage dans cette démarche de curiosité. Déjà d'aller voir autour de chez vous si vous avez une librairie locale, aller chercher des publications sur des savoirs traditionnels de votre région, et après aller à la rencontre de personnes autour de chez vous avec respect, humilité et curiosité, récolter ces savoirs. La difficulté va être le passage de l'anecdote à l’enquête ethnobotanique ou si cette enquête n'est pas faite avec une certaine méthodologie, eh bien au bout d'un moment on va se retrouver avec de nombreuses pages d'anecdotes.
CHRISTOPHE :
- De petites histoires…
RICHARD :
- De petites histoires dont on aura de la peine à pouvoir les valoriser et à en faire quelque chose de structuré.
CHRISTOPHE :
- D'accord. Merci en tout cas, on a assez attendu, je pense que c'est vraiment le moment de passer à l'action.
Écoute Richard je voudrais te dire un grand merci d'avoir passé cet agréable moment avec nous. On a hâte de voir tous les projets qui vont sortir de ce premier groupe. J'espère que tu nous tiendras informés. Dès que j'ai des informations je les posterai dans le descriptif de ce podcast. Un grand merci à toi !
RICHARD :
- Eh bien je te remercie beaucoup ! C'était un très bon moment, et je te tiens au courant de la suite des opérations.
CHRISTOPHE :
- Ça marche ! À bientôt alors.
RICHARD :
- Merci Christophe, à bientôt !