Laissez-moi vous parler d’une famille de constituants des plantes qui s’appellent les alcaloïdes.
C’est un terme qui fait un peu peur car de nombreux poisons naturels sont des alcaloïdes.
C’est aussi un terme qui est un peu impressionnant pour les débutants car on ne sait pas trop ce que ça veut dire, il est un peu mystérieux.
Ne vous inquiétez pas, nous allons essayer de démystifier tout ça. Vous allez voir, au final, ce n’est pas si compliqué que ça. Et pas besoin d'un doctorat en chimie. Il vous faudra tout de même quelques bases, niveau collège 🙂
Pourquoi parler des alcaloïdes ?
Car ce sont probablement les molécules les plus actives que vous allez trouver dans le monde des plantes médicinales et des plantes toxiques.
Vous n’allez pas les trouver dans toutes les plantes, loin de là. Elles sont présentes dans certaines plantes uniquement, que l’on appelle d'ailleurs les « plantes à alcaloïdes ».
Dans mon expérience, dès que l’on emploie ce terme, ça fait un petit peu peur. On se dit, est-ce que je vais m’empoisonner ou pas ?
Alors rassurez-vous, non pas forcément. Sinon je ne serais pas là en train d'écrire cet article ! (j’ai moi-même consommé de nombreuses plantes à alcaloïdes).
Ce n’est pas parce qu’une plante contient un alcaloïde qu’elle est forcément un poison. Je vous rappelle que le café contient de la caféine, que la caféine est un alcaloïde. Vous en buvez peut-être plusieurs fois par jour et vous n'êtes pas mort pour autant.
Tout va être question :
- Du type d'alcaloïde dont on parle ;
- De la quantité absorbée. En effet, la caféine a une toxicité : à partir d’une certaine dose, hallucinations et convulsions possibles.
Un peu de chimie...
Allez, si, juste un peu, promis !
D'un point de vue chimique, un alcaloïde est un composé organique azoté, c’est-à-dire qui contient une molécule d’azote. De plus, il est tiré d’un végétal.
Par exemple, voici la chélidonine, un alcaloïde de la chélidoine. Sous la flèche bleue, la molécule d'azote. Je pense que vous suivez jusque-là.
On pense que les plantes utilise ces substances comme moyen de défense contre les prédateurs, mais nous n'en sommes pas sûr.
Cette molécule est de nature alcaline, d’où son nom d'alcaloïde. C’est-à-dire que dans une solution, elle fait monter le pH et elle s’oppose aux acides qui eux font baisser le pH.
Le nom d’un alcaloïde va toujours finir par « ine ». Caféine, morphine, éphédrine, etc.
En pratique : risques de précipitation
La première conséquence, dans notre pratique quotidienne, est la suivante : les alcaloïdes vont s’associer aux tanins des plantes.
En effet, les tanins sont des acides (acides tanniques) et les alcaloïdes sont des bases. Voir mes vidéos sur les tanins si vous voulez un petit rappel sur ces molécules, au passage.
Je ne sais pas si vous vous souvenez de la chimie au collège... comment ? c'est le trou noir ? Vous faisiez quoi en classe ?
Bon, à mon époque on apprenait que acide + base = sel + eau. Donc si vous associez un acide avec une base, vous obtenez de l’eau, mais surtout un sel. Un précipité.
Les tanins vont donc précipiter les alcaloïdes en solution pour les neutraliser en quelque sorte. Ceci peut dénaturer la préparation et lui enlever de ses qualités thérapeutiques.
Vous allez rencontrer cette situation dans vos préparations maison lorsque vous voulez mélanger des plantes à tanins avec des plantes à alcaloïdes. Une teinture de fumeterre par exemple avec une teinture de reine-des-prés.
Il va falloir prendre des précautions supplémentaires, je ne vais pas rentrer dans les détails ici car sinon l'article va devenir trop complexe, mais je vous explique tout ceci dans ma formation sur la fabrication de produits à base de plantes (lien en cliquant sur l'image ci-dessous - téléchargez le livret gratuit pour avoir plus d'informations sur la formation).
Le truc : l'utilisation judicieuse de la glycérine végétale.
Propriétés diverses
D’un point de vue propriétés, un alcaloïde a très souvent une activité physiologique très intense.
Certains alcaloïdes vont agir au niveau du système nerveux central, et vont être dépresseurs, c’est le cas du pavot somnifère par exemple, Papaver somniferum, duquel on extrait la morphine. C’est un antalgique puissant qui diminue la sensibilité à la douleur.
À l’inverse, certains sont de puissants stimulants du système nerveux central, c’est le cas de la cocaïne de la feuille de coca par exemple.
Certains vont agir sur le système nerveux autonome, système sympathique et parasympathique, deux systèmes nerveux qui pilotent quasiment tous nos organes internes d’une manière automatique : battement du cœur, contraction et relaxation des poumons, de la vessie, dilatation de la pupille de l’œil, etc.
Donc ces alcaloïdes vont avoir un spectre d’action très large. C’est le cas de l’atropine de la belladone, la hyoscyamine de la jusquiame, etc.
Et donc nous trouvons ici des molécules qui étaient utilisées dans l’ancien temps comme remède mais qui se transforment très vite en poisons.
Les plantes en question ne sont plus utilisées aujourd’hui (celles mentionnées ci-dessus). Elles ont parfois été remplacées par l’alcaloïde isolé : c’est le cas de la morphine par exemple. Et ils sont sous strict contrôle médical.
En général, ceux qui sont les plus toxiques se retrouvent en médicaments homéopathiques, par principe de similitude. En d'autres termes, si la plante provoquait un certain symptôme, la dilution homéopathique va résoudre ce symptôme.
Nous allons donc trouver de nombreuses plantes à alcaloïdes dans les remèdes homéopathiques, qui sont des remèdes classiques : Belladonna, Gelsemium, Veratrum, Nux-vomica, etc.
Vous allez aussi retrouver ces composés toxiques dans les chimiothérapies. La toxicité, justement est utilisée par le corps médical pour détruire la cellule cancéreuse. Vous avez par exemple la vinblastine et la vincristine de la pervenche de Madagascar.
En herboristerie familiale
Pour revenir à ce qui nous intéresse en herboristerie familiale, on trouve aussi des alcaloïdes plus anodins dans certaines plantes que l’on va utiliser dans notre pratique.
En général, soit les alcaloïdes sont présents en faible quantité, soit l’alcaloïde lui-même ne présente pas une grande toxicité.
On essaye néanmoins de les prendre soit pendant une période relativement courte (il n’y a pas de grand accord sur le sujet de la durée), soit on les mélange à d’autres plantes de telle manière à ce que leur quantité soit minimale.
Je vous donne les plantes que vous allez rencontrer le plus souvent :
➜ L’agripaume (Leonurus cardiaca), avec la léonurine. Je vous ai déjà parlé de cette plante dans une vidéo, c’est une plante qui peut être utile dans les cas d’angoisses ou dans les cas de palpitations cardiaques.
➜ La fumeterre (Fumaria officinalis), avec la fumarine, fumaricine, fumariline, etc. C’est une plante qui contient de nombreux alcaloïdes, et pourtant c’est une classique d’herboristerie. C’est une plante qu’on utilise surtout pour stimuler les fonctions du foie. Voir ma vidéo ici.
➜ La chélidoine (Chelidonium majus), avec la chélidonine, la berbérine, la sanguinarine. Voir mon article ici.
➜ Le pavot de Californie (Escholtzia californica), avec l’eschoscholtzine et de très nombreux autres alcaloïdes. Voir ma vidéo ici.
➜ Le boldo (Peumus boldo), avec la boldine et d’autres.
➜ Le coquelicot (Papaver rhoeas) avec la rhoeadine. Voir ma vidéo ici.
➜ La petite pervenche (Vinca minor) avec la vincamine.
➜ L’épine-vinette (Berberis vulgaris) avec la berbérine.
Et j’en passe, ceci n’est pas une liste exhaustive.
Comme vous pouvez le constater, les plantes à alcaloïdes ne sont pas si rares que ça en herboristerie. De plus, les alcaloïdes dans ces plantes communes sont très importants, ils sont en grande partie responsables des propriétés de la plante, et au final ils présentent un risque très minime.
La bérbérine de l’épine-vinette par exemple est très importante, on en parle beaucoup comme antibactérien puissant, très intéressant pour les infections entériques résistantes aux antibiotiques. Très intéressant aussi pour faire baisser la glycémie sanguine.
Les alcaloïdes peuvent donc être bénéfiques pour notre santé aussi. Tout est une histoire de contexte.
Le cas des alcaloïdes pyrrolizidiniques
Sympathique comme nom. Répétez 10 fois à voix haute.
J'aurais dû en parler dans ma vidéo, mais j'ai oublié. Qu'à cela ne tienne, je vous ai préparé 2 articles sur le sujet.
Ces alcaloïdes peuvent-être problématiques pour le foie. On les trouve dans certaines plantes de la famille des boraginacées (consoude, feuilles de bourrache, la pulmonaire en contient en principe très peu) et certaines astéracées (pétasite, tussilage, etc).
Lisez ces deux articles, ils sont importants (et un peu dense, je le reconnais...) :
- Consoude : toxicité des alcaloïdes pyrrolizidiniques
- Consoude, tussilage et alcaloïdes pyrrolizidiniques
Conclusion
J’espère avoir démystifié ce mot qui fait parfois un peu peur.
Oui il y a des alcaloïdes poisons, il faut le savoir.
Oui, il y a aussi des alcaloïdes dans les jolis pétales de coquelicot, ceux que l’on utilise pour faire des sirops pour les enfants.
Au final, je pense que l’on peut utiliser une règle simple : si la plante est autorisée à la vente en herboristerie, en principe vous n’avez pas à avoir peur des alcaloïdes.
Demandez conseil à votre herboriste ou à votre thérapeute au passage bien sûr si vous voulez vous rassurer, faites vos recherches, ça c’est très bien. Mais en général, ces plantes-là sont bien tolérées et ont un long historique d’utilisation.
En revanche, s’il vous prend l’idée d’aller ramasser des plantes à alcaloïdes en nature, des plantes qui ne font pas partie de nos plantes communes des herboristeries, des plantes que vous ne connaissez pas bien, alors vous mettez peut-être votre vie en danger...