QR3 : sacs de cueillette, sucres, on débugue un mélange : (abonnez-vous au podcast ici)
Nouvel épisode de " Question réponse ", le QR n°3. On va suivre le même format que la dernière fois et on va faire 1 question jardinage ou cueillette, 1 question transformation, et 1 question pratique du conseil et de l'accompagnement.
Pour vous situer un peu le niveau des questions, les 2 premières sont niveau débutants ou confirmé, elles devraient intéresser tout le monde. Et la dernière question est un peu plus destinée aux confirmés. Ceci dit, si vous êtes débutants, j'espère vraiment que vous allez rester avec nous car c'est en vous imprégnant de ce genre de discussions que vous allez progresser.
Avant de démarrer, des mises en garde. Je vous rappelle que ne suis ni médecin, ni pharmacien, ni professionnel de la santé. Je suis là pour partager des informations avec vous. Mais ceci ne remplace absolument pas un suivi médical, et n'a pas vocation d'être diagnostic ou prescription ou autre acte médical.
Question réponse 1. Cueillette : organisation du sac à dos
Allez, c'est parti, première question d'Agnès :
"Il m'arrive souvent de faire quelques petites ramasses lorsque je randonne. En principe, je mets les plantes coupées en vrac dans mon sac à dos, et je les dispose par couches lorsque j'ai ramassé plusieurs plantes. Que conseilles-tu pour organiser tout ça dans le sac à dos pour ne pas que ça s'abime ?"
Ça c'est une situation qui arrive très souvent. On est en rando, on a envie de faire une petite cueillette parce qu'on est tombé sur cette magnifique zone à reine-des-prés. Et là, on se dit, comment je vais stocker ça dans mon sac à dos ? Sachant qu'il est 8h du matin, que là, il fait encore frais, mais qu'il me reste 7 heures de marche sur le GR10 et que dans l'après-midi, ça va cogner.
Précisons aussi qu'on parle de cueillette amateur, à petite échelle, avec de petites quantités, et pas de cueillette professionnelle ici.
Mettre les plantes en vrac et par couches, c'est pas terrible. D'abord, car tu vas commencer à faire tes mélanges dans le fond du sac à dos, et ça, c'est pas le but. Pendant que tu marches, tu fais bouger tes plantes, des morceaux vont se détacher (des feuilles, fleurs, branchettes) et ça va créer du vrac au fond du sac et tu ne sais pas ce qui est du serpolet, de l'origan ou de l'ortie. OK, tu es peut-être en train de te faire le "mélange stimulant de l'immunité pour l'hiver"... mais c'est pas le bon moment de le faire.
Donc, voici ce que je conseille. Il faudrait toujours avoir 2 ou 3 sacs en toile de jute dans le sac à dos, prêt à partir, au cas où on voudrait faire une petite cueillette. La toile de jute, c'est léger, ça ne tient pas trop de place. Le sac plastique, c'est pas bon, comme tu peux t'en douter. D'abord parce qu'on ne veut pas de micro plastiques dans nos cueillettes. Et puis parce que ça ne respire pas, ça va fermenter avec l'humidité, en particulier s'il fait un peu chaud et si on doit marcher un peu plus longtemps que prévu.
Le sac en papier kraft, c'est mieux, mais en fait, je trouve que ça ne respire pas aussi bien que la toile de jute, ou autre type de toile ou de tissu d'ailleurs, ça peut être du coton, tant que c'est naturel et que tu sais d'où ça vient et comment c'est fabriqué. Si je n'avais que des sacs en papier kraft, je les utiliserais plutôt que de tout mélanger.
Donc 2 ou 3 sacs vides, pour faire 2 ou 3 cueillettes max. Sinon, on finit par tout entasser dans le sac à dos, ça s'écrase, ça s'abime, et puis au plus on empile et on compresse, et au moins l'air circule, au moins ça respire et au plus ça peut cuire là-dedans. Donc parcimonie, minimalisme, on reviendra ramasser si nécessaire.
Dans mon sac à dos, j'essaie de répartir mes sacs pour qu'ils ne soient pas trop écrasés les uns contre les autres, et je laisse mon sac à dos, au niveau de la grande poche, en partie ouvert sur le dessus, pour que ça respire. Bien sûr, attention de ne rien perdre si le sac venait à s'ouvrir un peu trop. Moi j'ai toujours du fil de fer, un ou deux élastiques, des pinces à linge pour justement faire mon petit bricolage, attacher mes fermetures Éclair en position semi-ouverte, accrocher un nouveau sac à l'extérieur du sac à dos si nécessaire, etc.
Voilà, rien de sorcier, mais ça marche plutôt bien.
Question réponse 2. Transformation : sirops de légumes frais et sucre
Parlons maintenant des sirops que l'on prépare à partir de légumes frais, des sirops très utiles pendant la période hivernale. Je pense en particulier au sirop de radis noir ou d'oignon. Récemment, on m'a parlé de l'efficacité du sirop de navet que je n'ai pas encore testé. Ce sont des sirops qui sont mucolytiques et expectorants, c'est-à-dire qui aident les poumons à désinfecter puis évacuer une toux un peu grasse.
Les légumes utilisés ici appartiennent à la famille des brassicacées, une famille qui contient des substances soufrées qu'on appelle glucosinolates. Ce sont ces substances qui viennent faire tout le travail au niveau du tissu pulmonaire.
Question de Ricco : "Je t'ai entendu parler de sucre pour ce type de sirop, ne penses-tu pas qu'il est temps qu'on fasse une croix sur cette pseudo-toxine des temps modernes ?"
Merci pour ta question Ricco. Alors, rembobinons un peu. Ces sirops, on les prépare d'une manière très simple en alternant une couche de légume frais, des tranches de radis noir par exemple, une couche de substance sucrante, et ainsi de suite. On laisse reposer quelques heures et la substance sucrante va venir tirer le jus frais de la plante fraiche (au travers d'un processus de pression osmotique), et on se retrouve avec un sirop au fond du récipient constitué du mélange de la substance sucrante et du jus frais de la plante.
C'est super rapide, prêt au bout d'une heure, parfois même moins. Simple, efficace, et plutôt agréable à boire. Tout est relatif bien sûr, mais de toutes les préparations à base de plantes, celle-ci passe plutôt bien.
Mais revenons au point important et à la question de Ricco. On utilise donc une substance sucrante pour venir "tirer" le jus de la plante. La grande question, c'est quelle substance sucrante utiliser ? En ce qui me concerne, j'ai expérimenté avec 3 substances :
- Le sucre blanc ou le sucre roux ;
- Le miel, qui en soi a des propriétés thérapeutiques, on aime beaucoup le miel dans ma famille ;
- Et la mélasse brute de canne à sucre, que je trouve absolument délicieuse, mais qui n'est pas au goût de tout le monde (c'est assez fort). D'ailleurs, dans la famille, je pense être l'un des seuls à me délecter de cette substance noire et épaisse avec un goût assez prononcé.
Le sucre, tout le monde en a chez soi. Donc il y a clairement un aspect pratique. Et lorsque je parle de sucre, il y a souvent une forte insurrection des personnes en face de moi, en particulier si ce sont des personnes qui travaillent dans le monde de la santé naturelle.
"Mais comment oses-tu évoquer le sucre, ce poison des temps modernes". Alors, je vous rassure, je suis bien conscient de la problématique, j'évolue dans le contexte des troubles métaboliques depuis les années 2000.
Mais, je n'aime pas voir les choses avec un filtre blanc et noir. Tout est une question d'évaluer le ratio bénéfices sur risques. Si j'ai besoin de préparer quelque chose en vitesse en période hivernale, que je n'ai que du sucre à la maison, que je m'alimente relativement bien d'un point de vue charge glycémique, je vais pouvoir prendre soin de moi rapidement avec deux ou trois oignons que j'avais dans mon placard et du sucre blanc. Je n'ai absolument aucun problème avec ça. On fait ça sur 2 ou 3 jours, et c'est plié si c'est une condition relativement bénigne. Le ratio bénéfices sur risques, là, c'est largement positif.
Et il y a un truc qui m'a toujours titillé. C'est le fait que j'ai vraiment l'impression que le sucre tire beaucoup mieux le jus de ces plantes fraiches que les autres substances sucrantes. Donc je suis allé renifler dans les études. Et j'en ai trouvé une qui est venue confirmer cette intuition que j'avais. Une étude de l'université des sciences agricoles à Dharwad en Inde. L'université à mesuré le pouvoir de déshydratation du sucre, du miel et de la mélasse sur des morceaux de melon. Donc le pouvoir de "tirer" le jus.
J'ai pris les chiffres, j'ai fait mon petit tableau Excel car je suis un vrai geek, je l'avoue. L'étude ainsi que mon tableau se trouvent sur mon site dans l'article associé à cet épisode. Et voici ce que j'ai trouvé :
- Avec le sucre, on va tirer 17% d'humidité en plus que le miel
- Toujours avec le sucre, on va tirer 25% d'humidité en plus que la mélasse
Donc à quantités égales, le sucre semble plus efficace que le miel et la mélasse, et le miel semble plus efficace que la mélasse.
Bien sûr, c'est pas aussi simple que ça, car le miel, c'est aussi de l'eau. Donc il faudrait pouvoir comparer à quantité égale de sucre, et pas à quantité égale de la substance sucrante, car comparer une substance sèche comme le sucre et une substance humide comme le miel et la mélasse, c'est pas très juste.
Mais c'est venu confirmer mon observation qu'avec pas beaucoup de sucre, finalement, on arrivait à "tirer" extrêmement bien le jus frais de ces légumes. Et avant que vous ne postiez des centaines de commentaires à ce sujet, je vous rappelle qu'à choisir, je choisis un bon miel pour faire mes préparations. Mais écarter le sucre de but en blanc, non, je refuse, car sur une courte durée et pour dépanner, ça peut vraiment rendre service. Ceci dit, ce n'est qu'un avis personnel, bien évidemment.
Échantillon |
Frais sans substance sucrante | Sec sans substance sucrante | Sec après traitement avec solution contenant 60% sucre | Sec après traitement avec solution contenant 60% miel | Sec après traitement avec solution contenant 60% mélasse |
Humidité (g/100 g de plante fraiche de départ) |
93,63 | 12,62 | 6,65 | 8,82 | 9,9 |
Matière sèche restante, exprimée en pourcentage de l'échantillon sans substance sucrante | N/A | 100% | 53% | 70% | 78% |
Question réponse 3. Conseil : mélange qui ne convient plus
Allez, on passe à une question super intéressante car on va rentrer dans la finesse de la pratique. La question m'a été posée par une praticienne que j'ai croisée il y a quelques semaines.
Elle a conseillé un petit mélange de plantes à une de ses clientes. C'est pour une situation hépatique un peu compliquée, la personne est en surpoids, avec stéatose hépatique, parfois élévation des marqueurs hépatiques. Donc un foie qui souffre, qui est enflammé et qui accumule des lipides dans ses cellules, une situation que l'on voit de plus en plus souvent aujourd'hui hélas.
Cette personne est suivie par son médecin qui fait régulièrement des analyses et bilans pour suivre l'évolution.
Le mélange de plantes en question, la cliente l'a utilisé dans le passé sans aucun problème. Et ça lui a fait beaucoup de bien. Le médecin a pu constater une baisse des marqueurs inflammatoires hépatiques après chaque cure. Donc ça, c'est très positif.
Mais là, le mélange lui provoque des diarrhées avec poussée d'hémorroïdes. Aïe.
Cette praticienne m'a posé 2 questions :
- Est-ce que, dans ce mélange, à ma connaissance, il y a une ou plusieurs plantes qui pourraient être en cause ?
- Et pourquoi est-ce qu'un mélange, qui passait bien avant, ne passe plus tout à coup ?
Donc on va débugger ce mélange ensemble. Il contient 5 plantes mélangées à parts égales dans le sachet :
- Romarin, feuilles
- Boldo, feuilles
- Artichaut, feuilles
- Desmodium, feuilles
- Menthe poivrée, feuilles
1 cuillère à soupe du mélange par tasse en infusion, 2 tasses par jour, c'est ce qu'on lui a préconisé.
Si vous ne connaissez pas ces plantes, je vous fais un petit topo rapide. Elles sont toutes hépato protectrices. Les études nous ont montré que ces plantes calment l'inflammation au niveau du foie et permettent aux hépatocytes, ces petites cellules fonctionnelles qui agissent comme centrales de transformation, de mieux gérer le stress oxydatif grâce à la production d'antioxydants. Donc oui, elles sont bel et bien protectrices d'un foie qui soufre, et c'est dans ce contexte qu'il a été formulé.
Ces plantes ont d'autres propriétés. Je ne vais pas toutes vous les donner. Mais je vais souligner que 2 des 5 sont fortement cholérétiques et cholagogues. C'est-à-dire qu'elles stimulent la production et l'évacuation de bile dans le système digestif, et elles le font d'une manière efficace. C'est la feuille d'artichaut et le boldo. Vous allez voir pourquoi je vous parle de ça.
La menthe poivrée et le romarin le sont aussi, mais beaucoup moins, en général ces deux passent très bien. Et l'exception, c'est le desmodium qui, à ma connaissance, n'augmente pas la production biliaire, mais a démontré son efficacité comme protecteur remarquable du foie.
Ceci étant dit, répondons maintenant aux questions. Dans ce mélange, n'y aurait-il pas une plante qui me saute aux yeux pour la réaction diarrhées et hémorroïdes. Parfois, ce n'est pas très clair. Mais là, pour moi, c'est clair. C'est le boldo. Car dans mon expérience, il a parfois provoqué une irritation du tube digestif et des hémorroïdes chez la personne sujette. En fonction des quantités prises bien évidemment. Mais dans le passé, j'ai pu constater ce type de réactions chez les personnes qui ont un terrain digestif sensible. Le boldo est un peu trop irritant pour certains. Donc là, direct, je l'enlève et je reteste le mélange.
Ca, c'est une situation classique, dans le sens où les plantes ont des propriétés principales, mais aussi ce que j'appellerais des "énergies collatérales". Parfois, on soulage ici mais on vient peu petit peu irriter là aussi. Certains diront "oui mais ça veut dire que tu ne sais pas ce que tu fais". Et là, je vous inviterais à venir pratiquer régulièrement, et je vous propose qu'on en reparle dans quelques années.
Ceci dit, il y a une autre plante qui pourrait être impliquée. C'est l'artichaut. Elle est aussi fortement cholérétique et cholagogue, elle stimule la production et la relâche de bile dans les intestins. Et cette relâche, chez la personne qui a un terrain digestif sensible, peut parfois provoquer de petites diarrhées. Mais moins que le boldo.
Est-ce que j'enlève cette 2e plante pour être sûr, et du coup, il ne me reste plus que le romarin, le desmodium et la menthe poivrée ? Oui, probablement. On va donner du répit à la personne, enlever ces sources d'irritation potentielle. Et ensuite, en fonction des résultats obtenus avec ce mélange simplifié, ou peut-être du manque de résultats par rapport à la version précédente, on rajoute l'une des 2 plantes, on reteste et on voit. Laquelle je rajouterais ici en priorité ? Basé sur ma propre évaluation du ratio bénéfices sur (excusez mon langage) emmerdement potentiel, je rajoute l'artichaut et pas le boldo.
Cette précaution à prendre avec le boldo, j'ai regardé tous mes ouvrages, et je ne l'ai trouvée que chez Paul-Victor Fournier qui nous dit "On reproche par contre au boldo, si l'emploi n'est pas parfaitement judicieux, d'être irritant et congestionner le foie". Petite phrase cachée dans une grosse tartine de texte. Mais quelle phrase !
Parfois, lorsqu'on n'a pas de pistes, on arrête toutes les plantes. On fait une pause, et ensuite on voit comment reconstruire ce mélange une plante à la fois, je parle ici du cas où on n'a vraiment pas d'idée sur ce qui aurait pu provoquer les inconvénients.
Si vous voulez comprendre toutes ces subtilités, n'oubliez pas mon programme "Introduction à la pratique de l'herbalisme" dans lequel on pose toutes ces bonnes bases de la pratique, programme qui constitue l'un des bloc de fondation du programme complet Althea.
C'est tout pour aujourd'hui. Merci pour votre intérêt. Je vous dis à très bientôt !
Références
Kudri, Shruthi & Tadakod, Mansurkhan & Deaai, Satish & Hegde, Pavitra & Sreeramaiah, Hemalatha & T., Harshitha. (2022). Effect of molasses, honey, and sugar on osmotic dehydration of muskmelon (Cucumis melo L.).