Interview de Guillaume Bouguet : connaître les plantes aromatiques sauvages : (abonnez-vous au podcast ici) :
Je suis aujourd’hui avec Guillaume Bouguet de la société Flore en Thym spécialisée dans la cueillette, la transformation et la vente de plantes aromatiques sauvages, telles qu'elles poussent dans la garrigue, près de Montpellier.
Guillaume est un grand passionné de plantes aromatiques, il les connaît d’une manière pratique. Il sait comment les observer, les ramasser, prendre soin de l’environnement, de la conservation des plantes.
Il les connaît aussi d’un point de vue technique et scientifique vu qu’il a beaucoup étudié les terroirs, les chémotypes, etc. On va avoir une discussion super intéressante. Si vous vous intéressez aux plantes aromatiques sauvages, restez avec nous, je vous promets une belle conversation.
Plantes Aromatiques Sauvages : présentation de Guillaume
Christophe : Guillaume, bonjour.
Bonjour Christophe.
Guillaume, tu vis dans la région de Montpellier, pas très loin du Pic Saint-Loup. Est-ce que tu es natif de la région?
Je ne suis pas né au Pic Saint-Loup, mais j’y habite depuis que je suis tout petit.
Tu connais donc bien cette nature, cette garrigue, ces plantes sauvages?
C’est ça. J’ai grandi dans les garrigues, j’ai beaucoup crapahuté dans ces coins, donc je les connais depuis toujours et après, par le biais des études, j’ai commencé à plus explorer ce qui s’y trouvait exactement, découvrir la biodiversité et les plantes qui se trouvent dans ces garrigues.
Quand tu étais enfant, tu commençais à t’intéresser aux plantes?
J’étais intéressé par la nature au sens large et j’ai un père qui a toujours été passionné de plantes, qui a transmis. Reconnaître certaines plantes, expliquer ce que l’on pouvait en faire, c’est quelque chose qui a une part de transmission familiale.
Je vais raconter la petite histoire de comment je t’ai trouvé.
C’était il y a quelques années, je faisais des recherches sur les cueilleurs de thym et je recherchais un document qui expliquait ce qu’était ce métier dans le passé. Comment ils fonctionnaient, comment les gens s’y prenaient pour ramasser et je suis tombé sur un trésor que tu connais bien qui s’appelle La cueillette du thym dans les garrigues, et tu en es l’auteur.
C’est ton rapport de stage de deuxième année, lorsque tu as fait ton master d’ingénierie en écologie et gestion de la biodiversité.
Ce document est génial, il m’a beaucoup plu. D’ailleurs, je m’en suis servi pour écrire une des lettres d’information, qui, je pense, a été la plus lue et appréciée. J’ai eu tellement de retour sur ces informations. C’était très bien reçu. On revient à tes études, c’est quoi qui a décidé de faire ce master ? Tu t’es toujours intéressé à l’écologie, tout jeune ? C’est arrivé plus tard?
Ça s’est construit dans les études. Au départ, je voulais avoir une approche pratique et théorique en même temps. C’est ce que j’ai appelé, au début de mes études, le côté «paysan-chercheur», qui n’était pas un mix qui plaisait, ni aux chercheurs, ni aux paysans.
Ce sont des mondes qui sont, des fois, assez éloignés et l’idée, c’était de se rendre compte que les principaux praticiens au niveau de la terre, ce sont les agriculteurs, paysans, producteurs et que des fois, le temps qu’ils aient des informations qui arriveraient de la science fondamentale, pour faire évoluer les pratiques, ça met extrêmement longtemps.
Ça passe par tout un tas de recherches appliquées, les instituts appliqués, etc. Des fois, il peut y avoir dix, quinze, vingt ans pour que l’information circule.
De l’autre côté, le paysan, lui, il observe beaucoup de choses, mais il n’a pas forcément l’interlocuteur en face.
C’était raccourcir ce système et être à la fois à la production et sur cette partie scientifique. Petit à petit, évoluant sur différents produits, puisque j’ai commencé par la tomate, puis j’ai travaillé sur la truffe et maintenant sur le thym. Je suis spécialiste des produits qui commencent par la lettre T visiblement.
C’était de pouvoir trouver des produits qui permettraient d’entretenir ce milieu de garrigue puisque j’étais sensibilisé au fait que les garrigues se ferment. Il y a une très belle biodiversité dedans, mais il y a eu des changements de pratiques sur les siècles passés qui ont fait que tout ça, ça change et aujourd’hui, on a guerre de solution, hormis mettre en place des plans de conservation, des actions d’entretien ou des choses comme ça.
Il n’y a plus réellement d’activité dans ce milieu et l’idée, c’était de s’intéresser à ce qui pousse dans ces milieux, ce que l’on pourrait y faire et là, j’y suis arrivé.
Je suis arrivé sous cet aspect de cueilleur de plantes que je connaissais peu. Je me suis rendu compte qu’il y avait une forte activité en m’intéressant à cette partie d’histoire et j’ai pu rencontrer la personne que tu mentionnais, Joseph, qui a été le papy cueilleur qui m’a transmis les rudiments du métier, avec qui j’ai fait un certain nombre d’entretiens pour apprendre plus sur sa profession.
Ça s’est passé pendant ce stage de sept mois, que tu as fait en fin d’étude, c'est ce qui a permis de produire ce document que tu as écrit. Raconte-nous comment ça s’est passé ce stage. Comment tu t’es organisé? Comment tu es rentré en contact? Comment on trouve ces cueilleurs de thym? Est-ce que tu as fait des découvertes qui t’ont surpris ?
Ça s’est fait au fur et à mesure. Déjà, par la rencontre de Joseph, parce que je le connaissais avant de faire le stage et je m’intéressais à la cueillette des plantes. Il y a eu cette personne puis les réseaux locaux, en discutant avec les papys de mon village et le papy Joseph, il m’a dit «Il y avait untel dans un village, qui autrefois faisait de la cueillette.»
J’ai fait une espèce de travail de proche en proche pour retrouver les quelques-uns, les derniers, puisque ce sont les derniers représentants. Aujourd’hui, Joseph est décédé, lui ne transmettra plus jamais rien et je pense que de cette période, ils ne sont plus très nombreux.
C’était difficile d’avoir des personnes qui ont vraiment fait ça. Après, j’ai décidé de rencontrer des enfants de personnes qui avaient fait de la cueillette.
On se rend compte déjà à leur niveau, qu’il y a une perte d’informations. Qu’ils ont fait ça gamin pour aider, qu’ils peuvent transmettre ce dont ils se souviennent, mais on est sur une première perte de savoir. Ça a été long, il n’y avait pas beaucoup de ces anciens cueilleurs. Je crois que c’était au nombre de huit pour l’Hérault, si je me souviens, ce que j’ai réussi à retrouver. C’était maigre.
Les anciens et la gestion de la cueillette des plantes aromatiques sauvages
À cette époque, est-ce que l’on avait ce concept de conservation de la ressource? Parce que je suppose que quand on est cueilleur, ce concept a toujours existé. On ne voulait pas trop cueillir, pour que l’année suivante, il y ait toujours des plantes à notre disposition. Comment ça se faisait à l’époque ?
Il y avait une forme de gestion, puisque les cueilleurs faisaient de faibles distances car on n’était pas avec des voitures, etc. pendant longtemps.
Il fallait livrer à Montpellier, 20, 25 kilomètres, on n’y allait pas tous les matins. Ça se faisait à la carriole, c’étaient des expéditions plus importantes donc les anciens cueillaient dans les dix, douze kilomètres, c’est ce que j’avais retrouvé en chiffres, autour de chez eux. C’était localisé et ils devaient se débrouiller avec les plantes qui poussaient autour de chez eux.
Il y avait une vraie nécessité de bien gérer, parce que si c’est mal géré une année, l’année suivante, il n’y a plus assez. On s’est rendu compte qu’ils avaient les mêmes perceptions que ce que l’on avait pu trouver dans la science. La partie importante pour une plante comme le thym, c’est de cueillir la repousse de l’année, après, on la laisse se reposer et les anciens refaisaient la prospection tous les quelques mois, pour voir si le thym avait assez poussé ou pas assez poussé. Quand ils estimaient qu’il était suffisamment long pour le récolter, ils allaient faire les récoltes à nouveau. Il y avait une forme de gestion, c’est certain.
On prenait le soin de laisser quelques pieds de thym monter en graine par exemple?
Il en reste toujours un peu, parce que l’on ne cueille jamais 100 % de la plante.
Une des particularités, c’est que les anciens travaillent beaucoup le thym l’hiver. C’est ce que je fais aussi. C’est plutôt le thym feuille, plus alimentaire, que l’on peut utiliser en tisane, mais c’est essentiellement ce qu’ils faisaient.
Parce que j’ai vu récemment que les cueilleurs, ce que j’appelle «cueilleurs modernes» des mouvements post 68, eux, travaillent exclusivement la plante en fleur. Ils m’avaient même dit que l’hiver, le thym ne poussait pas.
Donc je me suis rendu compte en allant sur le serveur des anciens, qui était très pratique, eux, le récoltait bien en avance. Parce qu’il y a une première pousseà la sortie de l’été, quand on a les premières pluies cévenoles et une deuxième pousse avant le printemps.
C’était intéressant, parce que ça offrait sur une plante comme ça, une possibilité de cueillir longtemps sur une année. C’était le modèle que l’on avait construit. C’est une plante rustique, c’est beaucoup de boulot, mais c’est comme cela qu’ils avaient organisé parce que Joseph travaillait avec son frère qui s’appelait Florentin et que les deux frères travaillaient dix, douze plantes sur l’année.
À l’époque, je suppose que l’on vendait beaucoup pour ce qui était alimentaire?
Il y a eu beaucoup d’herboristeries aussi.
Il y a eu beaucoup d’herboristeries ? Parce que c’est vrai que l’on a toujours cette règle d’essayer de cueillir les plantes aromatiques sauvages au moment de la floraison. Je pense que ces nouveaux cueilleurs essayent de suivre cette règle, alors que dans le passé, c’était plus pratique et pragmatique. C’était quand on avait une belle masse aérienne, on cueillait pour récolter.
C’était ça. Ils distinguaient parce qu’il y avait la distillation à cette époque donc ils pouvaient peut-être distinguer un peu, mais je sais que les anciens que j’ai rencontrés faisaient essentiellement l’hiver. Ils partaient livrer du côté de Marseille, parce qu’ils ont, eux, beaucoup travaillé leur activité au moment où toute l’industrie qui était à Montpellier s’est effondrée.
On a eu une très belle industrie pendant quelques siècles, finalement, tout ça a disparu et eux continuaient à livrer du côté de Marseille, sauf qu’il me disait qu’ils vendaient, mais ils ne s’intéressaient pas à ce qui se passait derrière. On cueille, on vend, c’était plus simple comme fonctionnement.
L’industrie, elle est partie aux grosses productions, elle est partie à certains pays du Sud de l’Europe, même certains pays de l’Est de l’Europe, qui produisent aujourd’hui du temps très bon marché, de basse qualité, mais très bon marché.
C’est ce qui s’est passé. Il y a eu l’arrivée de la culture et de normes plus contraignantes.
Les anciens que j’ai vus, ils étaient sur la fin de l’activité. Toutes ces nouvelles réglementations, ça leur parlait peu et il n’y avait pas de repreneurs à ce moment-là.
C’était aussi un des problèmes. La terre est basse, le thym rustique, les papys n’arrivaient pas à trouver de jeunes pour reprendre l’activité, parce que c’était trop dur.
Je le vois moi aussi dans l’activité qu’il y a les mêmes soucis. Toute la partie cueillette, petit à petit s’est effondrée, on a eu l’arrivée de la culture qui a remplacé ça et toutes les importations, Espagne,Maroc, Maghreb et maintenant Europe de l’Est qui sont d’énormes producteurs sur ces plantes.
Quasi imbattables côté prix.
Mais il n’y a pas la qualité.
Qu'est ce que le chémotype ?
C’est ça, il n’y a pas la qualité. On en reparlera probablement dans un moment. Il y a le volume, il y a le prix, mais côté qualité, on ne s’y retrouve pas. Pour en revenir à tes études, il y a un concept qui est, je trouve, très intéressant, que tu as mentionné, c’est le fait que d’un côté, on a le monde paysan avec des pratiques qui sont parfois intuitives, qui sont basées sur l’expérience et on a le monde scientifique qui peut pousser la recherche d’une manière très pointue mais on a rarement des intersections entre les deux mondes. Tu as fait ces études et je crois comprendre qu’elles t’ont permis de faire cette intersection. Est-ce que tu pourrais nous donner un exemple de recherches qui ont été faites et qui pourraient apporter un savoir précieux au monde paysan sur les plantes aromatiques sauvages ? Mais, cette pollinisation croisée ne s’est pas faite ou s’est mal faite peut-être. Est-ce que tu as un exemple en tête ?
Les travaux que j’ai fait sur mon master 1. Avec le CNRS, on a travaillé sur l’évolution de la répartition des chémotypes en fonction du changement climatique.
Là, on est sur des choses qui sont très pointues, ça a donné lieu à une publication dans une très grosse revue, PNAS, qui est une des plus grosses revues en écologie et on a eu aussi pour cette publi, un prix international d’écologie, le prix WS Cooper, décerné par la société américaine d’écologie.
On est rentré sur du très haut niveau en termes de connaissances sur la plante, par contre, ça n’a pas du tout ruisselé sur les gens qui appliquent. Ce qui était intéressant à travers cette publication, c’était de pouvoir avoir un aspect prospectif sur l’évolution des populations de thym et se dire que si je plante un chémotype au mauvais endroit, il risque d’y avoir soit une sécheresse trop forte et ce chémotype ne supporte pas, il risque de crever ou c’est l’hiver qui peut lui faire du mal.
C’était d’arriver à pouvoir faire évoluer ces pratiques en termes de plantation et ça, je l’ai vu beaucoup. J’aivu des producteurs qui ont fait des erreurs grossières quand on sait ces choses. On plante deux chémotypes sur une même parcelle et en une nuit, il y en a un qui crève, parce que coup de froid et qu’il n’est pas adapté. On se rend compte que la notion d’écologie fondamentale de la plante permet d’améliorer beaucoup sur la culture.
Est-ce que tu pourrais nous donner un exemple ? Si on prend le chémotype thymol du thym et le chémotype thujanol. Tu es en train de dire, chaque chémotype a des besoins très spécifiques, ils ne poussent pas aux mêmes endroits, ils ont des besoins de température et de climat qui sont différents. Entre ces deux chémotypes, quelles sont les grandes différences ?
Il y en a deux, il y a deux grands groupes.
On a d’un côté le thymol, le carvacrol, qui ont des chémotypes a composés phénoliques et de l’autre côté, on a le linalol, le thuyanol, l’alpha-terpinéol, le géraniol, qui sont des composés qui ont des huiles essentielles avec des composés non-phénoliques.
On a ces deux groupes qui se répartissent différemment dans la garrigue. On a le thymol et le carvacrol qui sont issus des milieux qui sont chauds, secs à sol superficiel. Là, on a des plantes adaptées à l’aridité, surtout la sécheresse de l’été.
L'autre groupe avec le thuyanol, ce sont des plantes qui poussent dans des milieux plus frais, plus humides avec des sols plus profonds et qui sont eux, plus adaptés en cas de gelées sévères, précoces l’hiver.
On a une répartition qui est fonction de ces deux éléments, d’un côté, les sécheresses estivales, de l’autre côté, les gelées sévères de l’hiver. La répartition se fait sur ces deux groupes. Après, on a un effet gradient, certains chémotypes sont plus adaptés et plus frais, d’autres le sont moins, mais on a grosso modo ces deux grands groupes.
D’accord. Si j’avais une parcelle par ici, dans le Vaucluse, dans un terrain où je fais pousser de la lavande par exemple, très caillouteux avec un temps très sec, très calcaire et que je veuille cultiver un chémotype thujanol par exemple.
Il y a des risques. Il y a un risque si l’été est trop difficile, que lui ait du mal à le supporter.
Flore en Thym, l'histoire
Raconte-nous Guillaume, l’historique derrière la société Flore en thym. Du moment où tu as eu cette première idée qui t’as germé en tête, au moment où tu as véritablement ouvert les portes et que tu as commencé à opérer cette société. Ça s’est passé sur combien de temps et comment t’es venue l’idée?
Ça a pris cinq ans de préparation du projet avant la création de l’entreprise.
L’idée de départ, c’était ce que j’expliquais tout à l’heure sur cet aspect de trouver des ressources dans les garrigues, qui permettraient, par leur exploitation, de pouvoir participer à la gestion et l’entretien du même milieu.
Après avoir travaillé un certain nombre d’années sur la truffe, je suis parti sur les aromatiques. De là, j’ai suivi un parcours particulier qui a mêlé les études, et beaucoup de stages. J’ai fait une forme d’alternance à l’université puisque j’ai terminé avec pas mal d’expérience en agricole, plus de trois ans quand j’avais un bac +5, trois ans en agricole, deux ans en labo. Ça veut dire que j’ai fait mon parcours plus lentement, mais j’ai pu acquérir beaucoup d’expérience et, associé à ce parcours d’université et de stages, j’ai fait des formations de création d’entreprise innovante.
J’ai été ensuite accompagné par un incubateur en économie sociale et solidaire et par une pépinière d’entreprises jusqu’à la création et post-création. Ça a été un parcours long pour acquérir des compétences pratiques de paysan, il faut se faire le dos en récoltant les plantes, planter les patates, les salades.
Toutes ces choses, c’est aussi là où on acquiert cette capacité à résister à la pénibilité du métier et de l’autre côté, la partie scientifique pour comprendre ce que je fais et améliorer mes pratiques.
Faire remonter l’information de ce que j’observe, pour voir si dans la bibliographie, il y a des choses qui pourraient expliquer ce que j’observe. Si ça n’y est pas, ça peut donner lieu à des études, ce que l’on a fait à plusieurs reprises, et la partie entreprise.
Au démarrage, je n’étais pas chef d’entreprise, il a fallu se former avec une partie en innovation parce que de manière surprenante, l’approche que j’ai pu avoir sur le métier, c’est d'un cueilleur plus moderne. Les anciens me disaient le thym, c’est du thym. Quand j’ai commencé à m’intéresser à ses chémotypes, les applications, tout ce que l’on pouvait faire derrière, c’était, à part dans l’huile essentielle, quelque chose qui était très peu utilisé.
Il y avait une fonction innovante là-dessus, de l’innovation sur les techniques de séchage, de transformation des plantes. Il a fallu faire beaucoup d’amélioration, avec des machines spécifiques. Il y a toute une partie d’ingénierie sur la partie transformation. Après, c’est toute la gestion des ressources que l’on peut faire derrière et il faut qu’il y ait un modèle économique qui tienne.
Mon idée, c’était de montrer que l’on pouvait vivre de la cueillette de plantes issues de la garrigue et que l’on pouvait trouver une viabilité économique. Tout le jeu était que l’entreprise, elle perdure dans le temps, sinon, la démonstration n’était pas faite.
Tu as une partie production et vente classique, tu as aussi un pied dans la recherche et dans la science, j’ai l’impression. Tu obtiens des financements pour faire certains projets, certaines recherches?
J’ai des aides. Quand on a du crédit d’impôt recherche, des choses comme ça.
C’est plus un accompagnement, j’ai fait des montages de dossiers pour avoir des aides pour avancer sur certains projets. Plus sur des aspects d’amélioration de machines, qui sont des choses qui ont été financées. J’ai pu participer à des études avec des scientifiques. Soit des études où je prends un stagiaire et ce ne sont pas des choses très coûteuses, il faut encadrer, il faut des terrains d’expérimentation, c’est de l’observation, des prises de mesures, etc. J’ai eu des choses de ce type et soit d’autres travaux avec équipes plus calées en chimie, mais qui étaient liées à des projets de recherche qu’avaient ces équipes.
C’est plus que l’on vient me chercher pour une expertise, des connaissances et ça me permet de garder toujours un pied dans la dimension scientifique, recherche et d’avoir potentiellement des publications qui peuvent sortir.
Ce qui positionne toujours la structure c'est d’essayer d’être en pointe sur ces plantes aromatiques sauvages.
Amélioration des machines
Quand tu parles de machines, nous, dans notre petit monde de l’herboristerie, ça reste simple. C’est un séchoir, parfois des appareils pour trier, monder, pour mettre en sachet et à t’écouter, j’ai l’impression qu’il y a plus d’expertise dans ce que tu fais. Est-ce qu’il y a des machines spécifiques pour certaines tâches que tu as mises au point ou que tu utilises ?
C’est plutôt sur les machines existantes, que l’on a fait un travail particulier.
J’ai un séchoir, c’est du séchage, mais j’utilise un système de dessiccation/conservation. Je vais sécher les plantes rapidement, mais en douceur, en 48-72 h, à une température qui est basse. Je vais stabiliser rapidement, mais doucement les plantes, ce qui fait que je vais éviter un certain nombre de dégradations dans le produit. Pour ne pas qu’après, j ’ai des développements de bactéries, de choses comme ça ou si ça montre trop en température, des oxydations de la couleur, des pertes aromatiques.
Il fallait déjà trouver un bon matériel pour faire ça, maîtriser ces aspects et ensuite, j’ai une mini moissonneuse-batteuse expérimentale que j’ai acheté à un fabricant de machines qui travaille pour le Cirad, des structures comme ça.
C'est une petite machine, elle doit faire quatre mètres de long, c’est une petite moissonneuse-batteuse. Elle a été ensuite améliorée par un cabinet d’ingénierie de façon à pouvoir améliorer le pré-tri des plantes, et j’ai une tamiseuse qui est un matériel de tri agricole classique, mais on a fait des améliorations sur le nombre de grilles sur les séparations de produit pour améliorer le tri.
Ce sont des machines classiques sur lesquelles on a fait ce travail pour, à chaque étape, améliorer le tri et avoir un produit qui ait moins de 5 % d’impuretés.
C’est un petit gain marginal, mais appliqué sur toutes les étapes de transformation qui fait qu’au final, tu as un produit qui a une belle couleur, qui a maintenu un parfum optimal, qui n’a quasiment pas de branche, qui a uniquement, si on parle du thym, des feuilles, donc un produit «plus pur». Est-ce que c’est rare de trouver ces méthodes ?
On trouve de tout, de ceux qui vont broyer la plante séchée, ce qui fait que l’on va retrouver des petits éclats de bois, quand c’est broyé fin, ce sont des choses que l’on peut voir dans le produit.
Quand on a un produit pur, ça se voit. Il faut que les feuilles ne soient pas trop grandes, sinon, on a des produits trop cultivés, on a tendance à avoir trop de matière végétale et moins d’arômes.
Sur le tri, les poussières, c’est souvent quelque chose que l’on retrouve. Si la poussière n’apas été bien enlevée, ça donne un goût résiduel qui est désagréable.
Ce sont toutes ces choses qui font qu’entre l’origine du produit sauvage, un bon séchage et un bon tri, j’arrive sur un produit fini qui se distingue d’autres produits, parce que je n’ai pas tous ces défauts aromatiques que l’on peut trouver si le boulot n’est pas bien fait.
Plantes aromatiques sauvage ou cultivées, quelle différence ?
Je vais rebondir sur la taille des feuilles, parce que juste avant que l’on commence a enregistrer, on a eu cette discussion sur certains thyms qui sont cultivés, auxquels on donne beaucoup d’eau, de ressources. On désherbe, donc le thym ne souffre plus, il fait une énorme masse aérienne, il produit beaucoup de volume avec des grosses feuilles, comparé au thym sauvage. Est-ce que tu peux nous ramener dans cette discussion intéressante, le contraste énorme entre ces deux thyms?
On a d’un côté, le thym sauvage qui pousse dans un milieu difficile, la garrigue et surtout ces sécheresses estivales qui sont dures. Un environnement agressif avec des parasites, des herbivores qui aimeraient s’occuper du thym.
Que ce soit le thym ou les autres plantes aromatiques sauvages, ce sont des plantes qui ne peuvent pas se déplacer contrairement aux animaux, elles développent des armes pour se protéger. Certaines développent des épines par exemple, les plantes aromatiques sauvages ont développé les huiles essentielles. Ces huiles essentielles ont un vrai rôle pour la plante, qui est d’attirer les pollinisateurs, il y a toute une communication avec les abeilles qui se fait grâce aux huiles essentielles, pouvoir repousser un parasite, un herbivore, empêcher d’autres plantes de pousser autour du thym.
Ça, c’est l’effet d’allélopathie que l’on rencontre chez cette plante, qui arrive à coloniser des milieux et grâce aux feuilles qui tombent sur le sol, se dégradent, génèrent de l’huile essentielle dans le sol, ça va empêcher d’autres plantes de germer.
On a des effets très intéressants sur l’huile essentielle et la plante, elle dépend de cette huile essentielle pour se protéger et en plus de la contrainte d’un climat difficile, elle ne va pas s’amuser à faire de très grandes feuilles. Parce qu’avec le soleil qui tape, on voit qu’en général, les feuilles, ça fini comme dans certains endroits avec les cactus où on a plus qu’une petite épine qui réduit au maximum la surface de la feuille.
On a d’un côté, cette plante sauvage et de l’autre, une plante que l’on va mettre en culture sur laquelle on va chercher à avoir une productivité.
C’est souvent l’idée de départ. On va essayer de la mettre dans des conditions très favorables, on va désherber, beaucoup arroser, faire un travail de sélection avant ça, pour avoir les plantes les plus jolies.
Tout ça, mis bout à bout, fait que l’on a des plantes qui sont avec des feuilles plus grandes, qui n’ont pas forcément autant d’huile essentielle, une huile essentielle qui peut être appauvrie puisque l’on cherche certains composés. On n’a pas forcément le même spectre aromatique entre sauvage et cultivée qui a perdu de sa nature.
Puisque la plante, n’ayant plus besoin de se protéger de cet environnement difficile et qu’on lui demande d’autre part, de faire beaucoup de matière végétale, va vouer son énergie sur la production de matière végétale et plus sur l’huile essentielle, qui ne lui sert plus à grande chose.
On arrive parfois sur des produits qui peuvent être avec un dosage d’huile essentielle moins intéressant et ça se retrouve quand on frotte la plante.
Il doit y avoir un vrai peps quand on sent une plante aromatique sauvage. On prend un petit bout, on frotte dans ses doigts, ça doit sentir très fort et là, des fois, ça ne sent pas très fort. Cela a même une odeur qui n’est pas aussi harmonieuse que la plante sauvage.
C’est l’effet quand on va cultiver à outrance voire pire, c’est ce que l’on a dans les pays de l’Est, une plante qui n’est pas cultivée dans son biotope. On sort complètement de l’intérêt de faire du thym, hormis de la production de matière végétale.
Attention même aux labels. J’ai souvent acheté du thym avec le label Bio, qui pourrait être un gage de qualité, mais je me suis retrouvé avec un thym qui n’était pas aromatique, qui n’avait pas une belle couleur et pourtant, qui avait été produit en bio. On peut faire une énorme production en bio, dans un milieu qui ne correspond pas aux plantes aromatiques et pourtant vendre sous le label, donc ne pas se fier nécessairement à ça.
Il faut regarder le visuel du produit. Ils doivent avoir cette couleur grise-verte, les feuilles ne doivent pas être trop longues. Surtout, évitez un produit s’il est oxydé, quand on est sur des couleurs foncées. J’ai même vu des produits où on était sur un genre de jaune pâle, vert pâle et ça, ça veut dire que le séchage, ça a été la catastrophe. Le produit a été séché trop vite et on a une perte ou des produits qui sont de couleur vert foncé. Là, on voit que ce sont des produits qui ont eu des soucis de séchage. Soit trop fort ou parce que l’on a une plante qui a plus d’eau en matière végétale et le séchage se fait moins bien.
Tu m’expliquais aussi que certains plans d’aromatiques sont sélectionnés pour leur chémotype. On peut sélectionner un plan de thym pour un chémotype thujanol, carvacrol, thymol, etc. Au plus, on va sélectionner ces plans, au plus ils vont développer ce chémotype précis, mais au détriment d’autres constituants. Tu m’expliquais, le cultivé sélectionné va avoir un pic autour du chémotype et autour de ce pic, une pauvreté.
C’est ça oui.
Alors que le sauvage va aussi avoir ce pic de chémotype, mais autour de ça, va avoir une grande richesse d’autres constituants.
C’est ça. La plante sauvage, elle n’a pas qu’un seul composé dans son huile essentielle, puisque l’intérêt pour se protéger, c’est que son huile essentielle soit toujours variable.
C’est ce que l’on peut voir après si on utilise une huile essentielle par rapport à un produit qui serait mono-molécule. On va avoir un effet sélectif par exemple sur une bactérie, au bout d’un moment, la bactérie s’adaptera à la molécule. C’est ce que l’on peut voir beaucoup en milieu hospitalier où il y a eu beaucoup d'infections, toujours avec les mêmes produits, mêmes molécules et que l’on finit par engendrer des bactéries qui sont ultra-résistantes.
Or l’huile essentielle, elle a une composition plus large. À l’état sauvage, quand on faisait des études au CNRS, il y avait 35, 40 composés qui étaient déterminés, avec des petits composés qui ne représentent presque rien dans la plante, mais qui font partie de son huile essentielle, qui amènent cette diversité et cette diversité, elle aura un intérêt dans son terme d’utilisation, mais aussi sur le spectre aromatique.
Quand on sent la plante, on a quelque chose qui est plus rond, plus large et plus intéressant en termes d’utilisation culinaire ou parfumerie. Par contre, quand la plante a été très sélectionnée, en général, comme on va chercher souvent pour le thérapeutique, une molécule en particulier, on va avoir cet aspect de sélection. À la fois, d’avoir une plante qui doit être productive, sortir certains composants en priorité et on a à nouveau un effet d’appauvrissement qui est lié à l’aspect d’ultra-sélection.
Même qui va peut-être plaire au marché, parce que le marché aujourd’hui des huiles essentielles, demande, exige un chémotype. Cette sélection, finalement, elle répond aux besoins d’un chémotype précis, avec cette perte de richesse et d’adaptation de la plante dans l’environnement, mais aussi à l’intérieur de notre propre système avec cette richesse qui fait que d’un point de vue, pour combattre certaines infections par exemple, le sauvage va nous apporter une plus grande richesse.
Il y a des documents qui l’atteste. J’ai une thèse de pharmacie qui évoquait ces choses et qu’une plante bio, une plante sauvage pour faire des huiles essentielles, c’était dans les points qui étaient mis en avant dans cette thèse. Je trouve ça intéressant, parce qu’on parlait à ce moment-là, du spectre de l’huile essentielle qui était plus large. Toute cette diversité de composés qui rendait l’huile essentielle intéressante. Sinon, on finit par arriver quelque part à une chose qui n’aura plus qu’une molécule.
Le chémotype pur.
On arrive sur le même problème que l’on a pu rencontrer sur des produits de synthèse où il n’y aurait plus qu’une molécule. Parce que là, s’il n’y a qu’un seul composé auquel il faut s’adapter, les bactéries, toutes ces choses, savent s’y adapter.
Si tous les ans, on leur propose un mélange légèrement différent, avec toutes ces variations entre 35, 40 composés, c’est impossible que les bactéries s’adaptent à cette diversité.
Et tant qu’à faire, autant produire par exemple du thymol d’un point de vue purement synthétique ce qui se fait aujourd’hui si j’ai bien compris.
Oui, ça se fait en arôme de synthèse.
Méthode et éthique de cueillette des plantes aromatiques sauvages
Et on perd toute la richesse autour. J’aimerais que l’on revienne à cet aspect de conservation de l’écosystème que tu as beaucoup étudié. Quand on arrive sur un site de cueillette, je m’imagine par ici, dans la garrigue où on a ces plantes aromatiques sauvages, de la sarriette, du thym, du romarin. Quand on regarde ce site, quels sont les différents paramètres que l’on utilise pour commencer à réfléchir d’un point de vue conservation avant de faire une cueillette ? Comment est-ce que l’on procède ? Est-ce qu’il y a une méthode?
Pour la conservation, il y a beaucoup à voir sur l’état des plantes.
Il y a des endroits où on va voir que les plantes sont en souffrance. Elles ne seront ni intéressantes à cueillir, ni ça sera bon pour elles, d’aller leur mettre un coup de faucille et qu’après, si le coin est trop difficile, elles galéreront trop à se régénérer.
Il y a déjà un point comme ça qui est à voir, c’est la qualité de la plante au départ.
Moi, j’ai des aspects quantitatifs, puisque si je vais cueillir, je ne cueille pas un petit panier comme je pourrais le faire à titre personnel et j’ai mon romarin ou mon thym pour l’année. On est professionnel, il faut des quantités plus importantes.
On va rentrer plus sur l’aspect gestion, ça va être de récolter la plante, si elle est récoltable. Ce sont les questions de repousse, de couleur de la plante. Si la plante est comme le romarin quand il est tout jaune ou qu’il est très jaune pendant l’été, on se rend compte que la plante souffre, donc aller lui mettre un coup de taille par-dessus, ce n’est pas dit que ça soit bon à ce moment.
La gestion se fait à ce niveau et sur la façon de récolter la plante, de façon à ce qu’elle se régénère. C’est ça qui présente un intérêt de gestion.
Sur une seule plante, on va en ramasser, en récolter juste une partie et sur tout le groupement, d’une manière globale, on va s’assurer de n’en ramasser qu’une partie?
Je fais des rotations, ça dépend comment chacun gère. Je ne vais pas toujours cueillir au même moment, au même endroit.
Par exemple, l’impact qu’il pourrait y avoir, c’est cueillir tous les ans, la plante en fleur sur le même site. Au bout d’un moment, on va voir un impact sur la régénération de la plante. L’impact est faible puisque l’on est sur des plantes pérennes, mais si je fais ça pendant dix ans et que tous les ans, je vais récolter la même plante en fleur, j’ai peu de graines qui vont tomber sur le sol.
Le peu de graines qui vont tomber, elles vont être boulottées par un certain nombre d’insectes. On sait par exemple sur la lavande, que les fourmis sont extrêmement consommatrices de graines et qu’il doit rester 10 % des graines qui ont été produites par la population, qui pourront peut-être germer.
Si je récoltais 90 % des fleurs, il resterait 10 % de graines, mais les insectes ne vont pas dire, on va prendre 90 % de ces 10 %. Ça ne sera pas suffisant et dans le temps, on peut avoir les impacts. On va avoir un manque de régénération de la population. La population vieillit, on n’a plus assez de juvéniles qui se développent et au bout d’un moment, la population disparaît.
Il y a plein de facteurs qui font que les plantes aromatiques sauvages ont une place précise dans l’écosystème. Si on commence à avoir l’embroussaillement, des chênes, tout un tas d’arbres qui pousse, elles ne sont plus à leur place et en général, elles se font remplacer.
Il faut gérer tout ça.
C’est vrai que toi, tu cueilles d’un point de vue professionnel, il faut que tu arrives à ramasser assez pour ta société. D’un point de vue de particulier, je réfléchis toujours, je me dis, si un jour on se met tous à ramasser les plantes sauvages, on va avoir des problèmes. Il va falloir que l’on apprenne à ramasser. Une règle que j’utilise souvent, c’est que je dis aux gens, quand je les vois ramasser uniquement sur un site, marchez. Est-ce que là, je peux ? Marchez encore un peu. Ramassez un petit volume, ensuite, marchez. Cinq, dix minutes, c’est bien, ça nous fait du bien, ça nous donne de l’activité physique et surtout, on ne va pas se concentrer toujours sur le même site. Petite astuce pour les non-professionnels.
Et cueillir la repousse, c’est le point le plus important. On me demande comment cueillir. Ne pas arracher. C’est fréquent.
Il y en a qui arrachent le pied de thym, des fois, en pensant qu’en le mettant dans leur jardin, il repartira, ce qui ne marche quasiment jamais. Il faut cueillir la repousse. Il faut cueillir de la plante les parties tendres qu’elle nous donne de l’année. Ce sont les petits surplus que l’on peut prélever sans nuire à la plante et toujours garder ce qui est de la feuille sous les parties qui ont été taillées.
Sur le thym, romarin, sarriette, ça fonctionne. Sur les lavandes, on va être sur la cueillette des tiges, mais pas aller dansl es feuilles qui sont basses. Il faut cueillir au-dessus, se contenter de ce que la plante donne chaque année et ne pas descendre trop bas. De plus en plus, on tombe dans le bois et ça fini par des plantes qui ne seront plus récoltables parce que trop basses.
C’est vrai et si on est prêt à faire cette entorse de ne pas ramasser au moment de la floraison qui est supposé être le moment optimal pour les plantes aromatiques sauvages, les repousses pendant l’hiver pour le thym, ces petites pousses tendres et vertes, je les trouve formidables parce qu’elles sont simples à ramasser. On peut utiliser les branches parce qu’elles sont souples. On peut tout utiliser. C’est peut-être une manière de procéder comme faisaient les ramasseurs de thym à l’époque.
-Je pense que beaucoup récoltaient le thym quand ils en avaient besoin. Ils avaient un pied de thym, c’est l’hiver, je le prends, il est sous sa forme d’hiver, je le prends au printemps, mais il peut se récolter tout le temps.
Tout dépend l’utilisation que l’on voudra en faire. Sur la fleur, il suffit de ne pas chercher à récolter tous les ans au même endroit et essayer de picorer des plans par-ci, par-là. Ça laisse du travail pour les pollinisateurs qui en ont bien besoin.
Oui, tout à fait. Tout à l’heure, on parlait du fait qu’il y a des étés qui ont été rudes, chauds et même les plantes aromatiques sauvages qui sont adaptés à un climat très sévère, très aride, ont beaucoup soufferts. On a vu certaines aromatiques, qui commencent à périr littéralement par la chaleur et tu m’as expliqué que, je ne sais pas, si ce sont des recherches qui ont été faites.
Non, là, on est sur des observations.
Plantes Aromatiques Sauvages : comment les protéger de la sècheresse ?
Comment éviter que ces plantes souffrent trop pendant l’été ? Est-ce que tu peux nous réexpliquer ce que tu m’as dit tout à l’heure?
C’était après un constat sur le romarin.
Avec des romarins sauvages, c’était 2017 qui avait été très dur, on avait pris six mois de sécheresse et on a vu des flancs entiers de montagne par chez moi, de romarin, qui avaient crevés.
Certains se sont régénérés depuis, mais on a vu de forts dégâts.
Les questions qui se posaient, c’étaient est-ce que cette masse végétale, aérienne, sachant qu’un romarin sauvage a des longues tiges avec des plumeaux de feuilles tout en haut ; ce n’était pas consommateur de trop d’énergie pour la plante pendant l’été?
Et par un effet de taille au bon moment, on pourrait accompagner la plante et faire en sorte qu’elle concentre plus ses réserves sur l’été, sur une partie moins importante de végétal. C’était l’observation qui pouvait être faite. On a eu des observations similaires sur le thym. C’est l’observation de cueilleurs, qui pourrait remonter vers la mise en place d’études scientifiques derrière et là, proposer des méthodes de gestion.
On est sur ce que j’expliquais tout à l’heure, on peut avoir ce va-et-vient qui se fait, même si c’est de l’observation. Essayer en multipliant sur différents sites et au fur et à mesure des années, on commence à avoir des tendances qui peuvent sortir. En discutant avec d’autres, des gestionnaires, des chercheurs, voir si le constat tient la route. Amener de la bibliographie si on peut en trouver, pour aller sur des études et des choses plus sérieuses.
D’accord. Si je cultive du thym et que je vois que chaque été, certains plans périssent, une des astuces pourrait être de les rabattre.
De les tailler avant qu’ils passent l’été.
Au printemps. De faire une bonne récolte et de m’assurer que pendant l’été, la masse aérienne est compacte. Sans tailler dans le bois, car comme tu le disais ça va leur faire du mal et ça va les aider à passer ce cap de l’été. À l’automne, peut-être, aux premières pluies, ils vont me refaire une petite repousse avant l’hiver.
En général, si on les a cueillis au printemps, on le laisse bien repousser.
Jusqu’à l’hiver d’après.
Oui parce qu’après, les tailles sont trop fréquentes.
Autrefois, les anciens me racontaient qu’ils pouvaient cueillir jusqu’à deux fois par an sur certains sites, mais on se rend compte que l’on n’est plus dans les mêmes conditions qu’il y a cinquante ans, du climat qu’ils avaient à l’époque, des activités qu’il pouvait y avoir, complémentaires, le pastoralisme, toutes ces choses.
On a beaucoup d’écrits sur certains endroits, des qualités de site, de l’avant, de l’aspect du thym, que je n’ai jamais vues, parce qu’aujourd’hui, tout a beaucoup réduit, que ça soit en fréquence de plante ou sur les plantes en elles-mêmes.
On voit qu’elles souffrent de tous ces étés de plus en plus durs.
Du thym en vrac mais chémotypé
C’est vrai. Même les romarins, ici, qui sont des plus résistants, ont beaucoup de mal à survivre parfois. On va parler de chémotypes, parce que j’ai l’impression que tu es le seul aujourd’hui, sur le marché français, à vendre du thym en vrac, en sachet, des feuilles de thym, qui ont été chémotypées. D’habitude, on fait ça pour les huiles essentielles et toi, tu as fait ça pour le vrac. Ça vient d’où cette idée et ça sert à quoi?
L’idée, c’était en découvrant cette diversité de thym, en me rendant compte, qu’effectivement, en huile essentielle, c’était chémotypé, mais que quand on achète du thym dans le commerce, on ne sait pas ce que c’est.
C’était une question que je vois beaucoup sortir maintenant quand je présente les différents thyms où les personnes se disent, j’ai quoi dans mon placard, j’ai quoi dans mon jardin.
C’était pour montrer que l’on avait un panel de saveurs différentes. C’est la même plante, mais des saveurs différentes. Il y avait quelque chose qui était intéressant, parce que c’est une plante énormément consommée le thym, que tout le monde pense connaître et qu’en fait, on ne connaît pas.
Aujourd’hui, j’ai cinq chémotypes que je présente régulièrement, quand je fais une dégustation des cinq chémotypes à la suite, il y en a certains, je pense que les yeux fermés, personne ne dirait que c’est du thym.
C’était intéressant de pouvoir montrer qu’il y a ce choix qui n’existe pas dans le marché puisqu’on a le thym et le thym citron.
C’est à peu près tout ce que l’on trouve, alors que l’on a tout ce spectre de saveurs et que chacun peut avoir des utilisations différentes. On a le thymol et le carvacrol qui restent proches. Le thymol qui va être plus expressif, plus sur la fleur, plus piquant et le carvacrol qui va être plus doux sur l’attaque et avec ces notes plus poivrées, plus de longueur en bouche.
Ce qui fait que j’ai des chefs, même des professionnels, transformateurs, en agroalimentaire, qui peuvent s’amuser avec ce produit, parce qu’il s’exprime différemment selon ce qu’ils vont faire en recette.
Après, on arrive sur les chémotypes un peu spéciaux comme le linalol, le thuyanol ou le géraniol où on a des notes qui sont différentes.
Avec le linalol, des notes de lavande, de bergamote agrumée, le thuyanol sur des notes mentholées d’eucalyptus et le géraniol, sur des notes de citron, de citrus, des agrumes. Ça offre un panel large que ce soit en cuisine et en infusion.
J’ai un certain nombre de personnes qui étaient fâchées avec le thym, qui se sont réconciliées parce qu’ils ont trouvé le thym qui leur va bien. C’est ce jeu qui s’est installé quand j’ai des clients qui découvrent les thyms. Ils vont avoir celui qui sera pour la cuisine, pour les infusions et peut-être que madame en préfère un, monsieur en préfère un autre.
On se rend compte que cette diversité intéresse et elle rééduque. Par ce biais, on a un travail de rééducation parce que l’on déconstruit e savoir sur le thym et on le reconstruit avec les personnes. Eux deviennent, après, plus exigeants, plus pointus, ils s’habituent à reconnaître de la bonne qualité sur un produit, à poser des questions.
Je pense que beaucoup de vendeurs de thym doivent être embêtés, parce que quand ils ont des clients qui peuvent leur demander quel chémotype ils vendent, on ne sait pas.
Oui on n’a jamais l’information. Il y a un aspect culinaire, il y a un aspect thérapeutique aussi. Si je voulais acheter deux types de thym, un premier type pour faire des fricassées de légumes à la maison et j’aimerais avoir une deuxième réserve, pour tout ce qui est infectieux, spécifiquement les infections respiratoires hivernales. Donne-moi deux types de thym chémotypé qui vont me servir dans ces deux exemples.
Il y en a un qui peut faire les deux.
Le thymol.
Le thymol.
Qui va être à la fois cuisine et qui est reconnu pour son côté antiseptique. C’est la plante des grands-mères par excellence et pour toutes ces choses, prévention des rhumes, maux de l’hiver, c’est souvent le thym à thymol, mais on a aussi le thym à thuyanol qui est intéressant.
Qui lui, a plus des utilisations sur tout ce qui est sphère ORL. C’est plus intéressant sur ce qui est sinus, prévention des angines. Il est un peu plus spécifique. Ça permet de varier les plaisirs.
Si je voulais la puissance anti-infectieuse, que ce soit respiratoire, urinaire ou autre, le thymol, c’est toujours un bon investissement.
C’est ça. Il faut faire attention à pas de surconsommation sur le thym à thymol. Pas plus de trois mois sans interruption, c’est ce qui est recommandé, parce que ça fait trop travailler le foie sinon.
Oui, tous ces phénols peuvent être agressifs. Est-ce que tu as chémotypé des parcelles sauvages? Est-ce que c’est un lieu que tu as identifié qui produit tel chémotype et chaque année, tu sais que si tu vas en ramasser à cet endroit, tu vas avoir le même chémotype? Comment ça se passe?
Le chémotype, c’est génétique. La plante, elle naît avec son chémotype et elle le gardera toute sa vie.
Un site que l’on va expertiser, on va savoir qu’il y a une dominance de tel ou tel chémotype, en sachant que je n’ai jamais des sites qui sont 100 % purs, il y a toujours au minimum deux chémotypes différents présents et jusqu’à cinq.
C’est ce qui a été observé et ça a un rôle simple pour la population, c’est qu’en cas d’évolution du climat, elle peut évoluer grâce à un autre chémotype. Au lieu de se déplacer, parce que la plante ne se déplacera pas, si le milieu devient de plus en plus chaud et sec, on va avoir le thymol, le carvacrol qui peuvent augmenter dans la population. Si ça se refroidit, on prévoit du thuyanol, du linalol qui va changer.
Ce qui va m’intéresser, c’est d’avoir des sites qui ont un taux de pureté le plus fort possible. Je n’aurais pas 100 % d’un chémotype, mais d’avoir cette typicité qui va ressortir et ça, il y a un travail de sélection sur les sites.
Il faut trouver ces sites et par la bonne gestion, par la bonne entente aussi avec le propriétaire, puisque ce sont des terres souvent que j’ai en autorisation, je n’ai pas de terres qui m’appartiennent. Il y a ensuite une pérennisation qui se fait avec le propriétaire sur le site.
Après, je peux venir récolter régulièrement sur ces zones qui ont été identifiées. Elles ne vont pas bouger à l’échelle de quelques années.
D’accord. Ça veut dire que sur le site, tu as dû faire plusieurs prélèvements pour t’assurer qu’en moyenne, sur le site, tu avais tel ou tel chémotype?
C’est ça.
Une fois que c’était validé?
Après, il y a des diagnostics que je fais au préalable. Il y a une partie en olfactif, puisque j’ai un certain nombre de chémotypes qui sont identifiés.
Tu arrives à sentir, à voir.
Je fais mon analyse des différents thyms. J’ai d’autres indicateurs.
J’ai le type de sol, l’exposition, les plantes qui sont associées, l’architecture de la plante. J’ai un panel d’éléments, qui me permet de savoir au préalable, quels types de chémotypes je vais trouver.
Pour savoir si la fréquence du chémotype qui m’intéresse est forte dans la population, il faut en sentir un certain nombre pour avoir une indication et après, ça peut passer par des chromatographies classiques pour être sûr.
Distiller avec "la nébuleuse"
J’ai vu une mention sur ton site qui m’a intrigué, c’est au sujet de la distillation des huiles essentielles. Tu parles d’une méthode que tu utilises depuis 2019, qui s’appelle «la nébuleuse». Je suppose que l’on ne parle pas d’objet céleste ici. C’est quoi cette nébuleuse ? Qu’est-ce que l’on va faire avec ? Pourquoi est-ce que ça produit des huiles essentielles qui sont peut-être supérieures aux autres?
C’est une machine que j’ai achetée l’année dernière. C’est un concepteur, quelqu’un qui était parfumeur pendant longtemps, distillateur de plantes, qui s’est beaucoup posé de questions sur les méthodes de distillation.
Il s’est rendu compte qu’avec des alambics classiques, il y avait un certain nombre de défauts aromatiques qui pouvaient intervenir par la méthode de distillation, des oxydations de certains composés.
Il a réfléchi pendant des années à essayer de mettre au point une méthode, pour arriver à ce que l’huile essentielle qui soit extraite, soit la plus proche de la plante que l’on a au départ, de limiter ces oxydations.
J’ai un système qui au lieu d’être en colonne est à plat, avec un système de vapeur, qui va venir englober le panier dans lequel je mets les plantes. Cette vapeur, une fois qu’elle va traverser le panier, au lieu de passer dans un serpentin j’ai un système de tubes qui va rafraîchir l’huile essentielle et qui va permettre de récupérer eau florale plus huile essentielle.
Il faudrait voir la machine pour se rendre compte, mais l’idée de départ était d’éviter ces oxydations, ces produits résiduels que l’on pourrait avoir sur un système de distillation classique, pour arriver sur quelque chose qui sera plus doux en huiles essentielles, qui sera plus rond et c’est ce qui ressort.
Souvent, quand je compare avec des produits du commerce c'est des huiles agressives qui peuvent être entêtantes. On se rend compte que ça peut être lié au fait qu’il y ait l’oxydation de certaines molécules qui rendent l’huile essentielle moins agréable, alors que les produits sur les premiers essais, parce que ça ne fait qu’un an, il y a une phase de R&D qui est associée à cette machine, mais ce que l’on a pu sortir en produit, on voit ce côté de rondeur qui reste et c'est ce qui m’intéressait au plus proche de la plante.
Quand je prends un morceau de thym, je le frotte, je le sens, c’est ce qui faut que je retrouve dans l’huile essentielle et jusqu’à présent, ce que je sentais du commerce, je retrouvais le thym, mais il y a quelque chose qui était différent au niveau de l’huile essentielle et je pense que c’était lié à ces oxydations.
D’accord, la nébuleuse va rendre une carte d’identité plus fiable de la plante. Est-ce que tu as pu valider ceci? Peut-être comparer entre une distillation classique etl a nébuleuse d’un point de vue analyse?
Pas encore, je compte le faire. Le concepteur avait fait ça, mais c’était sur une analyse, sur un même lot. Il s’était rendu compte qu’ils avaient une dizaine de composés supplémentaires dans l’huile essentielle produite avec sa machine, ce qui est un constat intéressant. C’était plus empirique comme travail.
J’aimerais tester ça sur différentes plantes, essayer de récolter à des mêmes moments. Il faut pouvoir faire ça sur des lots qui sont comparables et sur différentes plantes, avoir des analyses à l’appui et pouvoir voir ce que la machine a dans le ventre entre guillemets au niveau qualité.
En premiers résultats, on sent nettement ces différences. Maintenant, ce n’est que de la perception, ce n’est pas de l’analyse comparative.
Chez Flore en Thym, un nez, mais aussi une expertise
On peut dire qu’aujourd’hui, tu as développé un certain nez pour les plantes aromatiques sauvages ?
C’est ça, puis avec des retours. J’ai fait beaucoup d’analyses avec des étudiants. L’année dernière, on a fait une analyse de macérât huileux entres plantes sauvages et plantes cultivées.
Hédonie faisait les tests deux à deux sur un panel de personnes qui était sur un marché bio à Montpellier, de tous âges et elle a fait ce comparatif. C’était intéressant parce que majoritairement, les gens trouvaient que le macérât huileux de plantes cultivées sentait plus fort, mais ils préféraient le sauvage qui était plus harmonieux.
Il y avait quelque chose qui était particulier en termes de retours, mais c’était cette question d’harmonie du produit qui était intéressante. L’autre sent plus fort, parce que je pense que l’on est sur le composé plus net et c’est ce que l’on repère, mais souvent, ils trouvaient que c’était moins agréable que la version sauvage.
On a des formes d’indication grâce à ces macérâts huileux, et nous on a commencé à les percevoir sur l’huile essentielle aussi.
D’accord. Tu vends des huiles essentielles aujourd’hui?
J’ai commencé un peu la vente directe.
Tu as commencé la vente et elles sont produites avec cette méthode, la nébuleuse?
Oui.
D’accord. On a beaucoup parlé de transformation de produit, de vente de plantes en vrac, de vente d’huiles essentielles, tu proposes aussi des services. Tu as développé comme on peut le voir, une grande expertise sur la ramasse, la conservation des plantes aromatiques sauvages et tu offres des services. Est-ce que c’est l’envers des gens qui veulent s’installer comme producteurs ? Qu’est-ce que ta société propose aujourd’hui ?
C’est large, ça dépend du projet qui arrive en face.
J’ai pu faire des expertises pour des collectivités qui étaient intéressées parce qu’elles avaient un grand massif. J’en ai fait une récemment, cette année, qui avait un grand massif de 5000 hectares donc ils réfléchissaient à quelle valorisation, et les plantes aromatiques les intéressaient.
Il y a eu une expertise du massif à faire, voir quelles plantes on trouvait et s’il y avait un intérêt économique. Parce que ce n’est pas tout de trouver de la plante, puisqu’ils avaient de très bons relevés botaniques sur le massif, mais ça ne nous dit pas si le romarin, il y en a un peu, beaucoup.
Est-ce que l’on fait une exploitation pour faire des sachets sur un point de vente directe? Est-ce que l’on peut imaginer sortir des produits en quantité plus importante ? Il y a eu un travail de fait d’expertise du massif, pour donner des orientations sur ce qui pourrait être fait, selon les plantes et les pistes de développement qu’ils pouvaient avoir.
J’ai eu après, des travaux pour des entreprises qui s’intéressaient à une ressource, qui voulaient voir s’il y avait un potentiel en termes d’exploitation. Quels étaient les verrous réels à une exploitation régulière.
On rentre sur une exploitation technique de la plante et il y a les récoltes. J’ai pu aussi travailler sur des aspects d’accompagnement de projet, plus vers des producteurs, mais avec qui j’ai un travail associé. Je cherche à développer la culture de plantes en parallèle de la cueillette, pour soutenir, éviter d’être trop sur une approche cueillette ou parce que certaines plantes, je ne les trouve pas à l’état sauvage.
Par exemple, on travaille sur le basilic depuis quelques années et notamment, on fait du basilic marseillais, un basilic à petites feuilles.
Je réconcilie énormément de gens avec le basilic sec, parce qu’on me dit souvent que c’est une plante qui ne sent rien du tout, et si!
Si on fait un travail au niveau de la culture, du séchage et de toutes ces étapes, j’ai un basilic qui est extrêmement aromatique.
C’est rare. Dans tous les échantillons que j’ai achetés dans le commerce, c’est tellement rare. Ce qui fait que moi-même, j’ai dit cette phrase, le basilic sec est souvent un basilic mort. Là, tu me donnes envie de tester.
C’est le petit plaisir sur les salons.
Des personnes auxquelles je propose de sentir le basilic, elles me disent, mais non, ça ne sent jamais rien. Je vois leurs yeux qui s’illuminent quand ils sentent et qu’ils se prennent une grande respiration de basilic et qu’ils se disent, mince, ça peut sentir très bon et fort, mais il y a un boulot avec le producteur.
J’ai fait ce travail avec des petits producteurs, certains pour les faire évoluer dans leur pratique, parce qu’ils ont mis en plantation et ils ne trouvent pas le marché en face, soit parce que chez les grossistes, ils n’arrivent pas à s’en sortir au niveau des prix.
La vente directe, ce n’est pas toujours évident. C’était de travailler avec eux aussi pour dire, moi, je peux avoir une demande sur certaines plantes, essayer de mettre en route des petites filières courtes et les faire évoluer sur les pratiques. C’est d’essayer de faire souffrir la plante, de la travailler plus de façon sauvage pour lui faire sortir plus d’arômes.
D’accord. Ce basilic marseillais, est-ce qu’on peut l’acheter aujourd’hui ?
J’en propose un peu. Je n’ai pas eu une belle production cette année, mais j’en propose un peu en vente directe et j’ai quelques professionnels.
Je te pose la question parce que je trouve que c’est une plante remarquable d’un point de vue thérapeutique. À la fois pour les troubles digestifs, mais aussi pour les crampes menstruelles chez la femme en simple infusion et malheureusement, il faut en avoir du frais au jardin. Ce n’est pas pratique, en particulier l’hiver, donc si on a une source d’un basilic bien aromatique, bien antispasmodique sous forme sèche, ça commence à être intéressant.
On commence à avoir des bons retours dessus.
Je pense que si la plante ne sent plus rien, quand on sait que ce sont des plantes aromatiques, pas d’odeur : pas de principes actifs.
Cultiver les plantes aromatiques sauvages
Parle-nous d’une tendance qui t’inquiète aujourd’hui dans le monde des plantes aromatiques. Si on te mettais toutes les ressources du monde à ta disposition, est-ce que tu aurais des solutions pour résoudre ce problème?
Il y a beaucoup de travail sur la gestion des milieux où poussent ces plantes aromatiques et sur les méthodes de soutien, sur des formes de cultures en lien avec les plantes sauvages.
Ça fait partie d’articles que j’ai utilisés en base scientifique au démarrage, un article notamment de Shipman de 2002, qui proposait un plan d’utilisation durable des plantes aromatiques et médicinales. Dedans, il y a des grosses parties sur les programmes agronomiques qui peuvent être monnayés. Pas sur des aspects de forte sélection comme il y a beaucoup.
Je trouverais intéressant de travailler depuis la plante sauvage sur des aspects de re-domestication, de choses comme ça, il y aurait du boulot.
De pouvoir répondre à un marché de plus en plus demandeur, en produisant localement si possible, parce que c’est vrai qu’aujourd’hui, ça vient de plus en plus loin.
D’accord. Si je résume, ça serait une plante sauvage que l’on va cultiver, on ne va pas introduire des hybrides ou des plantes présélectionnées, on va introduire la plante sauvage, on va la mettre dans un bon terroir, bien adapté à son chémotype et on va en faire une production, plutôt que de s’attaquer aux ressources sauvages, qui commencent à être stressées aujourd’hui.
Il faut équilibrer les deux. Le problème, c’est que la plante sauvage, si elle est trop exploitée, on va vers l’épuisement, c’est ce que l’on observe.
J’ai lu une publication, c’est une publication de sociologie de manière surprenante, qui évoquait cet aspect, mais il y a plusieurs espèces de thyms endémiques au Maroc qui sont en voie de disparition.
Faire disparaître du thym, c’est qu’on y va fort, parce que c’est très rustique, ça supporte même des tailles, des cueilleurs pas trop expérimentés, qui taillent bas, on sait que c’est une plante qui arrive quand même à repartir.
Tous les chémotypes, ne supportent pas la taille, mais sur un chémotype classique comme le thymol ou carvacrol ça va. Faire disparaître, arriver à épuiser des ressources, c’est que les gens finissent par arracher pour aller plus vite, faire le poids, parce qu’on les paye au poids et que derrière, on se fiche qu’il y ait des racines, qu’il y ait tout ça dedans.
Je trouve ça malheureux, parce qu’on a de l’épuisement. J’ai lu un article récemment, c’était en Algérie, sur les plateaux où ils sont obligés de récolter le thym à la pince à épiler tellement il a été taillé, taillé, tous les ans. Il devient de plus en plus ras, ils disaient, c’est allongé dans l’herbe, pour essayer de récolter à a pince à épiler les petits brins de thym.
Ça, c’était en utilisation traditionnelle, locale, ce n’est pas pour de la production industrielle. Ce sont les communautés locales sur les plateaux algériens, qui expliquaient que ça a tellement été taillé qu’avant, ils récoltaient à la faucille et maintenant, ils font ce qu’ils peuvent, allongés dans l’herbe à cueillir du thym.
On voit que ce sont les mauvaises pratiques, qui engendrent l’épuisement de la ressource ou on a quelque chose qui est en tapis ras et je ne m’imagine pas devoir m’allonger pour pouvoir cueillir, c’est allé trop fort.
Ce que tu nous dis, c’est que l’on peut produire du thym qui est de qualité quasiment aussi bonne que le sauvage, si on sait comment s’y prendre?
Je pense oui. On part de la plante d’origine sauvage, dans un terroir adapté. Il ne faut pas trop accompagner la plante non plus.
Il faut la faire souffrir.
Il faut qu’elle soit dans ces mêmes conditions.
L’avantage de la culture, c’est que si on a des étés très secs, comme on a pu avoir il y a quelques années, où j’ai pu observer jusqu’à 50 % de mes plantes qui étaient mortes sur certains de mes sites, il aurait fallu un arrosage ou deux, pour juste les aider à traverser la période difficile. On est sur quelque chose qui ne sera pas énormément consommateur d’eau et on garde ça pour éviter que les plantes crèvent.
Et demain, l'espoir d'une meilleure qualité
Oui. Maintenant, à l’inverse, parle-nous d’une tendance qui te donne de l’espoir pour le futur, qui te motive, où tu vois des opportunités dans ce domaine, dans ce marché.
Ce sont les consommateurs. Tous ceux qui se rendent compte qu’il y a des choses intéressantes dans les plantes. Il faut avoir des bonnes plantes, savoir bien les utiliser, que ce soit bien conseillé. C’est tout ça aujourd’hui qui se développe beaucoup et qui devient intéressant, parce qu’il y a des résultats intéressants avec ces plantes.
Il faut en faire bon usage et ce dont je me rends compte sur les salons, c’est que la qualité de la plante joue pour beaucoup dans l’utilisation qu’on fera après.
Quand j’ai des personnes qui viennent, qui me disent que pour la cuisine, qu’on leur a demandé ce qu’ils ont mis comme ingrédient secret dans leurs pâtes bolognaises et que c’est parce qu’ils y ont mis un thym qui avait du goût.
Eux, sont fiers et les gens sont surpris, on a un effet de chaîne. Ou des personnes qui me disent qu’elles boivent plus de tisanes pendant l’hiver et qu’elles sentent que ça les aide et qu’avant, il n’y avait pas cet effet.
On se dit que c’est la qualité du produit qui paye et eux-mêmes en parlent autour d’eux et ainsi de suite, donc ça un a un effet bénéfique sur l’évolution des plantes.
Dans mon expérience, en tant que praticien, je dirais que la qualité de la plante, c’est énorme, en particulier vu les variations que l’on voit dans le commerce aujourd’hui, entre le très bon et le très mauvais. C’est la différence entre aucun effet et un soulagement quasi-immédiat. Je suis d’accord avec toi et le message de se réapproprier la plante aromatique et médicinale, elle ne vit pas que dans les livres ou dans un reportage que l’on a vu sur ARTE. Elle vit chez nous aussi dans nos placards, dans nos cuisines et dans nos tasses à infusion. Aujourd’hui, c’est le moment de se réapproprier ce savoir. Si on veut trouver tes belles plantes cueillies localement, on va sur ton site Guillaume, on va mettre le lien. Un petit clin d’œil, qu’est-ce que l’on dit aux gens qui trouvent que c’est plus cher qu’un thym que l’on va trouver dans certaines boutiques?
Que moi, je trouve que ceux que l’on trouve dans certaines boutiques sont chers vu la qualité qu’on a dans le sachet. J’en ai vu beaucoup.
Quand j’ai des clients professionnels, qui me disent qu’ils utilisent entre quatre et dix fois moins de produit dans leur cuisine, c’est toujours la même question.
Quand ils arrivent en me disant, j’en consomme tant par an et ça me coûte tel prix et que là, ils divisent autant la quantité, c’est le même raisonnement pour quelqu’un qui vient en vente directe.
Il y a des personnes qui au départ, disent, il y a un certain prix, mais il y a un travail en face, il n’y a pas juste à se baisser comme on me dit des fois. Il y a un boulot quand on veut faire ça régulièrement et après, ils n’arrivent pas à retourner sur un autre produit dans le commerce.
Là, on a une question de goût et c’est ça qu’on cherche dans une plante aromatique ou dans une épice. C’est quelque chose qui doit avoir beaucoup de peps, on amène ce côté magique au plat.
Si c’est pour en mettre un demi-tube et qu’on ait plein de thym entre les dents et pas de goût, aujourd’hui c'est la réalité.
On va terminer sur cette image du thym plein les dents. Je te remercie pour le temps que tu nous as consacré
Avec plaisir, merci de m’avoir reçu.
Guillaume, je me suis régalé. On pourrait continuer encore pendant des heures, mais on va s’arrêter parce que tu as plein de choses à faire. Je te souhaite plein de chance et de succès dans tes projets, plein de belles choses et peut-être à l’occasion d’échanger à nouveau sur les aromatiques.
Avec grand plaisir.
À bientôt!
Liens cités :
Flore en Thym : https://flore-en-thym.com/
Sources photos : Flore en Thym , Chefs d'Oc
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Annabelle dit
Passionnant !
Guy Fayolle dit
Bonjour Christophe, j'ai pris le temps de lire ce long exposé car je réside certainement très près de Guillaume Bouquet (claret, à 15 km au nord du Pic Saint-Loup) et je cueille régulièrement du thym et du romarin dans la garrigue - j'ai beaucoup appris de tout cet échange et je vous en remercie tous les deux
Isabelle dit
Bonjour.
Merci pour ce moment de partage avec Guillaume. On voit un passionné des plantes qui transmet ses connaissances avec beaucoup d'humilité.
Hervé GOURIOU dit
Je dois vous avouer que je vous écoute et vous lit et vous relit chaque semaine avec passion, mais chaque fois, avec une passion différente et variable, avec un intérêt plus particulier parfois , avec curiosité quand je découvre certaines des plantes que vous nous présentez etc… mais vraiment, ce soir, ce fut une soirée exceptionnelle… je suis resté scotché de la première minute et pendant toute l’heure et deux minutes qu’a duré votre émission, j’ai écouté religieusement le dialogue que vous avez eu avec Guillaume Bouguet… C’était tout simplement GENIAL et PASSIONNANT !…
D’autant plus passionnant pour moi, que je cultive avec passion également, de nombreux plants de variétés différentes de Thym, dont une très grosse touffe que je chouchoute avec Amour et que je taille deux fois par an, une fois lors de la floraison de printemps et l’autre en hiver et j’ai mieux compris la raison de ma pratique, sans doute innée, en écoutant Guillaume parler de cette méthode des anciens cultivateurs méridionaux… Cette année j’ai déplacé trois touffes voisines en voie de décrépitude pour les regrouper en des endroits que j’ai jugé meilleurs pour leur donner une nouvelle vie et j’ai planté une dizaine de nouveaux plants de diverses variétés de thym (ainsi que de sarriette et de basilics), dont je suis incapable de dire, tout comme pour les anciennes touffes, quels sont leurs chémotypes ?.. (thymol, carvacrol, thujanol, linalol etc ?)…et je vous l’avoue sans détour et humblement, ces appellations et définitions ont été de véritables charabias pour moi
Après avoir revu et relu tout ce que vous avez déjà diffusé sur le thym, j’en avais déjà fait une de mes plantes pilotes et fétiches avec le Romarin et la Lavande car ce sont en fait trois plantes antiseptiques et antiinfectieuses mais également ayant des vertus considérables dans beaucoup d’autres domaines qu’il est impossible d’énumérer ici…
Je me complais, à chaque fois que l’occasion m’est donnée de clamer le slogan de mon invention qui est : « Thymtez-vous !…Thymtez-vous !…Thymtez-vous !… » cultivez le thym en pots, jardinières dans votre jardin et consommez-le, infusez-le, inhalez-le, seul ou avec le Romarin et la Lavande et vous serez sous haute protection !
Camille dit
Bonjour,
Fabuleux cet interview avec Guillaume Bouguet, on en reste la bouche ouverte ! tellement d'expérience concrète et en même temps de réflexion.... Cet entretien est d'une grande richesse, on l'aurait écouté pendant des heures. Presque on sentait la garrigue par moment! Et maintenant j'ai envie de découvrir ces différents thyms dans leur singularité, ce basilic qui reste du basilic même séché... Félicitations et merci.
Anne dit
J'ai vu ce type de ramassage "sauvage" dans la Sahara où toute la plante, l'armoise, était au mieux coupée à raz au pire arrachée par les personnes vivant sur place ! Je me suis fait la même réflexion : leur expliquer comment conserver leur ressource en armoise tout en leur permettant de la récolter. Etant simple jardinière/observatrice j'ai gardé cette réflexion pour moi. Validée par des scientifiques, elle aurait eu beaucoup plus d'impact sur ces personnes !
Merci pour cet entretien, bonne continuation à vous deux
Monique Villat dit
Un Grand Merci Christophe pour nous avoir permis de partager une si belle rencontre avec Guillaume. Un nouveau souffle va traverser nos garrigues! Merci de tout coeur à tous les deux pour cet échange si réconfortant et innovant.
Dominique Braun dit
Merci pour cette conférence passionnante
A titre privé je serai très intéressée par la nébuleuse
Est il possible d’avoir plus de renseignements
Je suis dans le sud de l’Italie et passionnée par les plantes aromatiques merci de votre réponse
sabine dit
bonjour Dominique
voici la "machine en question" il faut dérouler la page pour la voir https://www.miimosa.com/fr/projects/produire-des-huiles-essentielles-bio-avec-la-nebuleuse?l=fr
https://www.huilesessentiellescherchebrot.com/blog/la-nebuleuse-2/
Wittig Mireille dit
Bonjour et merci pour votre reportage sur le thym j'en suis une grande consommatrice ainsi que le romarin.
Je le récolte au printemps en principe.
J'ai une question comment reconnaître les thymus celui que je récolte et le citronné mais il est facile à reconnaître mais pour les autre comment faire?je suis de marseille et encore merci.
sabine dit
bonjour Mireille
De manière générale c'est compliqué , mais comme expliqué dans l'article ça nous demande de faire attention à des paramètre bien spécifiques
et l'article l'explique vraiment bien
Pascale dit
Bravo ! C'est passionnant et plein d'espoir pour les temps qui viennent !