Extrait du « Traité Pratique et Raisonné des Plantes Médicinales Indigènes » de F.-J. CAZIN, 1868
Agaric de chêne
Boletus igniarius
Agaricus chirurgicorum. Pharm. — Polyporus ignarius. Fries. — Agaricus pedis equini facie. Tourn.
Agaric amadouvier, — agaric des chirurgiens, — bolet amadouvier, — polypore amadouvier.
Champignons. Fam. nat. — Cryptogamie. — Champignons. L.
Description. — Il est sans pédicule, attaché par le côté, arrondi en sabot de cheval, lisse, légèrement convexe au-dessus, présentant des zones de différentes couleurs, dont les principales sont brunes et rougeâtres ; d'une teinte jaune à l'intérieur : d'une consistance tenace et subéreuse. Ce champignon croit sur les troncs du chêne, du pommier, du hêtre, du noyer, du tilleul, etc.
Propriétés physiques et chimiques. — L'agaric de chêne, d'une odeur de moisi et d'une saveur amère lorsqu'il est récent, contient un acide qui a de l'analogie avec l'acide succinique, et que Braconnot a nommé acide bolétique.
Préparation. — L'amadou est ce bolet dépouillé de son écorce, battu avec un maillet, bouilli dans une solution de nitre, séché et battu une seconde fois, imprégné de nouveau d'eau nitrée, et soumis à une dernière dessiccation. Frotté avec de la poudre à canon, ce dernier prend une couleur noirâtre et devient plus inflammable. [Comme hémostatique il vaut mieux employer l'amadou non imprégné de nitre, ou celui du commerce qui a été lavé à l'eau bouillante et séché.]
L'agaric est employé en chirurgie pour arrêter les hémorrhagies capillaires, comme celles des piqûres de sangsues, dans certaines plaies ou tumeurs saignantes, etc. C'est en absorbant la partie séreuse du sang et en favorisant la formation d'un caillot, par la compression, en s'adaptant à la surface de la plaie, en bouchant les petits vaisseaux, que l'agaric arrête le sang. Aussi, un bandage compressif est-il souvent nécessaire pour en favoriser l'action.
(Ant. Martin(1) obtient un corps puissamment hémostatique par imbibition dans une solution concentrée de perchlorure de fer, de morceaux d'amadou de très-belle qualité. Après un quart d'heure, on les fait sécher au soleil ; on les frotte légèrement avec la main, afin de leur rendre leur souplesse et leur porosité.)
L'agaric est employé sous forme de rondelles de divers diamètres comme moyen auxiliaire dans la compression exercée sur des tumeurs, telles que l'anévrisme, la varice anévrismale, les tumeurs érectiles, certains cancers du sein ou d'autres parties, certaines tumeurs blanches ou engorgements lymphatiques ou glanduleux. Les rondelles d'amadou sont superposées les unes aux autres, de diamètre progressif, de manière à en faire une pyramide renversée, dont le sommet répond à la partie que l'on veut comprimer par l'application méthodique du bandage. Cet appareil m'a réussi dans les blessures d'artères situées au fond des plaies et inaccessibles à la ligature. Les tamponnements et la compression directe au moyen de l'amadou, de la charpie et d'un bandage bien appliqué, m'ont presque toujours suffi dans ces cas pour arrêter l'hémorrhagie.
(Entre les mains du professeur Velpeau, ce procédé a un effet très-rapide dans la guérison des abcès mammaires profonds, avec décollement de a glande.)
(Outre ses avantages comme moyen compressif, l'amadou peut retenir dans les mailles de son tissu des substances médicamenteuses liquides, dont on désire associer l'action topique à la compression elle-même. C'est ainsi que, dans ces derniers temps, le professeur Nélaton a employé avec succès, contre les tumeurs synoviales du poignet, des rondelles graduées d'agaric imbibées d'alcool et maintenues par plusieurs tours de bande. A l'exemple du maître, j'ai parfaitement réussi dans trois cas de ganglion, après l'usage de cette application continuée pendant deux mois environ.)
Les Lapons préparent avec l'agaric amadouvier une espèce de moxa, qu'ils appliquent dans diverses maladies, et spécialement dans les affections rhumatismales et goutteuses. J. Guérin fait un fréquent usage de petits morceaux d'amadou de 1 centimètre carré, qu'il fixe sur la peau avec de la salive, et auxquels il met le feu à l'aide d'une allumette dont la flamme a été soufflée. Ce moxa est surtout employé contre la carie scrofuleuse. « Rien n'est plus facile à improviser que cette médication externe, grâce à laquelle cependant cette affection articulaire, qui paraissait devoir nécessiter tôt ou tard l'amputation d'un membre, a pu guérir en plusieurs mois et ne laisser après elle qu'une semi-ankilose. On place ordinairement deux de ces moxas chaque jour ou tous les deux jours, jusqu'à la concurrence de vingt, trente et quarante, suivant les cas. Ils ne doivent que rubéfier la peau, sans soulever l'épiderme ni produire d'eschares. C'est donc un révulsif peu douloureux et qui, sous ce rapport, offre une ressource précieuse chez les femmes et chez les enfants(2). »
Bafico, dans un mémoire sur le traitement de l'onyxis, présenté à l'Académie de médecine de Paris (séance du 1er juillet 1851), a proposé, pour le redressement de l'ongle, de substituer aux plaques de plomb, de fer-blanc, à la charpie, et à tous les moyens de soulèvement de l'ongle incarné, l'agaric, substance douce, souple, imputrescible, qui adhère sans agglutination. Bafico a fait usage de ce procédé si simple avec un succès constant. L'une des conditions de la réussite est la prolongation pendant quelque temps de l'introduction de l'amadou sous le bord de l'ongle, jusqu'à ce que sa tendance à une direction vicieuse soit tout à fait détruite ; le malade arrive promptement à l'insinuer lui-même avec facilité. Jobert détruit, a l'aide du caustique de Vienne, la partie charnue qui surmonte l'ongle ; après la chute de l'escharre, il relève le bord de cet ongle avec d'autant plus de facilité que le caustique l'a ramolli par son action chimique ; puis il le maintient au-dessus de la cicatrice à l'aide d'un fragment d'amadou. Ainsi traité, l'onyxis guérit en peu de temps.
Amussat(3), frappe des inconvénients que présentent les pessaires construits avec des substances dures (bois, ivoire, métal) ou trop résistants, comme les pessaires dits en caoutchouc, eut l'idée de faire recouvrir ces pessaires d'une couche d'agaric. Grâce au velouté, au moelleux du bolet, les malades supportent facilement, pour la plupart, la présence de ces corps étrangers, qui ne provoquent pas les douleurs dues souvent aux pessaires ordinaires. Les pessaires en agaric se lavent avec la même facilité qu'une éponge ; il suffit de les tremper dans l'eau en les exprimant plusieurs fois pour les nettoyer complètement. L'expérience a confirmé le succès de ces nouveaux pessaires, auxquels Poullien, fabricant d'appareils de chirurgie, a fait subir des modifications qui les placent au nombre des découvertes vraiment utiles.
On recouvre quelquefois d'amadou les parties affectées de douleurs rhumatismales chroniques, de goutte ou de névralgie. Recouvert ensuite lui-même de flanelle, il excite une transpiration favorable.
[Le Poilypore ongulé, Polyporus fomentarius, Fries. et Pers. (Boletus fomentarius, L. ; B. ungulatus, Bull.), que l'on trouve sur les chênes, les hêtres et les tilleuls, peut également servir à préparer l'amadou ; il est plus ligneux que le précédent.]
(1) Journal de médecine et de chirurgie pratiques, t. XXXIII, p. 81.
(2) Journal de médecine et de chirurgie pratiques, t. XIV, p. 7.
(3) Abeille médicale, 1854.

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