Histoire de l'herboristerie française : interview de Ida Bost (abonnez-vous au podcast ici) :
Les herboristes au temps du certificat : le livre
Si vous vous intéressez à l’histoire et à notre tradition des herboristes, vous pouvez vous procurer le livre d'Ida Bost afin de soutenir son projet. C’est un superbe travail de documentation qui nous éclaire sur l'histoire parfois un peu flou des herboristes dans la période 1803 à 1941.
Transcription
Bonjour, je suis aujourd’hui avec Ida Bost. Ida est l’auteure du livre les herboristes au temps du certificat. Ce livre représente la moitié d’une thèse qu’Ida a faite sur l’herboristerie française et qui couvre les années 1803 à 1941.
Pourquoi ces dates ? On va voir pourquoi elles sont si importantes dans notre histoire. Le livre est publié aux Éditions L'Harmattan. C’est un livre que j’ai lu avec beaucoup de plaisir et je suis très heureux Ida, de t’avoir aujourd’hui.
Pourquoi cette thèse ?
Christophe : Ida, tu as passé plusieurs années à interroger des herboristes contemporains, tu as toi-même suivie une formation en herboristerie, tu as fouillé dans les archives de l’école supérieure de pharmacie de Paris, qui était en charge des examens d’herboristerie à l’époque. Tu as consulté les revues syndicales des herboristes, tu as consulté les archives de la préfecture de police de Paris, la littérature populaire.
Bref, tu es devenue une incroyable source de savoir pour cette période de notre histoire. Tellement, que le sénateur Joël Labbé, qui défend le projet sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales, t’a invitée à participer à sa mission d’information, qui était si je me souviens bien en 2018. Ça fait déjà deux ans.
Je me réjouis de passer un excellent moment avec toi. J’adore l’histoire et je sais que ceux qui nous écoutent, aimeraient aussi comprendre comment on en est arrivés à la situation d’aujourd’hui pour l’herboristerie française. Avant de commencer, explique-nous comment tu en es arrivé à sélectionner ce sujet de thèse ?
Ida : Ça a été un hasard. Ce n’était pas prévu. Je ne connaissais pas l’herboristerie, je ne connaissais pas les plantes médicinales, j’étais en dehors de ça et je devais travailler au Mali sur des programmes de sélections de variétés de mil et de sango, rien à voir et il y a eu des enlèvements de Français au Mali. Le programme a été supprimé et il a fallu que je rebondisse très rapidement.
C’est ma directrice de thèse qui m’a poussée en me disant, là, il faut que tu trouves un sujet. J’aimais bien les plantes, j’aimais bien la santé, je me suis dit, pourquoi pas l’herboristerie, mais ça a été un choix de dernière minute et encore une fois, je n’y connaissais rien du tout. Je me suis plongée dans ce sujet et peut-être que c’est ça aussi qui a fait le regard que j’ai eu dessus. Je n’avais aucun apriori et j’ai découvert un monde incroyable.
À partir de ce moment, j’ai complètement baigné dedans. C’est un sujet passionnant, qui a été très peu exploité, notamment par la recherche. Ça commence, ça arrive, on en parle de plus en plus, mais il y a encore beaucoup de choses à faire. Je me suis trouvée face à un vaste sujet, absolument incroyable.
Christophe : C’est un très bon point que tu soulèves, ce regard neuf que tu as apporté dans ce sujet de discussion, parce que nous, ça fait tellement d’années que l’on trempe dedans, que je ne pense pas que l’on ait un regard objectif aujourd’hui. Tandis que quelqu’un comme toi qui arrives et qui a recensé toute cette partie de notre histoire.
J’ai apprécié tout ce détail que tu nous as apporté et que tu nous as permis de revivre une histoire et j’avais l’impression que je savais ce qui s’était passé, mais en réalité, je ne savais pas vraiment ce qui s’était passé. C’est grâce à ton livre que j’ai découvert ça.
Contexte historique
Christophe : J’aimerais que l’on resitue le contexte historique, si tu veux bien, pour nos auditeurs. Aujourd’hui, lorsque l’on parle du passé de l’herboristerie, on y pense avec beaucoup de nostalgie parce que l’on nous a expliqué que le certificat d’herboriste a disparu. Il a été supprimé par le régime de Vichy en 1941 et on a l’impression que c’était mieux avant. Que tout était clair, limpide, que chacun avait sa place dans la société, que tout le monde s’entendait à merveille.
Mais on s’aperçoit dans ton livre, que la situation est plus complexe que ça. Le livre démarre en 1803 avec la création du certificat d’herboriste. J’ai dit certificat et pas diplôme, puisque diplôme, comme tu nous le rappelles, n’a jamais existé en France, contrairement à ce que l’on a répété partout. J’aimerais que tu nous donnes une vue du ciel de la situation à la fin des années 1700.
Il y a des apothicaires, des médecins, des chirurgiens, des herboristes, des droguistes, des épiciers, c’est tout un bazar. Qu’est-ce qu’ils font tous ces gens, dans le monde de la santé et qui possède le plus de connaissances en ce qui concerne les plantes médicinales ?
Ida : Effectivement, il n’y avait pas de diplôme au sens strict, parce qu’un diplôme, ça sanctionne des années d’étude et il n’y avait pas d’études spécifiques à l’herboristerie donc c’était bien un certificat. Ce qui est écrit sur les documents, c’est « certificat ».
Avant 1803, on était dans une situation où il y avait un gros bazar. On a énormément d’acteurs. On a un système théorique qui est le chirurgien, le médecin, le pharmacien ou l’apothicaire, mais c’est purement de la théorie. Vous avez tout un tas d’acteurs qui gravitent autour de ça et vous n’avez pas de frontière stricte entre un individu et un autre. Vous avez des apothicaires, qui vont plus ou moins exercer de la médecine, des médecins qui font de la chirurgie. Il n’y a rien de fixe et vous avez beaucoup d’acteurs à côté. Ça va du penseur à la sage-femme, etc.
Et parmi tout ça, il y a ceux que l’on commence à appeler les herboristes que l’on appelait herbiers avant, qui gravitent dans ce monde et ça pose problème parce que le monde de la santé n’est pas du tout structuré. Quand arrive la révolution, ça va donner une sorte de coup de pied final à tout ce système qui éclate. Ce qui se passe, c’est qu’un peu avant la révolution, il y a des tensions entre ces différents groupes et en particulier, il y a une tension entre les apothicaires et les herboristes, parce que les apothicaires veulent prendre le contrôle sur les herboristes. Ils veulent être ceux qui les évaluent, les inspectent et eux ne veulent pas, ils veulent être sous le contrôle des médecins.
Ce qu’ils font, c’est qu’ils écrivent à la faculté de médecine, pour demander à être entourés par les médecins, évalués par les médecins. C’est là que surgit l’idée d’un examen. C’est eux-mêmes qui le proposent. Ils disent « écoutez, pour vous prouver notre bonne foi, demandez-nous, vérifiez nos connaissances et en échange, on vous demande le titre d’herboriste, approuvé par la faculté de médecine. »
Ceux qui font ça, c’est un petit groupe d’herboristes, parce qu’il n’y a pas de cohérences. Dans les herboristes, vous avez un tas de profils. Vous en avez qui sont dans la rue, vous en avez qui sont dans les boutiques, des qui sont dans la ville, des qui sont dans la campagne, des qui font ça à plein temps, des qui font ça en plus. Vous avez beaucoup de femmes, d’enfants, qui vont cueillir des plantes, pour avoir un peu d’argent en plus.
Dans tout ça, il y a un groupe qui commence à se coordonner, qui se dit « herboristes de Paris », c’est le nom qu’ils se donnent et c’est ce groupe qui demande à la faculté de médecine, de les protéger, pour ne pas être sous la botte des apothicaires.
Christophe : Ils ne sont peut-être pas représentatifs de tous les herboristes, mais ils sont à Paris, un endroit où il y a beaucoup plus d’activité, d’interactions. C’est à cet endroit peut-être que l’on ressent le plus de pression.
J’ai l’impression, en lisant ton livre, qu’il y a cette tension aussi entre médecins et pharmaciens à l’époque et que les médecins, plutôt que de soutenir les herboristes de leur bon cœur et parce qu’ils y croient, viennent soutenir les herboristes pour embêter les pharmaciens. Est-ce que j’ai fait une bonne lecture ?
Ida : Oui, c’est ça. Quand on lit leurs arguments, c’est « Ah non, ce n’est pas aux pharmaciens. C’est à nous de contrôler les herboristes, parce que c’est nous qui avons le savoir. » Ils ont très bien placé leurs pions. On est dans un jeu politique, un jeu de pouvoir.
Les herboristes sont conscients de ça et s’ils s’adressent aux médecins, c’est parce qu’ils savent qu’il y a cette hiérarchie implicite du pharmacien, puis du médecin et ensuite, du chirurgien en quelque sorte. Ils s’adressent au supérieur hiérarchique du pharmacien, pour contrer le pharmacien. Oui, tu as fait une bonne lecture.
Christophe : Cette demande de reconnaissance et de certificat, c’est une demande pour être protégés, pour que l’on arrête de les attaquer, pour exercice illégal de la pharmacie à l’époque. C’est bien pour ça qu’ils réclament un certificat ?
Ida : Voilà. C’est pour être protégés des apothicaires, parce que ce qui se passe à cette époque, c’est que les deux métiers se rapprochent, puisque ces « herboristes de Paris » sont dans des boutiques comme les apothicaires et ils vendent des plantes médicinales comme les apothicaires.
À cette époque, on trouvait des plantes médicinales dans les pharmacies. Ils essayent d’avoir leur place, mais ils ne veulent pas se faire manger par les apothicaires, qui voient d’un mauvais œil l’émergence de ce métier qui se structure et qu’ils trouvent trop proche d’eux. Par exemple, il y a tout un débat pour savoir ce qui distingue l’un de l’autre et est-ce que les herboristes sont sur de la plante fraîche et les apothicaires sur de la plante sèche.
Christophe : Les épiciers, les droguistes, ces gens peuvent vendre aussi des plantes médicinales. Quelque chose qui m’inquiète, lorsque l’on recherche, que l’on veut faire une demande de reconnaissance et de certificat, c’est que parfois, ça peut être pour écraser d’autres personnes et pour moi, ce n’est jamais une bonne justification.
Est-ce qu’il y a aussi un besoin, tu penses, à l’époque, des herboristes, de dire que les droguistes et les épiciers ne doivent pas vendre des plantes ? Que ce n’est pas leur rôle, qu’ils n’ont pas les compétences. Est-ce qu’ils essayent de bloquer cette partie du marché ?
Ida : Je ne l’ai pas vu. Il n’y a pas beaucoup d’informations, il y a quelques herboristes dont on parle, on entend très bien les herboristes de Paris parce qu’ils ont fait pas mal de pétitions. Ils se sont décrits dans ces pétitions et on a une idée de comment ils se percevaient.
On peut aussi analyser, des fois, on a des textes ou ce genre de chose, mais on a peu d’informations sur la réalité quotidienne du métier et je pense, qu’en réalité, les frontières étaient fluctuantes, comme elles vont l’être par la suite et que bien des herboristes étaient aussi épiciers, faisaient tout un tas de choses et on ne voit pas apparaître cette revendication.
On sent que leur objectif, c’est d’abord de se défendre. Ils n’en sont pas à se défendre contre les épiciers ou ce genre de chose, ils en sont à se défendre contre les apothicaires.
Un certificat défini d'une manière très vague
Christophe : On parle de la révolution, c’est vrai qu’il y a eu une période très tumultueuse de notre histoire, période pendant laquelle, juste après la révolution, on peut s’établir comme médecin, simplement en payant une patente. Il n’y a pas besoin de diplômes, il n’y a pas besoin de faire d’études, ce qui me semble complètement hallucinant.
Ensuite, on réagit et on va établir une organisation des professions de la santé, le gouvernement va faire ça et c’est dans ce contexte que naît la fameuse loi du 21 germinal an XI dans le calendrier révolutionnaire, ce qui correspond au 11 avril 1803.
La loi établit un certificat d’herboristerie qui sera délivré par les écoles de pharmacie. La loi est vague, l’examen est sommaire, on a l’impression que l’on ne veut pas trop inclure de détails dans la loi ou de ne pas trop valider de compétences de soins lors de l’examen, pour ne pas empiéter sur d’autres métiers de la santé. Est-ce que tu pourrais nous parler de cet aspect vague de la loi ? Quels problèmes, ce flou juridique, va-t-il créer par la suite, pour les herboristes ?
Ida : Pour bien comprendre la loi, il faut comprendre le contexte et à quoi elle servait. Ça a été juste avant la suppression des corporations de métiers, dont tu as parlé. Les herboristes ont commencé a être entendus par la faculté et notamment, par exemple, il y a Edme Gillot de Tonnerre, qui a reçu ce titre demandé, qui a été approuvé par la faculté.
Ce n’est pas un diplôme, ni un certificat, ça n’a rien d’officiel. C’est un papier délivré par la faculté qui dit « Cet herboriste est approuvé par la faculté. » Il a fait un examen très difficile, très complet, puisque non seulement, on lui demande de reconnaître les plantes, mais on lui demande les conditions. Quand est-ce qu’on les récolte ? Comment on les utilise ? Plus inspection de la boutique.
C’est là, que l’on voit à quel point il était engagé, parce qu’il avait même mis au point un système de dessiccation des plantes avec une sorte de soufflerie et du sable, parce qu’à l’époque, Paris était très humide et le gros problème, c’était ça. Il n’est pas le seul, il y en a un deuxième qui a eu le même titre, c’est le Sieur Louis, mais on n’a jamais retrouvé le compte-rendu d’examen du sieur Louis, donc il est passé à la trappe de l’histoire. On parle que d’Edme Gillot, on oublie le deuxième.
À la suite de ces deux-là, la faculté s’arrête totalement. Ils ont beau relancer et dire, on a d’autres herboristes qui voudraient avoir ce titre, la faculté ne dit plus rien. C’est parce qu’il y a cette révolution qui arrive et qu’il y a la suppression des corporations de métiers qui organisait les métiers et qui font qu’il n’y a plus d’organisation des métiers, ce qui entraîne trois ans de situation catastrophique.
Il faut reconstruire totalement le système et l’une des premières choses qui va être faite, c’est le système de santé, parce que c’est là que c’est le plus angoissant, que ça pose le plus de problèmes. C’est dans le cadre de cette reconstitution de système que paraît cette loi qui est une grande loi de la pharmacie. C’est une loi qui organise dans le détail les études pharmaceutiques.
C’est Napoléon Bonaparte, premier consul, qui essaye de reconstruire tout ça et dans cette grande loi, il y a un article, tout petit, qui, soudain, met en place les herboristes. On se rend compte que cet article, n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le résultat de la demande des herboristes. On retrouve bien ce fameux examen, mais cet examen, au lieu d’être assujetti aux médecins est assujetti aux pharmaciens, ce qu’ils ne voulaient, précisément pas et il n’est pas détaillé.
On sent qu’il y avait très peu d’intérêt de la part du législateur dans l’encadrement du métier d’herboriste. Le fait que ça soit une forme de reconnaissance de l’herboristerie, semble en quelque sorte, un effet secondaire, mais le but premier semblait d’abord d’encadrer, de maîtriser ces herboristes qui faisaient trop parler d’eux. La loi dit simplement que « les herboristes doivent connaître parfaitement les plantes médicinales ».
C’est très vague, parfaitement. Ça veut dire quoi ? D’où à où ? Est-ce qu’il faut connaître la culture ? Est-ce qu’il faut connaître la cueillette ? Est-ce que c’est la reconnaissance ? Est-ce que ce sont les propriétés ? Rien n’est spécifié. C’est la raison pour laquelle, peu après, il y a un traité, celui de thermidor, qui explicite un petit peu plus, ce que l’on attend de l’examen, mais qui reste toujours très flou.
On comprend que l’examen, c’est essentiellement de la reconnaissance de plantes. On a des plantes, il faut donner le nom. Reconnaissance, ça veut dire ça et qu’il y a des questions annexes, mais on ne fait aucunement mention dans la loi, des propriétés thérapeutiques, ni de rien de tout cela. Ce qui est logique, dans le sens où ils sont sous le contrôle des pharmaciens, il est normal que les pharmaciens s’assurent que les herboristes n’aient pas les connaissances pour empiéter sur leurs prérogatives.
Ce qui est d’autant plus flou, c’est que la loi de germinal est l’une des lois qui va renforcer et mettre en place le monopole pharmaceutique. Nul ne peut vendre sous forme de médicament, les plantes, mais elle ne précise pas ce qu’est le médicament.
Est-ce qu’il faut comprendre que comme les herboristes sont dans la loi, ils ont une sorte de droit quand même à certains médicaments ? Est-ce qu’il faut comprendre que le médicament, c’est à partir du moment où il y a une vraie préparation ? Est-ce qu’il faut comprendre que le médicament, c’est un mélange ? On ne sait pas.
Christophe : Oui et surtout, définir la vente de plante hors du contexte du conseil, tout en respectant les lois du système médical, comme on l’a vu aujourd’hui, c’est quelque chose qui ne peut pas fonctionner, parce que les gens ont toujours besoin d’un minimum d’accompagnement. Ce qui n’était pas prévu a priori ou du moins, c’était flou.
Au sujet du certificat, comment il était délivré, j’aimerais lire un passage de ton livre. Tu as interviewé une herboriste en vie, qui raconte comment s’est passé l’examen.
« L’examen portait sur cinquante plantes fraîches, cinquante plantes sèches. Une plante sèche, une plante fraîche, dix par table. Dix spécimens et dix tables et il fallait les reconnaître les tables en cinq minutes. En cinq minutes, il fallait reconnaître la famille de la plante et puis le genre. Il y avait quelques questions quand les examinateurs voyaient qu’une personne avait fini à une table. Bon ben ils allaient l’interroger et ils lui demandaient. Je ne sais pas trop ce qu’il m’a demandé. Il a dû me demander ce que je connaissais comme solanacées et puis j’ai dit la tomate. Puis, ça ne me revenait pas trop, alors il a dit, il y en a une, la pomme de terre. Ah, j’ai dit, oui, c’est vrai. Fin de l’examen. »
Quand je lis ça, c’est plus que sommaire, c’est quelque chose de postiche, qui était une façade afin de délivrer un certificat. Oui, il y avait des compétences de reconnaissances de plantes, mais un herboriste ce n’est pas que ça aujourd’hui et pourtant, on les a assignés dans ce moule, dans ce carcan et c’était ça le certificat de l’époque.
Ida : La loi était très peu claire, mais chaque faculté de pharmacie, ce que l’on appelait les écoles supérieures de pharmacie, qui sont devenues les facultés de pharmacie par la suite et les facultés mixtes de pharmacie et de médecine. Chaque faculté interprétait la loi comme elles le voulaient, donc à Paris, il y a eu des années où c’était peut-être plus laxiste. C’est ce que j’ai observé de Paris, j’ai analysé toutes les archives de l’école de Paris.
Peut-être que dans d’autres régions, il y avait des facultés plus développées, mais en revanche, il est clair que la loi ne demandait assurément pas les connaissances en termes de propriétés médicinales et tout ce qui va avec. Comment est-ce que je prépare ? Quelle plante je mets avec laquelle ? Est-ce que je vais faire une infusion ? Une décoction ? Etc. Il n’y avait rien, c’était un examen de botanique.
C'était mieux avant ?
Christophe : Il me semble que la pratique de l’herboristerie avant le certificat, certes, elle n’était pas reconnue, les herboristes ont voulu se protéger, mais elle était aussi probablement beaucoup plus libre. Les herboristeries ne se contentaient pas de vendre des plantes, mais aussi de fournir des conseils adaptés et là, avec le diplôme, on a l’impression qu’ils deviennent des épiciers des plantes.
Basé sur tes recherches, est-ce que c’est ce qui s’est passé sur le terrain, dans les boutiques ou alors c’est juste que le certificat a été délivré sur des connaissances de botanique qui n’incluaient pas le conseil, mais en pratique, l’herboriste a continué à faire ce qu’il a toujours fait, ce qu’il a toujours appris à faire, accompagner sa clientèle sur le chemin, vers le mieux être dans le respect des professions médicales ? Est-ce que l’herboriste a continué à faire ça ?
Ida : Oui, tout à fait. Ça, c’est la définition juridique. Le simple vendeur de plantes, dont on ne sait pas très bien quelles sont les limites, les droits et les devoirs, mais ce flou, ils l’ont utilisé comme une force. Ils ont réinventé leur métier et ils pratiquaient une herboristerie qui n’était clairement pas de la simple vente de plantes. Ils ont réussi à trouver leur place.
L’herboristerie, c’étaient plusieurs choses. D’abord, ce qui est intéressant, c’est que c’était un acteur du quotidien. Les herboristes ne vendaient pas que des plantes. Ils vendaient tout un tas de choses et quand on allait dans l’herboristerie, on achetait ses plantes, mais en même temps, on achetait du fil à coudre, de l’eau, voire des appareils d’optique, voire même, j’ai trouvé un herboriste qui proposait des livres, qui faisait bibliothèque.
Ce n’est pas un espace dédié à la santé, ce n’est pas une même représentation de la santé, comme un espace à part. Elle est incluse dans le quotidien. C’est très différent des pharmaciens, qui eux, n’ont pas le droit de faire autre chose. La loi a essayé d’encadrer ça. À Paris par exemple, c’était interdit de faire autre chose que de l’épicerie et de l’herboristerie. Ce n’était absolument pas appliqué. Concrètement, ils mélangeaient tout.
La deuxième chose, c’est que clairement, ils faisaient beaucoup plus que ça. Non seulement, dans l’image populaire qu’ils en avaient, quand on lit tous les romans, il y a eu énormément d’écrits populaires sur les herboristes. C’était un personnage qui avait trouvé sa place, on lui associait beaucoup de traits plus ou moins variés, à la fois comment on le décrivait, à la fois dans ce que l’on trouvait comme annonce, à la fois dans la manière.
Ce qui est très intéressant, ce sont les monographies médicales, parce que les monographies médicales détaillent des parcours de soin. Dans ces parcours de soin, on a malade X qui a ça et le médecin reprend ce que le malade dit avoir fait et on voit l’herboriste qui apparaît très régulièrement et on voit ce que le malade attendait de l’herboriste. Ce qu’il a pris chez l’herboriste, etc.
On voit que l’herboriste faisait des mélanges, il faisait des préparations, il donnait des conseils, mais soyons honnêtes, il faisait même plus que ça, il soignait parce que l’on est à une époque où on ne peut pas avoir accès au médecin comme ça, c’est très cher. Le pharmacien, c’est très cher. Il n’y a pas sécu et vous avez toute une frange populaire de la population, qui a besoin de l’herboriste pour se soigner.
Ce qui se passe, c’est que l’on pratique l’automédication. On va d’abord chez l’herboriste dans une démarche d’automédication, je voudrais ça, ça, ça. Si ça ne marche pas, on lui dit, j’ai tel problème, qu’est-ce vous me conseillez ? Si ça ne marche pas, on va chez le médecin.
Le deuxième parcours type, c’est une inversion des rôles. On va chez l’herboriste, on s’automédique, on n’y arrive pas, on va chez le médecin parce qu’on a les moyens d’aller chez le médecin. Le médecin n’arrive pas à guérir, on va chez l’herboriste pour trouver autre chose. On voit qu’ils ne sont pas à la même hauteur que le médecin, ils ont leur place, mais ils sont bien inclus dans ce que j’ai appelé « la chaîne de soin ». Ils ont leur place et ils répondent à des besoins sociaux de l’époque.
Christophe : Ça fait plaisir de voir qu’ils sont arrivés à trouver leur place alors que comme on va le voir, ça n’aura été qu’éphémère, mais à cette époque, ça semble tourner.
Augmentation du nombre d'herboristeries
Christophe : Tu expliques que l’introduction du certificat a été accompagnée de la création de nombreuses herboristeries, en particulier dans la région de Paris que tu as vraiment étudié en détail. On compte dans les 200 herboristeries au début des années 1800 à 370 en 1835 et 571 en 1860. On a quasiment triplé en l’espace de soixante ans.
Pourquoi est-ce qu’il y a eu cette augmentation soudaine des boutiques avec le certificat ? Je ne pense pas qu’il y ait eu une augmentation de la demande et du besoin provenant du peuple, peut-être que j’ai tort. Comment on explique ça ?
Ida : Pour les premières années, il y a une mise en conformité avec la loi. Quand on étudie les annuaires, on voit tout un tas de personnes qui se désignaient comme herboristes, qui se présentaient comme herboristes avant 1803, que l’on retrouve dans les listes d’examens et pour lesquels, c’est une mise en conformité. Il y avait déjà beaucoup d’herboristes. Ça, c’est pour la première chose.
La deuxième chose, c’est que c’est un métier qui répond, comme je te l’ai dit, à une demande réelle et qui va attirer de plus en plus de personnes parce qu’il y a une hausse de la demande. J’en avais discuté avec Olivier Faure un colloque. Olivier Faure est un grand historien contemporain et une idée qu’il avait avancée et que je trouve pertinente, c’est dire, on est également au dix-neuvième siècle à une période où il y a un très fort exode rural.
Vous avez énormément de personnes qui arrivent dans les villes et c’est dans les villes que se développe l’herboristerie, pas dans les campagnes. Parce que ces gens ont des habitudes d’utilisation de plantes et ils vont avoir besoin dans les villes, de personnes qui leur fournissent ces plantes. Avec l’exode rural, les herboristes vont se développer de plus en plus. Il y a ça.
Par ailleurs, il y a, 1870, 1914, 1939 les guerres, les problèmes qui arrivent et il s’avère que l’herboristerie est un très bon débouché pour les femmes. C’est un débouché très accepté pour les femmes et beaucoup de femmes vont utiliser ce système pour trouver leur place.
Christophe : D’accord. C’est une combinaison d’augmentation de la population qui viennent des campagnes, qui vont dans les villes et qui ont l’habitude des plantes, donc la demande augmente, la légitimité qu’il y a un certificat et les boutiques qui n’étaient pas recensées comme boutiques. Tout à coup, elles peuvent se légitimer et ça fait monter le nombre de boutiques, ce qui fait qu’au fil des années, on a de plus en plus d’herboristeries dans la région parisienne.
Un métier de femmes
Christophe : J’avais une question au sujet de la tendance de la femme qui accède à ce métier. Il y a eu les guerres, les femmes ont dû travailler et trouver des débouchés. Est-ce que tu as vu d’autres raisons pour lesquelles les femmes étaient intéressées par ce métier ?
Ida : Oui, parce qu’à l’époque, il y avait une idée très claire du métier de la femme. Officiellement, la femme ne travaillait pas. Ce qui est uniquement officiel. En réalité, elle travaillait de fait bien souvent. Par ailleurs, elles étaient supposées avoir tout un tas de caractéristiques qui les désignait pour certains métiers.
Dans ces caractéristiques, il y avait l’idée que la femme prenait soin de ses enfants, prenait soin de son mari, etc. D’où le fait qu’elles ont beaucoup utilisé les métiers du soin, mais les métiers du soin plus bas dans la hiérarchie. Les femmes médecin, il va falloir attendre un bon moment.
Elles sont supposées n’être pas capables de développer et d’avoir des compétences pour être chirurgiennes ou médecins, mais en revanche, les métiers considérés comme accessibles à des personnes supposées par très intelligentes, qui ne l’étaient pas forcément, on est dans la représentation, sont typiquement l’herboristerie, les soins infirmiers, etc.
Je ne dis pas que ces métiers sont plus faciles qu’être médecin, ce n’est pas vrai du tout. On est dans de la pure représentation sociale. Donc c’est un métier qui est accepté pour les femmes. Il y a peu de métiers qui sont acceptés pour les femmes. C’est socialement mal vu de pratiquer tout un tas de métiers, mais celui-là il est bien vu socialement, parce que c’est un métier où on prend soin, en bas de l’échelle sociale.
Ce ne sont pas des personnes issues du premier échelon social, c’est un peu au-dessus, ce sont des personnes humbles. Ce sont souvent des enfants d’ouvriers qui deviennent herboristes, mais ce sont des ouvriers qualifiés. Il y a peu de journaliers ou alors ce sont des enfants de petits commerçants, de petits artisans, ce genre de chose. Ce ne sont pas des enfants de médecins, etc.
C’est un métier d’un milieu social d’humbles, donc c’est accepté. Une femme d’un milieu social humble peut travailler. En plus, il y a le fait que la boutique est le lieu de vie. Elles n’ont pas à se déplacer. Elles doivent s’occuper des enfants, là, elles peuvent s’en occuper puisque ce qui se passe en général, le rez-de-chaussée, c’est la boutique et l’étage, c’est l’appartement où l’on vit avec les chambres, voire, pour les plus humbles, la boutique se confond.
Par exemple, quand un herboriste s’en sort suffisamment pour avoir des employés, il les met à dormir dans la boutique où l’arrière-boutique sert aussi de cuisine, de lieu de vie, etc. Donc les enfants, vivent dans la boutique de l’herboriste, ce qui rend possible l’exercice de ce métier.
Christophe : On en vit ou on en vivote à peine ? Est-ce que tu es arrivé à voir s’il y avait beaucoup de faillites, de reconversions ? Quelles sont tes vues sur ce point ?
Ida : Comme c’est un métier de femme, il a cette caractéristique que l’on ne fait pas carrière dans l’herboristerie. Il y a très peu de carrières. Il y en a, il y a de très grands herboristes, qui sont reconnus, que l’on voit systématiquement dans l’annuaire. On voit qu’ils ont fait carrière, ce sont des piliers, mais vous avez tout un tas d’herboristes, souvent des femmes, qui se plient aux aléas de leur vie et aux aléas de leur mari.
Elles vont exercer, puis le mari va trouver un métier où il gagne un peu plus d’argent et elles sont priées d’arrêter d’exercer. Il va y avoir pour x ou y raison, elles vont devenir veuves, on les revoit qui arrivent. Elles se remarient, elles disparaissent à nouveau du champ, etc. C’est un métier de fluctuations et qui n’est pas stricte puisqu’on va être épicier-herboriste, après, on va retirer herboriste, on va être qu’épicière. On change, on change, on change.
Apparence de la boutique : couleurs et parfums
Christophe : C’est intéressant d’imaginer ces boutiques qui font à la fois épicerie et herboristerie dans la vision d’un soin global où quelqu’un pourrait venir et trouver des cataplasmes, une béquille, une eau minéralisée et des plantes médicinales avec une personne qui tient la boutique, une femme, qui est capable de les guider dans le sens plus global du soin avec tous ces produits.
Tu nous expliques que l’on trouve ces herboristes principalement dans les grandes villes parce qu’à la campagne, on achète souvent directement sur les marchés. Dans la ville, l’herboriste permet aux habitants de rester fidèles à des pratiques ancestrales de la vie rurale, parce que l’on ne peut plus cueillir ces plantes donc on a à Paris toutes ces boutiques.
Certains quartiers regorgent d’herboristeries, tu nous parles du quartier de Saint-Martin-des-champs, du quartier du temple, du quartier du marais. Tu décris l’apparence des herboristeries dans le livre.
J’aimerais que tu nous fasses revivre ça, voyager dans le temps. Nous parler des parfums, de l’apparence générale de la boutique, ce que l’on trouvait dans ces boutiques. Aussi, faire la distinction entre la fin des années 1800 et la période pendant laquelle les herboristes ont essayé de se donner plus de rigueur scientifique.
Ida : Je vais faire la description d’une boutique qui est exactement à Paris. Paris, c’est un lieu où il y a des quartiers à herboristeries, mais il y a même des rues à herboristes où il n’y a que des boutiques d’herboristerie. Paris est très humide, donc les herboristes ont pris pour habitude de mettre des bouquets de plantes le long de fils. La première chose qu’il faut imaginer, c’est que vous arrivez dans une rue, les boutiques sont assez sombres, elles sont décrites comme sombres, humides, ce sont des rez-de-chaussée de maison.
Ce que vous voyez, ce sont des maisons de part et d’autre et tout le long de la rue, vous avez ces immenses guirlandes qui sont devant les maisons, d’une maison à l’autre. Ça donne un air de fête. Il y a des couleurs de partout et il y a une odeur très forte parce que ça sent. Les herboristeries sont associées à ces odeurs très fortes, c’est ça qui signe l’herboristerie. Là, je suis au dix-neuvième.
Bien plus que l’apparence de la maison elle-même, bien plus que des vitrines, ce sont ces plantes qui sont étalées en dehors pour à la fois signaler que c’est bien une herboristerie et pour éviter qu’elles pourrissent, parce que c’est trop humide. On met d’énormes guirlandes de plantes d’une maison à l’autre et on sort également sur le pas de la porte, les grands sachets de plantes.
Il faut imaginer des grands sachets avec des plantes qui débordent, qui débordent, qui débordent. Quand vous rentrez dans l’herboristerie, ce qui ressort très souvent, vous avez toujours cette odeur qui est extrêmement forte, qui sent les plantes. C’est assez sombre, humide et vous en avez partout. Des étagères où ça déborde et vous avez tout un tas de produits en réalité, vous n’avez pas que des plantes.
Vous avez des vins, des crèmes, tout un tas de produits, qui s’étalent sur des étagères. Ce sont des espaces exigus, je vous rappelle, ce sont des gens qui ont peu de moyens, qui n’ont pas de grandes maisons et vous avez un petit comptoir avec une personne qui va venir et vous dire, « Qu’est-ce que vous voulez ? », etc. C’est vraiment ça.
Ce sont des débordements de produits, de plantes, de partout, accrochés en haut, en bas, on essaye de stocker comme on peut. On stockait dans l’arrière-cuisine, mais on stockait également dans la boutique avec devant, un étalage. Il faut imaginer des rues entières comme ça, parce qu’au début, on en a pas mal et plus le temps passe, plus on a des herboristeries.
Au début, elles sont concentrées sur les quartiers populaires et plus ça va, plus on va voir des herboristeries dans les quartiers moins populaires, type Palais-Royal, qui est au centre de Paris, qui sont, à l’origine, plutôt des quartiers à Pharmacie. C’est là que ça va commander à poser problème. C’est quand la distinction géographique n’est plus aussi marquée entre les herboristeries et les pharmacies.
D’où, le système syndical et ce qui se passe, c’est qu’à la fin du dix-neuvième, les pharmaciens, notamment l’association générale des pharmaciens de France, attaquent violemment le certificat d’herboriste. Pour se défendre, les syndicats d’herboristes comprennent qu’il faut être dans l’air du temps. L’air du temps du début vingtième, c’est la science.
Donc il faut changer son image. C’est là que l’on voit apparaître l’herboristerie que l’on se représente facilement, qui est un espace très clair. On se met à avoir des grandes baies vitrées, c’est ça qui va signer un peu plus. Il n’y a plus de guirlandes, on retire toutes les guirlandes, on retire l’étalage, ce fouillis de plantes. On met tout dans des petits paquets, des bocaux, dans des tiroirs.
On a tous cette image des herboristeries où on voit plein de tiroirs en bois, etc. Ça, c’est le début vingtième. On n’étale plus la plante comme on l’étalait au dix-neuvième. On la range, on met un vrai comptoir et on essaye de faire de l’espace. On change l’apparence.
D’ailleurs, au vingtième, on va se mettre à porter des blouses, etc. Toutes les représentations que vous avez des herboristes du dix-neuvième, il n’y a aucune blouse de toutes les représentations que vous avez du dix-neuvième. Ce sont des gens qui sont habillés comme tout à chacun, comme leurs collègues.
Christophe : Juste une petite précision, ça peut paraître très sensuelle comme expérience, visuelle et magnifique, on a presque envie de peindre ce que tu nous décris, mais d’un point de vue hygiène, c’était extrêmement problématique. D’un point de vue conservation des plantes aussi, parce qu’il y a l’exposition au soleil et à l’humidité.
C’est vraiment un beau progrès que d’arriver à cette partie où on commence à élargir, éclairer, à ranger les plantes, à les protéger. En revanche, c’est vrai qu’au plus, on les conditionne d’une manière qui ressemble à la pharmacie, au plus on commence à rentrer en concurrence directe avec le pharmacien, d’où toutes les problématiques qui vont suivre.
D’ailleurs, tu parles de la blouse, ça me fait penser à une vieille photo de l’herboristerie du Père Blaize à Marseille où le voit avec sa petite équipe et lui, il est en blouse, ça fait très sérieux. Super, merci de cette peinture.
Aucune école avant l'herboristerie syndicale
Christophe : Dans ton livre, il y a quelque chose qui m’a vraiment frappé et que je ne savais pas, le fait qu’il n’existait pas d’école pour former les herboristes. On parle de la période présyndicale, il n’y avait aucune formation. On a créé un certificat avec une vérification de compétences et comme on l’a vu, c’était très sommaire, sans jamais créer d’école. Quelque chose qui semble irréel.
Pourrais-tu nous expliquer comment se formaient les herboristes à l’époque ? À la période avant que la machine syndicale prenne son essor.
Ida : Tout à fait, la loi, elle n’oblige aucun enseignement, il n’y a pas formation qui est créée en même temps que la loi. D’où le terme certificat, qui est inscrit et contrairement au diplôme de pharmacien, puisque le pharmacien, lui, il a un enseignement. Ça ne veut pas dire qu’ils n’étaient pas formés, il y avait plein de manières de se former.
Ce que l’on voit apparaître, c’est déjà la multiplication de manuels. Il y avait plein de manuels d’herboristeries qui commençaient à sortir. Des manuels écrits par des médecins, des manuels écrits par des herboristes, des manuels écrits par des pharmaciens.
La deuxième chose, c’est qu’il y avait des cours d’herboristerie privés qui se mettaient en place. D’ailleurs, à l’école de pharmacie, étaient affichées des annonces avec des personnes qui donnaient des cours et on retrouve ces mêmes-annonces et ces publicités dans les grands journaux où on a « herboriste donne cours », etc.
La troisième chose, c’est qu’il y avait des sortes de stages. Il était possible d’aller travailler un certain temps dans une herboristerie pour apprendre à connaître les plantes. Il y avait une multiplication en quelque sorte, des sources possibles de savoir. Ce n’est pas que l’herboriste ne savait pas, c’est que c’était un savoir non encadré.
Il y a une grande richesse là-dedans, parce que ça veut dire qu’il y avait plein de sources possibles, plein de regards possibles sur la plante, plein de manières d’apprendre. Il y en a aussi beaucoup qui sont dans la transmission. Il y avait un savoir sur les plantes, qui était populaire, qui était global, avec des grands-parents, des parents, qui avaient acquis, transmis, des savoirs et on avait ça aussi que l’on n’a plus aujourd’hui.
Il faut comprendre que le contexte n’était pas du tout le même. Ça, c’est toute la partie du dix-neuvième. Ensuite, au vingtième, avec cette idée d’avoir un savoir qui devient scientifique et comme tu as fait remarquer, l’hygiène, c’est le dix-neuvième qu’elle prend son essor. Quand on arrive au début vingtième, il faut être hygiénique et le choix de la présentation par bocaux, par parquets, etc. révèle et tu as tout à fait raison, également des contraintes d’hygiène, de la notion d’hygiène, qui devient évidente.
Les herboristes, même, se rendent compte qu’il faut former pour pouvoir prouver que l’on est bien formé. Encadrer une formation pour prouver le savoir des herboristes, d’où la création de l’école nationale d’herboristerie, qui n’est pas nationale contrairement à ce que son nom indique. Elle n’a rien d’étatique, c’est une école privée, syndicale, mais c’est une école très complète avec une exigence de savoir qui est très élevée.
Christophe : On va en parler de cette école, parce que c’est un point intéressant. Au passage, un point que je trouve intéressant, c’est comment organiser l’éducation, le risque de trop formater les études, quel que soit le sujet, où on essaie de définir des compétences et de laisser à chaque école, le soin d’implémenter, de mettre en place ces compétences d’une manière ou d’une autre avec leurs styles, leurs différences, ce qui fait toute la richesse de leur métier.
C’est une bonne discussion et une que l’on aura probablement les années qui arrivent.
La période de l'herboristerie syndicale
Christophe : Tu as commencé à introduire ce concept du syndicalisme de l’herboristerie, parlons-en. Pendant cette époque que tu as couverte, les herboristeries ont toujours été accusés par les pharmaciens de pratiquer l’exercice illégal de la pharmacie.
Leur réaction a été de s’organiser au travers de syndicats pour se faire reconnaître, pour démarcher le gouvernement aussi, pour plus de protection, l’union fait la force, c’est logique. C’est une grosse partie de ton ouvrage, c’est ce que tu appelles l’herboristerie syndicale. C’est une période qui démarre vers les années 1870.
C’est quasiment la moitié de ton livre, on ne va pas avoir le temps de couvrir ça dans les détails, mais est-ce que tu pourrais nous décrire les grandes avancées qui se sont passées grâce aux syndicats ? En particulier, reparlons de l’école nationale qui a employé de grands formateurs comme le docteur Leclerc, (ça me fait rêver), qui reste pour moi, une grande référence de la phytothérapie française. Le syndicat, quels progrès ça a amené ?
Ida : En 1880, l’union des pharmaciens de France fait une attaque assez forte contre le certificat, en proposant de le supprimer. On est en 1880 et ça sera la première d’une longue liste. Il y en a eu plein des propositions de loi, pour supprimer le certificat, bien avant 41. Qui reprennent toujours la même chose, « Il ne sera plus délivré de certificats d’herboriste ».
Contre ça, les herboristes vont s’organiser. Il y a des syndicats régionaux chapeautés par une fédération nationale des herboristes de France et des colonies. Ils vont faire un travail incroyable. D’un côté, il y a un travail lobbying en quelque sorte. Ils contactent des sénateurs, des députés, des ministres, ils font des mises en scène des herboristes.
Régulièrement, il y a des grands dîners où toutes ces personnalités importantes sont invitées, où chacun s’exprime pour la défense de l’herboristerie. Ils font des pétitions régulières, etc. C’est comme ça qu’ils arrivent à empêcher ces propositions de loi.
À côté, ils changent leur image profondément. Déjà, ils la changent de manière visuelle avec cette boutique qui devient un lieu d’hygiène, de science. Ils se revendiquent de la science, parce qu’on est dans l’émergence de l’industrie pharmaceutique parce que l’on est dans une époque où la science, c’est l’avenir. Pour l’époque, on pense que c’est ce qui va nous sortir de là. Tout le monde croit globalement en la science et eux, ils se rendent compte qu’il y a ce mouvement et ils essayent d’entrer dans ce mouvement.
L’erreur qu’ils ont peut-être faite, c’est qu’ils ont pensé que le modèle pour entrer dans ce mouvement, était la pharmacie et ce qu’ils proposent est très proche visuellement de la pharmacie, ce qui va leur être reproché.
Christophe : Oui, c’est ça qui va les mener à leur perte. Comme tout syndicat, il y en a plusieurs, ils sont organisés par régions, le syndicat de Paris est le plus puissant je suppose. Chaque syndicat n’a pas les mêmes objectifs. On ne va pas rentrer dans les détails parce que c’est complexe et ça ne surprendra personne, c’est un petit peu les organisations des associations aujourd’hui, etc. C’est dur de mettre tout le monde d’accord.
Au fil des années, il y a quand même toujours un syndicat dominant, qui arrive à tirer de l’avant tous les herboristes pour faire progresser les choses je suppose ?
Ida : Le syndicat le plus fort, je n’aurais pas dit que c’était celui de Paris, mais celui du Nord, qui est autour de Lille et qui est extrêmement puissant puisqu’à Lille, il y a une deuxième école syndicale, qui est l’école régionale d’herboristerie. Alors que l’ENH, c’est une école syndicale, mais c’est surtout l’école de la fédération des herboristes, qui la tire. L’école régionale, c’est le syndicat du Nord qui la tire.
Christophe : Comment ils sont devenus puissants ces gens du Nord ? Il y a une personne qui a tiré ?
Ida : C’est ça. On se rend compte que ceux qui tirent l’herboristerie vers ces changements, ce sont avant tout des personnes. Il y a de très grandes personnalités, il y a des gens qui ont une force énorme et parmi ces gens, il y en a un qui s’appelle Emile Lemesle. C’est le secrétaire de la fédération nationale des herboristes de France et des colonies et c’est celui qui a transformé l’herboristerie.
Il a une énergie énorme, il y croît énormément. Ce sont des gens militants, très impliqués, qui ont une capacité de parole, de discours et qui convainquent. Ils convainquent et ils tirent. En même temps, ils changent les savoirs. Comme tu le disais, ils ont créé cette école où il y a des médecins, des pharmaciens. Ce ne sont pas des herboristes. Ils attirent à eux, des gens, dont les compétences sont reconnues.
Le plus bas, ce sont des licenciés. Les autres, ils ont des diplômes très importants. C’est très exigeant et il y a de tout. Ce qu’il faut comprendre, c’est que dès cette époque, on n’est pas dans une opposition stricte herboristes versus médecins versus pharmaciens, mais représentation d’une herboristerie qui est rejetée par certains médecins, certains pharmaciens, etc. et inversement.
En réalité, il y a toujours eu des passages entre la pharmacie et l’herboristerie, plus complexes qu’on le pense, puisque comme la pharmacie était un métier d’hommes, que l’herboristerie était un métier de femmes, beaucoup de femmes de pharmaciens sont devenues herboristes. Il y avait sans cesse des passages de l’un à l’autre. Ce n’est pas vrai qu’au quotidien il y avait cette opposition.
Cette opposition, elle a été construite, elle est politique, elle est de discours et l’herboristerie syndicale se place sur ce plan de la distinction politique, notamment en valorisant le savoir, l’apparence, etc.
Christophe : Le syndicalisme se place dans cette opposition ? C’est ça que tu es en train de nous dire ?
Ida : C’est ça.
Christophe : Dans le terrain, dans les villes, tout se passe plutôt bien, mais le syndicat des pharmaciens a élevé le discours et le syndicat des herboristes va se dire, si eux le font, on va le faire aussi et on va s’établir dans cette opposition.
Ida : Alors ça ne se passe pas toujours plutôt bien, ça dépend des fois, mais ça ne se passe pas systématiquement mal, ce n’est pas vrai. Il y a un tas de collaborations et vous avez des pharmaciens qui envoient vers des herboristes, des herboristes qui envoient vers des pharmaciens.
C’est plus complexe que la simple opposition, mais au niveau de l’organisation, de l’institution, du discours public, de ce que l’on voit quand on lit les débats parlementaires, les débats au sénat, etc. on est sur autre chose, qui est de l’opposition violente. C’est très violent. On utilise le vocabulaire de la guerre, c’est une guerre c’est extrêmement violent.
On voit qu’il y a aussi une déconnexion entre cette réalité du terrain et la réalité syndicale qui coexistent, c’est que les syndicalistes, ce sont des hommes. Ce sont quasiment tous, des hommes. Je n’ai trouvé qu’une femme à la tête d’un syndicat et c’était après 41, après la suppression du certificat. Ce sont que des hommes parce qu’à l’époque, une femme, elle ne se syndiquait pas.
Christophe : donc c’est un syndicat qui est non représentatif de l’ensemble des herboristes.
Ida : C’est ça. Il parle au nom des herboristes, ils ont fait énormément pour l’herboristerie, ils les ont changés, ils les ont défendus, il faut le dire, s’ils n’avaient pas été là, le diplôme il serait supprimé dès la fin du dix-neuvième siècle.
Ils ont fait énormément, ils l’ont fait vivre jusqu’en 41, mais ils ne sont pas tous les herboristes, toute la réalité herboristique. Je me souviens, j’avais parlé à une dame qui était fille d’herboriste, qui exerce l’herboristerie, qui avait, si je ne me trompe pas, 19 ans en 41, qui n’a pas pu, parce que la majorité était à 21 ans. Elle n’a pas pu passer son certificat, mais sa mère l’était, était herboriste certifiée et elle me racontait ces réunions.
Elle me racontait comment elle et sa mère, ne se sentaient absolument pas dans les réunions syndicales, comment elles ne comprenaient pas le mouvement syndical, comment ce mouvement leur semblait très éloigné de leur quotidien. En disant, pourquoi ils font ça, pourquoi ils sont revenus comme ça alors qu’eux, au quotidien, ce n’est pas ça qu’ils vivent. On a deux mondes.
Christophe : Finalement, cette déconnexion entre le monde politique et nous en bas, qui existe depuis tellement longtemps. D’accord, merci. Pour ceux qui nous écoutent, si vous voulez en savoir plus sur cette période syndicale et les autres, allez voir le livre d’Ida parce qu’il y a tous les détails.
Suppression du certificat en 1941
Christophe : Ce qui nous amène peu à peu finalement à la suppression du certificat. La pression des pharmaciens et des syndicats augmente, la pression sur le gouvernement est énorme et comme tu dis, c’est un miracle que le certificat n’ait pas été supprimé avant. Aujourd’hui, on rouspète, on se dit, il a été supprimé en 1941, mais il faut réaliser que c’est un miracle qu’il n’ait pas été supprimé 50 ans avant.
On est pendant la Seconde Guerre Mondiale, c’est le régime de Vichy, on est le 11 septembre 1941, le certificat est supprimé. Ce qui m’a surpris, c’est que l’on n’a pas l’air de savoir grand-chose sur cet épisode.
Est-ce que tu as trouvé des documents qui expliquent comment les discussions se sont déroulées sous le régime de Vichy ? Nous dire pourquoi après la guerre, les syndicats d’herboristes qui pourtant, étaient bien connectés avec les politiciens, ne sont pas arrivés à faire retirer cette loi qui semblait tellement injuste pour le métier ?
Ida : On ne retrouve pas de documents sur les discussions possibles. À mon avis, il n’y en n’a même pas eu.
Ce qui se passe, c’est que pendant la guerre, les herboristes partent à la guerre. Tous ces grands syndiqués ne sont plus là. Ce sont les hommes qui portaient, qui parlaient, qui mettaient en avant et ces hommes ne sont plus là. Ensuite, pour rappel, ce ne sont pas des gens qui ont de gros moyens financiers, donc ils sont d’autant plus impactés par les difficultés économiques que cela entraîne et qui du coup, ont plus de mal.
On voit bien la revue herboristique, la revue de la fédération, c’était une belle revue et on voit à quel point elle se détériore après. Ça devient un tout petit truc, qui ne paraît pas régulièrement parce qu’il n’y a pas d’argent pour la faire paraître. Il n’y a plus les moyens de communiquer, ils ne sont plus là pour se défendre et surtout, il y a un gros problème, c’est que comme je te l’ai dit, tout fonctionne sur des individus phares qui font le lien avec l’herboristerie, sont des personnes que l’on voit, médiatiques, etc. et Lemesle se retire du système.
Lemesle meurt, il n’est plus là, les grands, ne sont plus là et il n’y a plus ces connexions qui se font. À la faveur de cet affaiblissement énorme du système syndical, la loi paraît. C’est la même que ce qui avait été proposé par l’association générale des pharmaciens de France avant, sauf qu’il y a une précision, il est écrit « Il ne sera plus délivré de diplôme d’herboriste. »
Il y a ce mot qui montre bien à quel point le législateur, quand il l’a écrit, il ne savait probablement pas très bien contexte et il ne maîtrisait probablement pas bien la question, il aurait écrit « certificat » sinon et non « diplôme ». Et encore une fois, c’est la loi de 41, une grande loi.
Il y a un article qui balaye les herboristes, mais cette grande loi, c’est en partie celle qui redéfinit le médicament de manière claire, c’est celle qui reconstruit l’industrie pharmaceutique, etc. Grande loi de la pharmacie, un petit article, on évacue les herboristes.
Christophe : On aurait pu en profiter pour reconstruire l’herboristerie au passage, mais ça n’a clairement pas été fait. C’est qui a fait que les derniers herboristes qui ont pu pratiquer en tant qu’herboristes du certificat, c’était ceux qui ont eu le diplôme avant 1941. Ce qui fait qu’aujourd’hui, nous n’en n’avons plus en vie ou il nous en reste ?
Ida : Est-ce qu’il en reste encore ? Je sais qu’il y en a une qui est morte récemment. Il est très vraisemblable qu’il n’y en n’est plus ou alors ça se compte sur les doigts d’une main.
Christophe : Oui, c’est possible, il faudra que je regarde. Je devrais connaître ce point, mais je ne m’en souviens plus.
Ouverture sur l'avenir de l'herboristerie en France
Christophe : Je vais te poser une dernière question. Elle n’est pas facile, mais je vais te la poser quand même. Tu as participé à la mission d’information organisée par Joel Labbé au sénat qui s’est déroulé en 2018, tu as étudié tout l’historique des propositions de lois qui ont été soumises au gouvernement au travers des siècles, il y en a eu plusieurs.
Aujourd’hui, quelles leçons on peut tirer du passé, si un jour, le statut d’herboriste est de nouveau accepté officiellement ? Ça ne peut pas être comme c’était avant, ce n’est pas possible, le monde a changé, le contexte est différent aujourd’hui, le statut sera différent. Est-ce que le passé nous aide à avoir une idée ?
Question difficile, je sais, mais j’aimerais vraiment que l’on finisse sur un message positif, un message d’ouverture sur l’avenir.
Ida : D’abord, comme tu le dis, on n’est plus dans le même contexte. L’herboriste répondait à des enjeux sociaux spécifiques, qui étaient par exemple, la difficulté d’avoir un accès aux pharmaciens, aux médecins, etc. pour toute une tranche de la population. On a la sécurité sociale qui est arrivée, on n’est plus sur la même chose.
En revanche, l’herboristerie a pris un sens nouveau et répond à des enjeux éminemment contemporains. C’est d’abord, très clairement, la question environnementale. Elle s’est largement chargée de cette question, quel rapport j’entretiens avec l’environnement, quel rapport j’ai aux plantes. Quand je prends une tisane aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour ce qu’elle va m’apporter, c’est également quelle relation j’entretiens avec cette plante et cette tisane. L’environnement, soyons honnêtes, c’est un enjeu contemporain très fort.
La deuxième chose, c’est la question du patrimoine. L’herboristerie, c’est un élément de notre patrimoine, de notre histoire et c’est très clair. C’est le remède de nos grands-mères, de nos arrière-grands-mères, etc. C’est qui je suis et la question de l’identité. Ça nous permet quelque part de nous reconnecter avec une localité. Dans l’herboristerie actuelle, c’est extrêmement important d’être sur des plantes locales. Ça, c’est la deuxième chose.
La troisième chose, c’est qu’elle répond à l’éclatement de la notion de santé. Si on regarde la loi et c’est là qu’est le problème, il y a la santé, la non-santé. Ce n’est pas vrai. La santé, c’est un caléidoscope de pratiques et vous avez un grand écart entre un médecin qui va soigner un cancer, qui n’a rien avoir avec l’herboristerie et d’un autre côté, quelqu’un qui va aller dans son magasin, va arrêter le gluten, etc. Tout ça, c’est de la santé.
Aller faire son jogging tous les dimanches, c’est de la santé. Il y a plein de choses, c’est une sorte de millefeuilles la santé et il faut aujourd’hui, arriver à le reconnaître. Les gens revendiquent de plus en plus ce millefeuille, cette partition multiple et variée.
Ce n’est pas parce que je vais aller voir un herboriste, que je ne vais pas aller voir un médecin. Ce n’est pas vrai, je vais faire les deux. Ça dépend de comment je partitionne mon problème, si j’estime que ça relève de l’herboristerie ou pas et le problème, c’est que la loi ne voit qu’en noir et blanc, là où il y a un éclatement de nuances.
Et l’herboristerie rentre aujourd’hui pleinement dans cet éclatement de nuances. C’est un élément qui fonctionne avec tout un tas d’autres choses. Si je veux utiliser les plantes, je vais utiliser l’aromathérapie, etc. ça, c’est éminemment contemporain.
Il n’y a jamais eu strictement qu’une médecine, ce n’est pas vrai, mais aujourd’hui, il y a une revendication de cette pluralité, il y a un enrichissement de cette pluralité, qu’il faut arriver à reconnaître. C’est vrai que les contextes sont différents, mais ce que nous apprend le passé, c’est d’abord que l’herboristerie, ce n’est assurément pas une histoire de simplement dire, j’ai ça, je veux éviter d’avoir ça, comment je fais ? Ça a un sens social qui est plus riche, plus approfondi et qu’il faut arriver à le comprendre.
Il faut arriver à savoir ce qu’est être herboriste dans notre société pour pouvoir l’encadrer. Il ne faut pas se dire simplement, c’est une question de délivrer des plantes. Ce n’est pas vrai, ça va bien au-delà. Il faut arriver à le saisir. La deuxième chose, c’est que la loi ne doit pas le bloquer. C’est un métier protéiforme, c’est un métier qui s’adapte. Thierry Thevenin, un grand paysan herboriste, disait, la plante, elle a cette particularité qu’elle n’entre pas dans une case.
Je suis tout à fait d’accord avec lui et l’herboriste, c’est pareil. Il s’adapte, il se développe, il n’entre pas dans une case, ce n’est pas vrai. Il faut à la fois avoir un encadrement qui lui laisse sa liberté et en même temps, un encadrement qui ne soit pas complètement à côté de la plaque, qui l’empêche d’être. Il faut faire très attention au poids juridique. On voit les erreurs qu’ont étaient celles du certificat au niveau de l’écriture juridique et il ne faut pas les reproduire.
Christophe : Quel beau résumé, mieux le comprendre, pour ensuite, mieux l’encadrer. C’est bien dit. Chacun a sa place, que l’on arrête de se taper sur la tête, il y en a marre. Je dirais aussi que le diable est sorti de la petite boîte, on ne le remettra pas dans la boîte, ça, c’est clair et j’adore ton expression, le « millefeuille de la santé ». Je vais probablement le réutiliser. Je mettrais un petit TM à côté, « TM Ida Bost », si ça ne te dérange pas :-).
Un nouveau livre très bientôt ?
Christophe : Tu nous as dit que dans ton livre, il y a uniquement la moitié de ta thèse. Qu’est-ce qu’il y a dans ta thèse qu’il n’y a pas dans le livre numéro un et est-ce qu’il y aura un volume 2 de ce livre ?
Ida : Ce qu’il n’y a pas, c’est après 41. J’ai continué l’analyse, jusqu’à aujourd’hui. Les années 70, la création des écoles, comment ça s’est fait, etc. et tout ce qu’est l’herboristerie contemporaine. C’est ce que je t’ai dit, ce nouveau sens, qu’est-ce que c’est de faire ou d’utiliser des plantes.
Comme tu l’as dit, j’ai fait une formation pour essayer de les comprendre, parce que c’est un langage spécifique et je me suis rendu compte qu’il fallait que j’arrive à comprendre ce langage pour pouvoir le traduire et la manière dont les herboristes entretiennent la relation, leur manière de toucher des plantes, etc. qui est caractéristique. Il y a tout ça.
Ce que je voudrais, c’est le continuer avec ce qui se passe actuellement au sénat, poursuivre l’analyse, aller jusque-là et ce que j’aimerais, c’est une fois ça, publier un deuxième livre qui serait là-dessus.
Christophe : Tu nous donnes envie là. Tu n’as pas idée de quand ça va paraître bien sûr, je ne vais pas te demander. D’accord. On attend volontiers le deuxième volume. Pour vous qui nous écoutez, le premier volume, il est ici, il s’appelle Les herboristes au temps du certificat, c’est écrit par Ida Bost, c’est aux Éditions l’Harmattan.
Si vous vous intéressez à l’histoire et à notre tradition des herboristes, achetez ce livre. On soutient au moins l’effort, le projet. C’est un superbe travail. Ida, je voudrais te remercier pour ce temps que tu as passé avec nous, à nous éclairer, à partager ton savoir. J’ai hâte de démarrer une deuxième partie de cette discussion, dès que ton nouveau livre sera sorti.
Ida : Ça marche. Merci à toi et de rien. Je suis contente d’échanger, parce que c’est un sujet magnifique et c’est un sujet qui n’est quasiment pas connu. Quand j’ai commencé à analyser les archives, il y a des archives, j’ai dû les ouvrir parce qu’il y a des livres et des manuels qui n’avaient jamais été ouverts. Il y a tellement à faire encore, que j’espère que d’autres vont s’intéresser aussi à ce sujet, parce qu’il mérite d’être développé.
Christophe : Je l’espère. Bonne continuation avec tous tes projets et j’espère que l’on aura très bientôt une nouvelle discussion sur l’herboristerie des temps modernes.
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Nathalie dit
Un grand merci à Ida et à Christophe pour ce partage passionnant. J'attends la suite avec impatience....
Oim dit
Bonjour et merci pour vos articles si bien documentés. J'ai une question technique à vous poser: comment faites-vous pour retranscrire en format texte les paroles d'une interview audio? J'imagine que vous utilisez un logiciel? En tout cas, c'est très bien je préfère de loin lire qu'écouter, on retient mieux et on peux revenir en arrière plus facilement si on n'a pas compris. DOnc continuez mais je veux bien connaître l'astuce technique pour l'utiliser ailleurs si c'est possible
merci
sabine dit
bonjour Oim
Christophe utilise les services de quelqu'un qui s'occupe de la partie technique , donc ne saurait vous dire les détails
Lise Besné dit
Merci pour ce partage, très intéressant!
pascal27 dit
Merci Ida et Christophe pour débattre sur ces sujets de fond !
L'histoire est derrière nous, mais il se profile une autre histoire, celle des hommes et des femmes responsables et autonomes qui choisiront leur façon de vivre pour se soigner.
Et il me semble que se soigner n'est pas le seul fait d'un médicament, c'est un "totum" de pratiques et d'équilibre de vie dont le végétal, le minéral, l'animal font partie. Nous sommes à un tournant de société, certains événements climatiques et/ou sociaux nous parlent déjà.
Restons confiants
pascal
Hervé GOURIOU dit
...après réflexions et analyses des diverses informations rapportées par Ida Bost dans le long entretien qu'elle a ici, avec Christophe, pour notre plus grand plaisir, je me suis dit que, dans le fond, malgré plus d'un siècle et demi de discussions, débats et querelles intestines dans les domaines de la Santé publique, entre praticiens de la médecine officielle (docteurs, médecins ou chirurgiens), apothicaires ou pharmaciens et phytothérapeutes ou naturopathes dans lesquels j'inclue les herboristes ou herbalistes, rien n'a réellement changé jusqu'à nos jours pour conserver les prérogatives et intérêts des uns au détriment des autres...et surtout au détriment de la santé du Peuple !... Car si aujourd'hui, les herboristes sont interdits ou limités dans les autorisations légales de conseils médicaux publics pour les utilisations de plantes ou leur ventes, c'est toujours encore à la demande et sous les pressions de l'Ordre des médecins et de l'Ordre des Pharmaciens, structurés au siècle dernier en Syndicats ou Fédérations, avec une différence importante toutefois depuis quelques décennies, qui est l'apparition de Grands Laboratoires Pharmaceutiques ou Big Pharma qui, par le biais de leurs Lobbys, ont détourné les soignants publics de leurs serments d’Hippocrate, vers davantage d'intéressements pécuniaires ...
Véronique Oddou dit
Un grd merci a ida et christophe pr ce sujet qu'est l'herboristerie... Et vivement la suite qui parle de l'actuel
Catherine L dit
Voilà une belle transmission de savoirs ! Merci de ce partage Ida et Christophe, le sujet en est passionnant effectivement. J'attends déjà la suite avec curiosité et gratitude. D'ici là j'aurai eu le temps de lire ce premier volume tranquillement et par là, contribuer à valoriser ce travail de recherches et espoir d'une reconnaissance officielle de ces formations en herboristerie.
Anne dit
Merci ! Superbe travail, interview passionnante, je dirais même que nous avons pratiquement assisté à un cours magistral (Mme Bost pourrait avoir de l'avenir à l'Université, mais connaissant un peu le milieu, disons que c'est une idée comme ça...) 😉
Je me demande toutefois que est le domaine où s'inscrit cette thèse : Histoire ? Ethnobotanique ? Agriculture ??? Parce que ce n'est pas dit dans la présentation, et je trouve que ça manque : ça pourrait être utile à des étudiants que le sujet intéresse de savoir que ce genre de sujet est considéré par l'Université (j'aime bien la façon dont Mme Bost insiste sur le fait que tout cela concerne de plus en plus de monde à l'heure actuelle...)
Et on voit également que les hommes (plus que les femmes) ont un peu tendance à faire ce que l'on appelle dans la littérature orale "des combats de pouvoir" et que cela se termine toujours par la défaite de l'un des deux combattants... Hélas pour l'herboristerie, au bénéfice des "apothicaires", ce qui n'aurait peut-être pas eu lieu si les femmes avaient eu la parole dans les syndicats... 8-/
Nous ne pourrons pas refaire l'histoire, mais il y a de l'espoir actuellement dans la perspective de la "transition" et à mon avis la chose la plus efficace risque bien, hélas, de "croiser les doigts" (mais c'est de la pensée magique !!!) 😀
Anne dit
Pardon, petite rectification, la dernière phrase n'est pas claire : la chose la plus efficace risque bien d'être le fait de "croiser les doigts"
Hervé GOURIOU dit
je me suis posé la même interrogation que la votre, quant à quoi rattacher la Thése de Ida Bost ... mais dès le premier abord j'ai pensé que c'était une suite logique à la précédente interview de Christophe de Richard Arnoldi, sur l'Ethnobotanique, incluant un recensement des savoirs et connaissances sur les pratiques historiques ou originelles relatives aux Plantes Médicinales... Maintenant, quand vous dites, en conclusion de votre commentaire :..." nous ne pourrons pas refaire l'histoire mais il y a de l'espoir actuellement dans la perspective de la "transition"... Je suis plus que septique quant à des changements positifs et favorables par les tenants des pouvoirs politiques, tant que des Lobbies pharmaceutiques et des Ordres des médecins et des pharmaciens seront aussi influents, qu'ils le sont depuis plusieurs décennies et de plus en plus aujourd'hui.... Il va falloir une solidarité accrue des partisans de l'utilisation des médications naturelles (phytothérapie, aromathérapie, homéopathie etc...etc...) pour combattre et résister pour influer vers une place à part entière de la Naturopathie dans les soins de la Santé populaire...
Hervé GOURIOU dit
bravo à Ida Bost pour son travail de recherches qui n'a pas du être... simple !... Mais personnellement je reste un peu sur ma faim à la suite de votre interview et en lisant son ouvrage, j'aurai peut-être plus de réponses... Car dans la période du siècle 1800/1900 et plus, il y avait ce qu'on pourrait appeler les herboristes des Villes que nous a narré, principalement Ida Bost, et mais également des herboristes des champs, qui étaient des soigneurs, des guérisseurs, des généralistes de campagne, utilisant uniquement des plantes locales... Depuis plusieurs années déjà je me suis passionné pour cette même histoire et, avec patience j'ai fouiné et téléchargé sur Gallica/Bibliothèque Nationale, des quantités d' ouvrages, volumineux, de centaines de pages relatifs aux Plantes Médicinales depuis les années 1700, voire même avant (1440/1460) et je me suis aperçu qu'à l'époque de la Royauté plusieurs ouvrages existaient (dont celui d'un certain Pierre Chomel, docteur de la Faculté de médecine de Paris et de l'Académie Royale des Sciences et pour couronner le tout, médecin du Roy, qui s'est fendu d'un "Abrégé des Plantes usuelles de 742 pages, destinés " aux jeunes gens qui veulent s'appliquer à la Médecine" et qui explique les différentes compositions des plantes, les manières de les employer et les dosages etc...), mais pour la période concernées par l'ouvrage d'Ida Bost, quand elle dit que les Herboristes du Nord de la France étaient très puissants, et qu'on sentait l'influence de puissants herboristes, j'ai pensé immédiatement à celui cité dans Wikipédia comme l' "Auteur d'un imposant Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes , F.-J. Cazin, considéré comme « l’ancêtre de l’école française de phytothérapie » (dixit Wikipédia).... et je pense que bien que médecin il était avant tout un herboriste-phytothérapeute de la campagne de la région de Boulogne... Ses ouvrages écrits en 1850 et complétés par lui puis par son fils Henri Cazin jusqu'en 1876, sont pour moi des références uniques dans le domaine des plantes médicinales... Mais, ce n'est qu'une parenthèse dans l'excellent travail historique que nous a présenté Ida Bost, excellemment interviewé par Christophe, Notre Herboriste/Herbaliste préféré ... 🙂
Nathalie dit
Ida à fait un travail très riche sur le passé de l'herboristerie. On l'écoute avec grand plaisir et elle nous communique son enthousiasme. Bravo et tout mon soutien pour continuer sur ce sujet! Et merci à Christophe bien sûr de l'avoir interviewée !
Larroche dit
Merci à Ida pour tout ce travail de recherches qui nous éclaire sur cette histoire.. et merci à Christophe de nous le transmettre... mais je n'y vois pas encore le lien avec les laboratoires qui produisent les médicaments vendus par les pharmacies...est ce parce que les lobbys des laboratoires ne sont pas encore très "visible" en 1941 ??
sabine dit
Bonjour Larroche
je ne saurais vous dire, mais le sujet est centré sur l'herboristerie et que l'histoire du lobbying en est un autre
Nathalie dit
Un grand merci pour l'interview et la retranscription. C'est très passionnant et enrichissant. Merci à tous deux et à l'équipe Althéa Provence pour ce que vous partagez avec tant de générosité.
Ingenbleek dit
Magnifique j ai été captivée du début à la fin merci
Morgane Peyrot dit
Un travail très riche et passionnant ! Bravo à Ida, et merci Christophe pour la retransmission de ce petit bijoux que je vais me procurer sans tarder ! 😀
Anne Neron dit
Passionnante recherche,très fouillée,qui nous aide à mieux comprendre comment s'articulent les oppositions et les complémentarités du domaine du prendre soin.
Birem dit
Bonjour, vous vous intéressez aux plantes et aux herboriste, c est passionnant ! continuez et bravo ä ida
Marie-Claire Girondier dit
Passionnant !
Michelle dit
Merci, sujet très intéressant.