Préface Moore



PRÉFACE

Il y a quelques années de cela, je pense que nous étions en 1980, je travaillais avec un homme de la trentaine qui souffrait de dermatite atopique. Sa condition était quelquefois assez aiguë pour former des vésicules, parfois la maladie prenait la forme d’une dermatite de contact sur ses mains, aggravée par le fait qu’il était barman et qu’il devait travailler avec des liqueurs et des produits de nettoyage.

En ce temps-là, j’utilisais une approche mitigée, me reposant grandement sur les plantes pour adresser les symptômes primaires et rajoutant d’autres plantes pour les problèmes secondaires visibles. J’utilisais une approche thérapeutique très similaire des herbalistes anglais (NDT : traduction de “British Medical Herbalists”), mais me reposant sur les plantes que je ramassais moi-même dans la partie ouest des Etats-Unis. Je connaissais beaucoup de plantes, j’avais un magasin rempli de préparations à base de plantes que je préparais moi-même, et je pensais avoir un savoir plutôt sophistiqué de leurs diversités Vous désirez une plante pour le foie ? Je les connaissais toutes, et la symptomatique précise pour les distinguer les unes des autres. J’étais un herbaliste dédié à résoudre un problème. J’aidais les personnes, mais je n’avais qu’une idée vague et floue sur l’évaluation et le traitement de la physiologie sous-jacente.

Je donnais donc à cet homme ce qui me semblait approprié pour la situation. Certains aliments semblaient aggraver la dermatite, particulièrement ceux riches en protéines et lipides, je lui donnais donc de la gentiane comme tonique amer, à prendre avant chaque repas. En principe, des sécrétions gastriques pauvres se traduisent par une présence étendue de nourriture non digérée dans l’estomac, permettant à la personne allergique d’acquérir des intolérances alimentaires, aggravant de ce fait les réactions systémiques comme la dermatite. Bien que la plupart des gens souffrant de ce type d’allergies soient constipés, cet homme avait des selles molles. J’en déduisais donc qu’il avait une stéatorrhée (lipides non-digérés dans les selles), et une muqueuse intestinale et colique enflammée, je rajoutais donc de la patience crépue (Rumex crispus) afin de resserrer les muqueuses. De plus, le problème semblait systémique (propagé par le sang) car la réaction topique à l’alcool et aux produits de nettoyage faisait surface seulement lorsqu’il avait eu d’autres réactivités. Il était seulement réactif et pas vraiment allergique, je rajoutais donc le stimulant du foie qui ne déçoit jamais, la racine de mahonia (Mahonia acquifolium)(NDT un proche cousin de l’épine-vinette, Berberis vulgaris).

En ce temps-là comme aujourd’hui, je savais qu’au plus vite les déchets allergiques seraient métabolisés par le foie, au moins la condition serait réactive. Moins de réactions aux autres irritations seraient observés, et la fréquence et la sévérité de chaque épisode diminuerait. Les plantes fonctionnaient toujours, l’homme avait déjà fait un parcours médical complet avec peu d’améliorations durables, et là encore (musique et fanfare en arrière-plan), j’allais aider quelqu’un.

Deux jours après avoir commencé cette approche logique et sans faille, il soufra d’une urticaire géant, de la tête aux pieds. Je retirai la patience crépue et la gentiane, gardant l’infaillible Mahonia, et l’urticaire s’aggrava. Il arrêta le Mahonia, et l’urticaire s’améliora peu à peu. Nous passâmes en revue son alimentation et ses traitements médicamenteux pour les allergies et l’urticaire, mais son alimentation n’avait pas changé. Il ne prenait aucun médicament et il ne buvait même pas d’alcool car il avait découvert que boire aggravait la dermatite. Tous les livres et mon expérience personnelle dictaient le Mahonia, mais la reprise de la teinture ramena l’urticaire.

Je changeais de tactique, et deux ou trois jours d’infusion de racine de bardane firent disparaître l’urticaire. Je rajoutai de la racine de pissenlit à la bardane, et graduellement la dermatite s’atténua pour devenir une condition occasionnelle et moins marquée, sans vésicules ni réactivité de la peau. Ces deux plantes sont grandement recommandées pour les problèmes de peau chroniques, mais j’avais eu que peu de succès avec elles jusque-là. Le Mahonia avait été efficace d’une manière consistante… jusque-là.

Je discutais de tout cela avec un ami acupuncteur. Elle trouvait cela étrange, vu que l’eczéma ou la dermatite est en général le résultat d’une déficience des reins (ou quelque chose comme ça… Je m’y connais peu dans le modèle de diagnostic de MTC)(NDT : MTC = Médecine Traditionnelle Chinoise). Alors que l’urticaire est considérée comme symptôme d’un déséquilibre différent, causé par la chaleur du foie montante et, pensait-elle, le Mahonia avait dû aggraver la condition pour cet homme.

Je me repenchais sur mes anciens clients souffrant de dermatite, de rhume des foins et d’allergie atopique et découvris qu’ils avaient tous une peau sèche, étaient constipés, urinaient fréquemment, souffraient de différents types d’allergies atopiques, et avaient une passion pour les aliments sucrés, les féculents, les fruits, et autres aliments de type Yin.

Je reparlais avec le barman. J’avais été tellement sûr de son traitement que je n’avais pas creusé assez profond. Il avait une peau grasse, des selles molles, n’avait pas tendance à uriner fréquemment, et préférait la nourriture riche en protéines et lipides… bien qu’il évitait la nourriture très grasse car il avait observé par lui-même que, comme l’alcool, elle aggravait la dermatite. Il n’avait aucun historique d’allergies, et ses parents ne souffraient pas d’allergie. La plupart des gens qui souffrent de réactions atopiques ont des antécédents familiaux à ce sujet, car c’est une condition que l’on hérite – un excès d’immunoglobulines E et une surréactivité des mastoctes et basophiles induite par un excès d’une ou plusieurs enzymes leucocytaires. En fait, le problème de peau avait commencé après un léger cas d’hépatite trois années auparavant. L’hépatite devint aiguë plusieurs mois plus tard lorsqu’il aida un ami à reconstruire un moteur. Il avait été en contact fréquent avec de l’essence et des dissolvants.

Il ne représentait pas la personne normale souffrant de dermatite, personne sèche, de type yin et allergique (et bénéficiant toujours de l’action du Mahonia) ; il était une “boule de graisse anabolique” (NDT : traduction de “anabolic greaseball”, un terme comique souvent employé par Moore, archétype d’une constitution qui sera définie plus bas). La réaction allergique avait été acquise, et pas héritée. Elle était le résultat de l’hépatite et de l’exposition aux hydrocarbures. Les plantes ne faisaient qu’exagérer sa nature, et un foie légèrement affaibli n’arrivait pas à gérer l’irritation ascendante ; il avait eu une urticaire. Apparemment, la bardane et le pissenlit avaient une action refroidissante sur le foie.

Je vérifiai les autres plantes que j’utilisais. Je renouvelais mes efforts afin de les considérer comme agents complexes plutôt que de leur donner des étiquettes thérapeutiques simplistes… étiquettes empruntées de la médecine, une science où les composants actifs sont plus facilement décrits et définis par leur nature pharmacologique.

La valériane est sédative pour certaines personnes, et très déplaisante pour d’autres. Pourquoi ? Je sortais tous mes livres, revoyais les groupements symptomatiques homéopathiques, et je commençais à énumérer les utilisations traditionnelles variées et conflictuelles. Je créais un catalogue complet des réactions bizarres et des similitudes que j’avais observé dans le passé et je bâtis graduellement un modèle de compréhension des plantes complètement différent.

Les plantes sont des agents exogènes. Elles n’imitent pas les fonctions du corps. Par contre, le corps réagit à leur présence. Elles n’imitent pas, n’inhibent pas, ne bloquent pas la digestion, l’absorption, la circulation, le métabolisme et l’excrétion de la même manière que les médicaments. Elles stimulent ces fonctions par leur présence dans le corps. Leur complexité est aussi leur grâce, si vous savez comment en tirer profit.

La valériane, la passiflore, le houblon, la verveine officinale, l’actée à grappe noire, la lobelia, le millepertuis et la scutellaire sont toutes des plantes sédatives utiles. Par contre, chacune est très différente de l’autre dans leurs manières d’affecter les intestins, le foie, les reins, la peau, la respiration et les fonctions vasculaires. Certaines stimulent les fonctions parasympathiques, d’autres inhibent les fonctions sympathiques, certaines stimulent la respiration, d’autres la calment… alors que d’autres n’ont aucun de ces effets mais affectent la peau.

En constatant tout cela, je décidai de dresser une table de tous leurs effets sur les systèmes d’organes majeurs, (soit stimulant, soit inhibant leur fonction,) ignorant pour l’instant qu’elles étaient toutes considérées comme sédatives… du moins pour le système nerveux central. Ceci signifiait l’élaboration du rôle que ces organes jouent dans notre physiologie, la détermination des symptômes d’excès et de déficience, afin de comprendre leur relation avec les effets secondaires de ces plantes. A ce stade, je me sentais capable de mieux prédire quelle plante sédative pourrait le mieux aider une personne spécifique souffrant d’insomnie.

Lorsque les choses se décantèrent, je me retrouvais en train de construire une approche holistique d’évaluation différentielle et thérapeutique basée sur la physiologie de l’ouest, et non basée sur des philosophies sophistiquées mais étrangères. Après tout, j’avais toujours eu une philosophie personnelle et une aversion politique envers l’adaptation des autres cultures et leur sensibilité ethnique simplement à cause de ma surfamiliarité avec ma propre culture.

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Je m’étais toujours considéré comme, que cela vous plaise ou non, un membre de la minorité dominante (en utilisant les termes de Toynbe). J’étais blanc, mâle et appartenant à la classe moyenne (de Los Angeles qui plus est), et je n’avais aucune appartenance à une culture ou une ethnie en particulier. Ma culture de naissance (La taxonomie culturelle étant – espèce : américain – genre : européen – tribu : gréco-romain – famille : indo-européen) s’était développée en un milieu d’abondance physique, de ressources sans fin, de méthodes sophistiquées d’exploitation, de transport, de communication… un marché boursier en plein essor pendant trois siècles, et une croissance sans fin… une véritable Société Anabolique.

Ma culture (NDT : culture américaine) a un passé court, a toujours regardé de l’avant, vénère le nouveau et le possible, et voit généralement son héritage culturel comme appartenant à un musée.

Pour moi, adopter les moules et les marqueurs trivialisés des autres cultures me semblait absurdes. Pas de méditation Zen (culture Japonaise), pas de pseudo-danse du soleil (Lakota), pas de Yoga (Hindouisme), pas de Sufisme. Pas de Cabale, pas de chants Coréens. Essayer d’adopter les modalités de l’un des trois courants de médecine non-occidentale qui ont survécu – Chinoise, Ayurvédique  ou Unani, me semblait embarrassant. Une philosophie holistique dérivée de la physiologie me semblait naturelle. Je suis qui je suis, comme disait Popeye.

Mes amis pratiquant la Médecine Traditionnelle Chinoise ou la Médecine Ayurvédique me faisaient remarquer avec entrain que je réinventais la roue. Ce même processus constituait aussi la base de leur philosophie. Ils évaluaient la personne basé sur leurs excès et leurs déficiences énergétiques, et appliquaient leur thérapie afin de stimuler les déficiences, les optimiser, et seulement à ce moment-là commençaient-ils à traiter leurs maux. Je faisais la même chose qu’eux, je m’entourais juste de concepts médicaux et physiologiques.

Je devrais arrêter ces idioties intellectuelles et apprendre leurs philosophies.

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Personnellement, je me sens à l’aise avec le modèle occidental d’anatomie et de physiologie. C’est un modèle basé sur l’observation, et il peut être utilisé dans le contexte de la médecine traditionnelle, ou être utilisé pour définir une compréhension constitutionnelle holistique. A ce jour, les concepts de type pita, de rate humide, de tridosha ou de yang des reins inhibant la chaleur du foie sont un peu comme de l’Albanais à mes oreilles. De plus, de nombreux herbalistes et praticiens holistiques (en fait, quasiment tous les autres) ont appris le modèle de l’ouest, et ce type de modèle constitutionnel ne les dérangera pas.

Je l’ai légèrement raffiné, j’ai rajouté deux nouveaux modèles (celui du stress et du transport des fluides) – le résultat, ce que vous avez dans ce livre, est la finalisation de 15 années plus tard.

Si je pouvais me souvenir de ce barman qui avait des problèmes de peau, je voudrais lui dire merci de m’avoir forcé à creuser dans ma pratique d’herbaliste en profondeur. Je considère toujours avoir une excellente compréhension de quelle plante est utile pour quel type de déséquilibre, et j’approche toujours les choses en regardant le problème à résoudre. Ce livre n’adresse aucunement cette partie de moi ; il offre par contre un moyen de regarder les fonctions humaines afin de détecter des tendances, et explique ensuite comment changer les choses afin de rendre la personne plus forte lorsqu’il y a maladie chronique ou aiguë. Cette approche vous permettra aussi de créer une formulation pour une condition spécifique sans produire d’effets indésirables.

Au final, ce livre offre une compréhension de la physiologie qui est spécifique à l’utilisation des plantes médicinales. La physiologie médicale se concentre sur les conditions qui ont des implications thérapeutiques médicales. Je me concentre sur quelque chose de différent – les déséquilibres subcliniques qui ont une implication thérapeutique herbale. Fini l’urticaire.

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