Les praticiens Heilpraktiker : interview de katéri Jouveaux : (abonnez-vous au podcast ici)
J’accueille aujourd’hui Katéri Jouveaux, qui est Heilpraktiker (trad. naturopathe) et qui va nous parler du modèle Allemand, de pratique du conseil et de l’accompagnement bien-être. Il y a quelques mois, on avait parlé du système Britannique avec Sabrina Biscardi et là, on va aller voir du côté outre-Rhin. Pour vous resituer le contexte de pourquoi, je fais ces interviews, ces dernières années, les différentes filières métiers autour des plantes médicinales et de l’herboristerie en France, s’organisent, on se regroupe. Notre but, c’est de montrer le sérieux et l’utilité publique de nos activités et pour ces discussions, j’estime que d’aller voir ce qui fonctionne ailleurs, c’est toujours super intéressant. Évidemment, un modèle qui a été créé dans une culture qui n’est pas la nôtre, n’a peut-être aucune chance de s’implanter ici, en France, il faut garder ça en tête, mais ça ouvre les esprits et ça donne des idées.
Au départ, c’était plutôt la musique
Christophe : Katéri, merci d’avoir accepté cette interview, on est contents de profiter de ton expérience aujourd’hui.
Katéri : Bonjour Christophe, bonjour à tous, je suis très contente de partager mon expérience.
Katéri, tu es Française et tu es partie en Allemagne. Là-bas, tu as repris tes études pour devenir Heilpraktiker ou comme tu m’as fait remarquer juste avant qu’on démarre, Heilpraktikerin.
C’est ça.
Est-ce que tu pourrais nous parler de cette partie de ta vie ? Pourquoi tu décides de partir et de démarrer ce beau projet ?
Effectivement. Je suis originaire de Normandie et je suis partie à mes 18 ans en Allemagne, après avoir passé un bac littéraire, dans un objectif qui était tout autre, puisqu’à la base, je suis musicienne. J’avais pour projet de faire une année sabbatique et de rentrer dans une école qui s’appelle la Musikhochschule à Hambourg, qui est l’équivalence d’un conservatoire pour la musique et le théâtre. Il s’avère qu’il y a beaucoup d’opportunités encore aujourd’hui, dans cette grande métropole pour la musique et j’ai trouvé ma place là-bas en jouant du piano. Sur une première année, j’étais dans cet objectif, jusqu’à ce que je rencontre un problème de santé avec l’impossibilité de jouer. J’avais des paresthésies au bout des doigts, des problèmes de motricité et le verdict médical a été sans retour, puisque j’avais une discopathie dite dégénérative, aux cervicales. Ça m’empêchait de m’entraîner huit heures par jour comme je devais le faire. Ça a été une coupure nette sur ce projet en sachant que j’ai quand même poursuivi la musique, mais d’une autre manière, je me suis mise à chanter avec tous les musiciens avec lesquels je m’entraînais, mais j’ai arrêté l’objectif académique de rentrer dans cette école. J’ai pris conscience, à 19 ans, de l’impact de la santé et ça a été comme un choc pour moi, de me dire que ce qui se jouait au bout des doigts, c’était relié à mes cervicales. Je n’avais pas conscience de comment tout ça fonctionnait de l’intérieur et j’ai commencé à me sensibiliser à l’hygiène de vie, à l’équilibre. Les Allemands ont aussi des habitudes de vie différentes des nôtres pour la plupart et c’était facile pour moi, de m’orienter vers tous ces courants. Le véritable déclic par contre, il s’est fait un an plus tard. Donc, là, j’ai 20 ans, je pars au Népal deux mois, je commence à pratiquer le yoga et je découvre la médecine tibétaine. Je suis aussi accueillie par la communauté tibétaine, c’est incroyable, je vis deux mois extraordinaire avec la sensation de revenir à la maison, de trouver quelque chose de cohérent à toutes mes questions et sur un principe qui est de placer l’humain dans le contexte de la vie, de l’univers, dans un principe holistique. Ça me bouleverse et ça va me transformer totalement. Je rentre en Allemagne, parce que j’ai toujours mon pied-à-terre en Allemagne, et je vais faire des allers-retours comme ça quelques années en Asie, pour me former aux techniques traditionnelles comme la réflexologie plantaire ou certains types de massages, jusqu’à ce que je m’informe sur l’idée de m’installer, d’ouvrir un cabinet de bien-être, pour faire notamment de la réflexologie plantaire à Hambourg. Et là, je me confronte à la situation de réglementation, puisqu’il s’avère qu’aucune pratique dite « de santé bien-être », ne peut se faire sans ce diplôme de Heilpraktiker.
D’accord.
Ça, c’est la première chose. La deuxième, c’est que je me rends vite compte que je maîtrise les gestes et la technique, mais je n’ai aucune connaissance du corps humain et ça me manque aussi, j’ai envie d’aller plus loin. Par contre, ça va être un défi pour moi, parce qu’à partir de là, je vais décider de m’inscrire dans une école et là, j’en prends pour cinq ans.
Se former à l’école des Heilpraktiker
Parle-nous de ces fameuses écoles, qui forment les Heilpraktikers. Combien est-ce qu’on dénombre d’écoles en Allemagne ? Combien de temps durent les études ? Qu’est-ce qu’on étudie exactement ? Question subsidiaire, peux-tu m’aider à comprendre pourquoi, l’examen final, est organisé par le Ministère de la santé, mais que les écoles ne sont pas reconnues par l’État fédéral Allemand ? C’est mystérieux pour moi cette histoire, mais revenons à la première partie de la question, les écoles. Combien de temps et qu’est-ce qu’on y enseigne ?
C’est vrai que c’est une question assez vaste qui est difficile à cerner pour nous, par rapport à notre système de formation en France. Actuellement, il y a à peu près 500 écoles qui sont référencées en Allemagne et 60 000 Heilpraktikers actifs. Ça, ce sont les derniers chiffres que j’ai pu trouver dans une fédération Allemande de Heilpraktikers qui s’appelle la Bund Deustcher Heilpraktikers Verband, je peux mettre les liens pour que tout le monde puisse aller voir. Ces 500 écoles, certaines sont d’une certaine ancienneté et d’autres sont plus récentes. Ça peut donner aussi la possibilité de faire des formations en ligne ou en présentiel, ça s’est beaucoup déployé ces dernières années. La durée actuelle de formation, qui permet de préparer à l’examen de Heilpraktiker, est estimée entre deux ans et quatre ans. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’aucune de ces écoles, n’est habilitée à délivrer cette certification qui va permettre d’exercer en tant qu’Heilpraktiker. Elles sont toutes indépendantes du système en lui-même, la direction des affaires sanitaires et sociales des Länder. Moi, c’était Hambourg, mais il en existe dans tous les Länder et il faut passer indépendamment des écoles, par cette direction des affaires sanitaires et sociales pour passer l’examen.
Donc ce n’est pas l’école qui est reconnue, l’examen va déterminer en gros, si l’école a fait un bon travail ou pas. Je suppose qu’il y a une auto-sélection de ce côté, parce que peut-être qu’il doit y avoir des écoles dans lesquelles tu réussis mieux l’examen que d’autres, etc.
C’est ça, effectivement, il faut choisir de façon habile. Dans mon cas par exemple, je m’étais lancée dans une école qui permettait un programme sur deux années et étant donné que ce n’est pas ma langue maternelle, que je n’ai pas une base scientifique, j’ai vraiment pêché. Pendant six mois, il m’a fallu revisiter tout ça et je suis revenue sur une autre école, qui m’a permis pendant quatre ans, de me préparer, plus une année de préparation sous forme de tutorat. Chaque école a aussi ses spécificités. Le choix d’une école, c’est aussi par rapport aux outils qu’on va utiliser. Un Heilpraktiker, il peut utiliser l’homéopathie, la médecine traditionnelle chinoise ou l’énergétique, il peut travailler avec la phytothérapie, il peut se spécialiser dans n’importe quel domaine des médecines traditionnelles non-conventionnelles. Donc toutes ces écoles, ont leur spécificité. Celle que j’avais choisie, la deuxième, Alchemilla, c’est une école, elle n’existe plus, mais elle était spécialisée en phytothérapie, en nutrition et en techniques traditionnelles manuelles. On peut se présenter en tant que candidat libre auprès de la direction des affaires sanitaires et sociales, sauf qu’il faut avoir un bagage. Ça, j’ai connu, j’avais des collègues qui le faisaient, mais qui avaient fait deux ans de fac de médecine par exemple, ou qui s’entraînaient, mais qui avaient déjà un bagage scientifique, parce qu’il faut certaines conditions pour se présenter. Il y a par exemple l’âge, il faut avoir plus de 25 ans, il faut être résident en Allemagne, c’est très important. Quand on s’installe dans un quartier, il faut se présenter à la mairie et avoir son numéro de résident, ça fait partie des démarches administratives allemandes. Donc, là, on fait preuve d’une résidence en Allemagne. Il faut avoir un casier judiciaire vierge et on a aussi la requête d’une certification médicale, qui atteste que l’on est en bonne santé physique et psychique. Une fois qu’on envoie notre candidature, on va être, à un moment donné, appelé à se présenter pour un examen, d’abord à l’écrit et ensuite à l’oral. C’est indépendant de toutes ces écoles et jusqu’à maintenant, certaines essayent d’avoir une affiliation à cette direction des affaires sanitaires et sociales pour avoir une certaine reconnaissance. Pour l’instant, ce n’est pas encore acquis, mais c’est un objectif.
Et quand tu passes ton examen, est-ce qu’on va aussi tester ta spécialité ? Par exemple, si tu te spécialises en phytothérapie ou dans d’autres pratiques, on va tester cette base commune de connaissances. Mais, est-ce que tu vas être aussi testé sur ces spécialités ?
L’examen en lui-même, il est inspiré directement de ce que l’on trouve en fac de médecine. Ça se présente sous forme de QCM, on prend tous les systèmes du corps humain, son fonctionnement au niveau anatomie, physiologie, mais aussi les pathologies, les cas d’urgence. Il n’est pas forcément demandé, les connaissances de la pratique, par contre, souvent, on a des questions du type « Les plantes de la catégorie B, toxiques ». Nous, on avait beaucoup de questions sur la digitale sous forme homéopathique et dans quelle dilution, on avait le droit de l’utiliser. À partir d’une certaine dilution, elle pouvait être recommandable ou pas. La même chose pour d’autres plantes qui seraient sous forme homéopathique. Et ça, il fallait être très clair que non, nous n’avions pas le droit, y compris en homéopathie, de préconiser ce type de posologie. Ça va être essentiellement basé sur les connaissances de la clinique et le droit, beaucoup, le droit du Heilpraktiker, ses devoirs, l’hygiène.
Les responsabilités du Heilpraktiker
C’était la prochaine question, donc très bonne transition. Je voulais que tu nous parles des libertés, mais aussi des responsabilités du Heilpraktiker, dans le système de santé Allemand. D’après ce que tu nous décris, j’ai l’impression que ce diplôme donne une base de pratique très solide, avec des connaissances avancées en physiopathologie, avec une possibilité de comprendre et de lire, tout le bilan biologique de la personne, les bilans sanguins, des bilans urinaires, mais aussi en connaissance du droit. C’est-à-dire, au final, en évitant des dérives qui feraient que le Heilpraktiker puisse outrepasser son rôle et faire une pratique illégale de la médecine. Donc, quand on y réfléchit, c’est un équilibre qui est vachement subtil et délicat. Comment se déroule la coopération entre les Heilpraktikers, les médecins et les pharmaciens ? Est-ce qu’il y a une belle coopération de ces trois groupes de métiers ?
C’est vrai que les Heilpraktikers sont vraiment encadrés. Il faut comprendre qu’on utilise souvent le terme « diplôme » en France, puisque ça correspond à ce qui est délivré par l’État Allemand, simplement, c’est plus une certification ou un certificat, qui donne l’autorisation d’exercer les médecines traditionnelles non-conventionnelles, dans un cadre réglementé. C’est ça le Heilpraktiker. Si on reprend sa définition, si je devais traduire ça en français, « « Heilen », ça veut dire guérir, « Praktiker », praticien, donc ce sont des praticiens de guérison, chose qu’on ne peut absolument pas retranscrire en français. Dans l’idée, on est intégré dans les principes d’accompagnement de santé, mais de manière encadrée, il y a donc des droits et des devoirs. En ce qui concerne les devoirs, je vais commencer par les restrictions. Un Heilpraktiker par exemple, est obligé de travailler dans son cabinet, il ne peut pas travailler à domicile ou dans une structure autre que la sienne et il y a des conditions d’hygiène à respecter qui sont très strictes. Ensuite, il a un devoir de déclarer les pathologies infectieuses dites « à déclaration obligatoire » auprès des autorités de santé, y compris quand il a la moindre suspicion. Il a un certain devoir de prescription, non pas, sous forme d’ordonnance, mais lorsqu’il va préconiser un conseil, il y a une traçabilité et c’est ce qui va permettre le suivi et le référencement de son travail et de tout ce qu’il va préconiser. Ça ne se fait pas comme ça sur une feuille volante ou une fiche conseil comme on peut faire parfois en cabinet, il y a toute une réglementation de ce côté.
Donc, traçabilité, ça veut dire que tu as un système en place qui est informatisé, je suppose, qui est mis en place par les autorités de santé allemandes.
Oui.
Et sur lequel tu dois te connecter en quelques sortes et documenter le suivi d’une personne.
Oui, c’est ça. On peut prendre l’exemple des techniques d’injection, parce que moi, j’ai été formée aux techniques de prélèvements sanguins et d’injections. Là, il y a aussi tout un devoir très strict au niveau de l’hygiène et des préconisations. Les Heilpraktikers qui font ça, il y a deux Heilpraktikers sur trois, qui utilisent ce type de technique et on parle « d’infusions », d’injections d’infusions, eux, ils disent ça comme ça. Ce sont des préparations à base de plantes, qui sont prescrites par le Heilpraktiker. Le pharmacien, lui, il a sa responsabilité d’appliquer exactement ce qui est recommandé avec le numéro du lot, la traçabilité et tout est clair. Ensuite, le Heilpraktiker va faire son soin au cabinet. Il y a aussi une chose que nous ne faisons pas en cabinet, ni en tant qu’herboriste ou moi, dans ma profession de naturopathe, ce sont les soins. Là-bas, ils les font avec toutes sortes d’outils ou de pratiques différentes. Ça peut être l’usage des sangsues, ça peut être les cataplasmes, les préparations magistrales en infusions, mais il y a une traçabilité.
Du coup, tu travailles comment avec les médecins ? Avec les pharmaciens, je commence à voir, mais j’aurais une question pour toi en ce qui concerne tes « prescriptions », un mot qu’on ne peut pas employer comme tu le sais en France, mais chez vous, en Allemagne, c’est possible. Si on revient à la collaboration entre le Heilpraktiker et le médecin, est-ce qu’il existe cette collaboration ou chacun travaille dans son coin ?
On ne peut pas dire que le Heilpraktiker est totalement intégré, par filiation, comme peut l’être le généraliste avec son spécialiste, non, on est dans une zone d’ordre préventive. Pour donner un bel exemple, durant ces premières années en Allemagne, j’avais un médecin traitant qui m’avait recommandé une Heilpraktikerin, parce qu’à la suite d’une candidose assez résistante, il m’avait dit « Moi, je peux vous proposer les antifongiques, mais ça sera beaucoup plus efficace avec le suivi d’une Heilpraktikerin, qui elle, va traiter le terrain. » C’est comme ça que j’ai découvert les Heilpraktikers. Un autre exemple qui vient tout à fait complémenter le premier, lors de mon premier voyage de retour du Népal, j’ai eu une petite infection suite à une plaie à l’orteil et j’ai fait une lymphangite fulgurante. Je suis allé voir une Heilpraktikerin, j’avais déjà un trait rouge qui allait droit vers le cœur et elle m’a dit tout de suite « Ah non, là, ce sont les antibiotiques ! » C’est vrai qu’au début, j’étais déçue, parce que je m’attendais à ce qu’elle me fasse un soin « magique » et elle a été formelle, elle m’a dit, « Il faut agir très vite, mais avec les antibiotiques. » Il n’y a pas d’ambiguïtés par rapport à ces deux systèmes, ils sont complémentaires. Il faut savoir aussi que les examens se déroulent avec les médecins, ce sont eux qui sont choisis par les directions des affaires sanitaires et sociales. Ils sont désignés pour configurer les écrits, mais aussi passer les oraux. C’est comme ça qu’on a un rétrocontrôle qui permet avant tout, parce que là, il y a vraiment un devoir chez les Heilpraktikers, ça fait partie du code de déontologie, c’est de ne pas nuire à la population. Ça reprend le principe d’Hippocrate, ni plus, ni moins, sauf que là, c’est vraiment la base et on doit connaître nos limites avec toute la capacité d’une lecture, d’un suivi médical, en amont, savoir jusqu’où on peut aller.
Est-ce que le médecin peut avoir accès à ce système informatisé dont tu nous as parlé et dans lequel, toi, tu fais le suivis d’une cliente ou d’un client, afin de consulter le dossier que tu as créé ? Est-ce que c’est possible d’avoir ces relations croisées ?
Étant donné qu’il y a une traçabilité de chaque consultation avec un Heilpraktiker avec la fiche du patient, les échanges peuvent se faire, oui. Ce n’est pas forcément demandé, mais c’est possible. De même que nous, en tant qu’Heilpraktiker, on peut envoyer une personne faire des examens supplémentaires ou faire des bilans. J’aurais pu, ce n’était pas mon projet, ouvrir même, un cabinet ou un laboratoire, pour tous les bilans sanguins associés. C’est possible donc oui, c’est envisageable. Je réfléchissais aussi à ta question précédente concernant cette synergie médecin, pharmacien, Heilpraktiker, le Heilpraktiker n’a pas le droit de prescrire sur ordonnance, des médicaments. Ça, ça serait de l’exercice illégal de la médecine, mais il a le devoir de prescrire des soins naturels ou à base de plantes, s’il le souhaite, pour que le pharmacien puisse faire ces préparations. Dans le contexte des infusions pour y revenir, il a aussi des assurances professionnelles avec lesquelles il engage sa responsabilité et tout ça est numéroté, suivi, pour qu’en cas de souci, il y ait un relais à ce niveau, les assurances fonctionnent comme ça.
Un gain de 50 % sur les coûts de sécurité sociale, 500 écoles
D’accord. J’ai l’impression, basé sur tout ce que tu nous dis, que dans ce système, où on a clairement défini les rôles et les responsabilités de chacun, en particulier du Heilpraktiker, face à la profession médicale, que quelque part, ça doit enlever un stress de savoir. Parce que dans les systèmes où on ne sait pas trop, du coup, on prend plus de risques. Tandis que là, c’est clair, mais sans pour autant, vous avoir enlevé, vous, les Heilpraktiker, des marges de manœuvre et des libertés d’agir. C’est quelque chose qui fait un petit peu rêver.
C’est ça. C’est vrai que ça nécessite une contrainte pour obtenir cette certification, il n’y a que 10 % de réussite que ce soit Berlin, Cologne, Hambourg et c’est toujours le cas. Donc, c’est un passage très filtré pour ceux qui souhaitent vraiment s’installer, avec quelque chose d’assez codifié au niveau médical pour être sûr qu’on maîtrise toutes ces connaissances. À partir de là, on peut appliquer les outils qu’on souhaite en cabinet. Certains se spécialisent en homéopathie, d’autres en phyto, c’est vrai que c’est très vaste.
Je pense que les commentaires qu’on va peut-être avoir, c’est que ça en fait un système exclusif qui exclut certains. Parce qu’imaginons que je veuille pratiquer la médecine chinoise, on pourrait avoir l’impression que je ne peux pas, mais en fait, ce n’est pas le cas, c’est juste qu’au niveau fédéral, il faut montrer qu’il y a les connaissances de physiopathologies nécessaires. Une fois que tu as ces connaissances, après, tu peux mettre en place un modèle de pratique de médecine chinoise ou ayurvédique si tu le voulais, je suppose ?
C’est ça et tu pourrais utiliser par exemple l’acupuncture, chose qu’on n’a pas le droit de faire si on n’est pas médecin ou l’homéopathie, de même en France, on a accès à des outils de prévention. Il faut savoir qu’aujourd’hui, il y a 128 000 patients, par jour, qui consultent, ça correspond à 46 millions de patients qui ont consulté à l’année et on a un chiffre, c’est pareil, je m’inspire toujours de cette fédération, la Bund Deustcher Heilpraktikers Verband, qui représente un allègement de 50 % du coût du système de santé là-bas. Puisque maintenant, quand on va consulter là-bas, ce n’est pas remboursé par la sécurité sociale, c’est remboursé par les mutuelles en partie, mais ça permet d’alléger le coût global au niveau santé et faire de la prévention, donc ça a un rôle. Les Heilpraktikers ont un rôle par rapport à la santé de la population.
D’accord. Moi, deux chiffres qui m’interpellent dans ce que tu as dit, d’abord, c’est que seulement une personne sur dix aura son certificat, donc on va énormément filtrer au niveau du certificat, ceux qui peuvent s’installer et pratiquer. Deuxièmement, un gain de 50 % sur les coûts de sécurité sociale, c’est énorme ! Est-ce que le gouvernement, parce que, si je comprends ce que tu m’as expliqué, ça, c’est un chiffre qui a été calculé par une fédération, une association de Heilpraktikers. Si je joue l’avocat du diable, je pourrai dire, « C’est peut-être un peu trafiqué et biaisé. » Est-ce que le gouvernement a consulté ces chiffres ? Est-ce qu’il y a eu un accord ? Est-ce qu’il y a eu un commentaire en retour, de la part du gouvernement ?
Ces chiffres, ils existent depuis 2017. Jusqu’à maintenant, ils n’ont pas été contestés, puisque c’est toujours en ligne et sur une page officielle de cette fédération qui est une grande fédération en Allemagne, avec les références, les sources, etc. Moi, je n’ai pas eu la possibilité d’aller creuser plus loin pour en savoir plus à ce niveau, étant donné que je suis en France. Je maintiens du lien avec des praticiens là-bas, mais ça nécessiterait, si c’était intéressant à creuser, de rentrer en lien directement avec les services juridiques de ces fédérations. Chose que j’ai déjà eu fait, notamment lors de mon intervention pour le Sénat en 2019 pour m’informer de manière actuelle et fiable, de ce qui se passe actuellement chez les Heilpraktikers. C’est la version, dans ce qu’on est en train d’échanger, la plus positive, il faut comprendre qu’il y a aussi toutes sortes de polémiques autour des Heilpraktikers. Au cours des années 2019-2020, il y a eu des audits de faits pour discréditer cette profession et ils n’ont pas réussi. C’était animé par le ministre de l’Écologie de l’époque, qui remettait en question la fiabilité des Heilpraktikers, ça a été monté en épingle avec les médias et il s’est passé ce qui s’est passé ensuite, avec les mesures sanitaires restrictives en Allemagne comme en France. En tout les cas, rien, finalement, n’a été bousculé, les audits ont été annulés, en d’autres termes, les Heilpraktikers ont gardé leur statut. J’avais discuté avec une directrice d’école d’Heilpraktikers à Berlin, qui me disait, si on perdait notre statut, ça deviendrait un problème social. C’est-à-dire qu’on a cette population qui va une fois par an, deux fois par an, ne serait-ce qu’en prévention, faire un bilan chez les Heilpraktikers. Pas tous, mais 46 millions, c’est quand même assez représentatif. 60 000 praticiens, 500 écoles, ça donne des chiffres qui peuvent faire réfléchir au niveau du marché du travail, etc. Donc, ça existe, oui, ils existent.
L’échelle était impressionnante donc tu penses que la population se serait exprimée en votre faveur fortement, parce que là, on parle de millions, c’est quand même une certaine population. Parce que justement, la population elle-même, les utilisateurs finaux de vos services, ont remarqué la valeur ajoutée de vos services et sont clairement pour que vous soyez toujours en place.
Oui. Il y a deux choses, il y a ça et il y a le fait aussi que dans les mentalités, la santé et la manière de se prendre en soin, sont tout à fait individuels et permettent plus le libre-arbitre. C’est-à-dire que cette prise en charge de santé, elle est initiée différemment par rapport à ce qu’on connaît en France et il y a aussi cette revendication de pouvoir choisir comment on veut être accompagné, toujours dans les complémentarités s’il le faut. Ça n’a pas d’inconvénients que d’aller voir son médecin et d’avoir un soin ou un traitement allopathique et une complémentarité en phytothérapie en amont. Au contraire, on a tout à y gagner dans l’intérêt du patient, c’est ça qui est mis en avant.
Merci pour cette sagesse.
Non, mais vraiment. Ce qui m’a beaucoup frappé aussi quand je suis revenue en France, c’est ce débat entre « faut-il ou pas, accorder crédit à ces professions comme les herboristes ou les naturopathes ? » Il y a ce débat qui est lancé et en contrepartie, il n’y a rien qui nous est proposé au niveau réglementation. Je trouve que c’est l’art de noyer le poisson si on peut dire ça comme ça, perdre du temps, et ça m’a toujours frappée, parce que j’ai vécu ces années de formation et je suis rentrée dans ce système de santé, avec quelque chose de totalement cohérent où ce débat n’existait plus. Le retrouver en France, c’est presque rétrograder pour moi et j’aimerais que l’on avance sur ce sujet, que l’on apaise tout ça.
Mise en situation : la consultation avec le Heilpraktiker
On va suivre tous ces dossiers si jamais ces dossiers sont démarrés un jour ou l’autre. Je vais maintenant te mettre en situation pour qu’on arrive à comprendre comment tu pouvais travailler là-bas. Imaginons que tu es en consultation et que tu as terminé ton bilan. Tu veux peut-être recommander un mélange de plantes pour une tisane journalière avec un mélange d’extrait liquide, peut-être des gélules. À quel endroit est-ce que ta cliente ou ton client, va pouvoir se procurer les plantes ?
Je lui fais ce qu’on appelle une « prescription » en phytothérapie, avec la galénique, les posologies souhaitées et mon patient, on parle d’un contexte en Allemagne et non pas en France, va directement aller à la pharmacie, qui elle-même possède sa propre officine et sa propre herboristerie. C’est par ce biais que toutes les préparations vont pouvoir être effectuées. Il n’existe pas en Allemagne, d’herboristerie à proprement parler comme il peut exister en France. De même qu’il n’existe pas sur les marchés, comme on peut trouver en France, des ventes de plantes. Il y a des magasins qui vendent des tisanes toutes prêtes en même temps qu’elles vendent toutes sortes de thé, mais cette idée de faire préparer, d’obtenir une préparation magistrale, ça, c’est en pharmacie. Pour un exemple bien précis, un citoyen lambda qui va en pharmacie et qui veut une préparation de plantes, n’obtiendra pas le paquet dans son ensemble, le pharmacien va délivrer chaque plante individuellement et il en va de la responsabilité du client que de fabriquer lui-même sa tisane. S’il vient avec la prescription d’un Heilpraktiker, là, par contre, le pharmacien doit appliquer tout ce qui est préconisé à la lettre.
Et si je suis un petit producteur ou un cueilleur, je n’ai pas le droit de vendre sur un marché, donc je ne peux que vendre à une pharmacie qui est habilité ? Comment ça se passe ? C’est ça ?
Ouais. J’ai vraiment insisté sur cette question auprès de mes collègues récemment. Je n’ai eu aucune autre réponse concernant les Heilpraktikers, que celle qu’ils n’ont ni le droit de produire, de récolter, de préparer, leurs produits à base de plantes, pour du conseil ou pour de la préconisation en cabinet à titre professionnel, ils n’en n’ont pas le droit, c’est interdit. On peut se spécialiser phytothérapeute, il y a des formations dans les écoles de Heilpraktikers ou indépendamment, mais elles ne laisseront pas l’accès ensuite, de s’installer en tant que tel. Ça veut dire que quelqu’un qui se forme en herboristerie en Allemagne, va devoir ensuite s’affilier à une autre structure dans laquelle la réglementation peut être ajustée, mais de lui-même, il ne peut pas être indépendant en tant que tel.
D’accord. Mais si je suis juste producteur de plantes, que je les cultive, je n’ai pas le droit de les vendre sur les marchés non plus, donc l’entonnoir, c’est la pharmacie et le pharmacien. Tout doit passer par là, c’est ça ?
C’est ça.
C’est un gage de qualité, c’est lui qui va s’assurer que toute prescription est gérée et s’il n’y a pas de prescription, si c’est une personne qui va directement en pharmacie, le pharmacien, je suppose, est habilité à délivrer certains produits directement aussi ?
Oui, oui, bien sûr, ce n’est pas obligé de passer par la préconisation du Heilpraktiker. De même qu’on voit dans les magasins bio, des crèmes, des tisanes, des onguents. Ça, c’est une autre filière de la profession, notamment des herboristes, mais ça rentre dans la cosmétique, ça rentre dans d’autres domaines. Ça, c’est possible aussi, mais effectivement, on ne peut pas vendre ses plantes sur le marché, on ne peut pas les conseiller dans une petite herboristerie au comptoir comme ça peut exister en France. Moi, j’ai travaillé en pharmacie à Toulouse, j’étais spécialisée dans l’herboristerie avec les 448 plantes, je crois, c’est énorme, et je recevais toutes les recettes de l’Occitanie et je faisais les préparations au comptoir, je conseillais. Ça, ce n’est pas possible, pas comme ça.
La qualité des plantes en Allemagne, est-ce que là aussi, c’était standardisé, c’est-à-dire que tu pouvais t’attendre à un minimum de qualité, bien que parfois, peut-être, ce n’était pas transcendant si tu testais les produits ? C’était quoi ton évaluation de ce qui sortait de ces pharmacies pour tes clients ?
Oui. Je pense qu’on peut choisir entre les plantes de culture biologique par exemple, elles sont toutes certifiées et celles qui, potentiellement, peuvent venir de Tchernobyl. Mais j’ai vu ça en France aussi, en pharmacie, la mélisse qui venait de là-bas, des pays de l’Est. Donc effectivement, cette traçabilité, on peut aussi la retrouver. Je n’ai pas l’information exacte de toutes les plantes et de leur traçabilité en pharmacie, mais il y a déjà un choix énorme et une sensibilisation à tout ce qui est écologique et d’origine biologique, ne serait-ce que pour l’alimentation, depuis 40 ans, je dirais. Donc, là, il y a certainement la possibilité de pouvoir faire ce choix.
Ça dépend peut-être du pharmacien et de certaines pharmacies aussi, qui vont se spécialiser.
Oui et il y a des pharmacies en ligne, donc là, aussi, c’est possible de voir ça par ce biais.
Est-ce qu’il existe une pratique du soin, on parle de soin complémentaire ici, en dehors du métier de Heilpraktiker ? En d’autres termes, est-ce que je peux faire une école en Allemagne, qui ne délivre pas ce certificat ? Je sais que les écoles ne délivrent pas de certificat, mais est-ce que je peux faire une école dans laquelle je n’obtiens pas le certificat et faire du conseil ?
Non. Tu peux faire une formation en phytothérapie sur deux ou trois ans, il y a des écoles qui le proposent et qui ont de très bons programmes, mais tu ne pourras pas t’installer à partir du moment où tu n’es pas Heilpraktiker, ça, c’est catégorique. J’ai creusé, j’espérais une petite issue. De même qu’il existe ce qu’ils appellent le « petit schein », le petit certificat, qui est une version allégée du Heilpraktiker pour les psychothérapeutes, qui ne sont pas des psychologues d’Etat, mais qui se forment. Si tu as une pratique en tant que psychothérapeute, tu dois aussi avoir ce certificat.
Est-ce qu’aujourd’hui, les écoles sont de plus en plus en demande, tu penses, ainsi que les demandes pour obtenir le certificat ? Est-ce qu’on parle d’un métier qui a vraiment le vent en poupe, et qui devrait croître dans les décennies qui arrivent, ou est-ce qu’à l’inverse, il y a une perte de vitesse et des doutes, en ce qui concerne la viabilité de ce métier ?
J’avais les chiffres en 2017 de 48 000 Heilpraktikers actifs. Aujourd’hui, ce sont 60 000 et apparemment, sur certaines lectures, c’était 96 000 plus exactement, donc à priori, il y a une augmentation dans cette filière. Néanmoins, on n’est pas à l’abri d’un ralentissement étant donné la conjoncture, qui fait que c’est aux frais du patient quand il consulte. Certes, il peut avoir une bonne mutuelle, mais ça reste un coût supplémentaire dans le système de soin, donc ça peut ralentir. Je pense qu’il y a eu aussi toutes sortes de polémiques qui ont joué en la défaveur, mais ça, ça fait partie de l’histoire et de l’actualité, il n’empêche que c’est croissant. De toute évidence, il n’y avait pas 500 écoles quand moi, en 2002, je me suis formée.
J’ai sortie ma calculette, parce que tous ces chiffres m’interpellent et je veux faire un petit calcul. En Allemagne, on a à peu près 83 millions d’habitants. Rappelle-moi le nombre d’Heilpraktikers au dernier comptage.
60 000.
Ça veut dire qu’il y a un Heilpraktiker pour à peu près 1 400 personnes en Allemagne. Je voulais faire ce petit calcul, parce que ça me semble tellement énorme par rapport à ce qu’on pourrait voir en France. En France, on n’a pas de recensement de tous ces praticiens, donc c’est dur dire.
Non, mais c’est juste et en plus, ce recensement n’est pas complètement exact, parce que ça se fait dans chaque Lander et il y a certains « cantons » qui n’ont pas été référencés, mais où il y a des Heilpraktikers dans chaque ville, dans chaque bourg.
D’accord. Tu as assisté à la mission d’information au Sénat, sur l’herboristerie, en mai 2019, tu nous en as déjà un petit peu parlé. Tu as été invitée pour parler du système Allemand devant nos politiciens. Quelle a été, toi, ta réaction ? Parce que tu as assisté à ces différentes journées, tu as entendu tous ces gens qui sont installés en France, qui ont différents métiers, qui sont venus parler de leurs difficultés, de leurs espoirs, de leurs frustrations. Comment tu as réagi à tout ça ?
Pour revenir sur cette journée, pour moi, ça a été une journée extraordinaire en matière d’échanges et d’informations. J’en ai retenu une force, quelque chose d’inné, et que rien ne pourra détruire quoi qu’il arrive. Je ne connaissais pas toutes les difficultés que pouvaient avoir tous ces métiers affiliés à l’herboristerie, que ce soient les producteurs, mais aussi les personnes qui revendent, qui conseillent, etc. Et chaque intervenant m’a touché dans ce qu’il a pu raconter, dans la sincérité et la volonté, de pouvoir continuer à travailler dans la profession. Il y a des témoignages qui m’ont vraiment touchée, celui du Docteur Henry Joseph, a été quelque chose de très fort pour moi. Pour resituer l’histoire, le Docteur Henry Joseph a bataillé à partir de 2001, pour faire rentrer 46 plantes de la pharmacopée d’Outre-mer, afin de pouvoir les utiliser dans son officine en Outre-mer. Il était parfaitement compétent pour le faire, mais il y avait une loi qui datait de 1799, qui interdisait l’usage des plantes locales dans les pays d’Outre-mer. C’est une loi qui datait de l’esclavage, parce qu’à l’époque, les colons avaient peur de se faire empoisonner. Cette loi était resté active et il a bataillé 13 ans pour obtenir gain de cause. Ça, ça m’a vraiment marquée, de me dire qu’en 2014 où il finit ce combat, il obtient gain de cause et pourquoi il a fallu autant d’années pour revisiter un pan de l’histoire, qui en plus, mériterait une résilience absolue. Ça a aussi été un message d’espoir, si lui, il a réussi, mais ça a montré à quel point le combat va au-delà de la simple profession ou de la réglementation, qu’on aimerait obtenir. Il faut transcender les croyances, les résistances, il faut détourner les injonctions paradoxales. Il y a quelque chose de cet ordre qui est à l’ouvrage et je remercie encore Joël Labbé pour tout ce travail, parce qu’avant qu’on arrive à cette journée du mois de mai 2019, je crois que c’était le 25 mai, ce grand colloque, il avait eu fait aussi un audit sur toutes les pratiques. On en a un référencement extraordinaire, c’est un ouvrage qui raconte l’histoire de l’herboristerie en France et pour moi, de toute évidence, ça fait partie du patrimoine de l’humanité, j’en suis convaincue, sans les plantes, nous ne serions rien. Et comme on fait partie du règne végétal, en tout cas, je le conçois comme cela, pour moi, la nature a toujours gain de cause, maintenant, il faut que les consciences évoluent. De cette journée, j’en ai retenu aussi une prise de conscience et ça nous a consolidés dans nos vocations, ça nous a enracinés un peu plus dans nos métiers et nos missions, nos visions. Il y a eu pas mal d’humour aussi. On en a tous conclu qu’on travaillait chacun à notre manière, tout en étant parfois un peu borderline, puisque les réglementations qui sont les plus strictes et les plus contraignantes, proviennent des industries pharmaceutiques, donc c’est difficile.
Moi aussi, j’estime que cette mission d’information a été tellement bénéfique pour nous. Parfois, c’est vrai qu’on entend des gens qui rouspètent et qui disent « Oui, mais qu’est-ce qui va sortir de tout ça ? Qu’est-ce qui va changer ? » Ça, ça sera une deuxième étape, mais la première déjà, ça aura été de recenser tout ça, de tout sortir, de tout mettre sur la table et de dire « Regardez ce qui se passe ! » Personne ne l’avait fait avant. Ce que ça a permis de faire aussi, c’est que chacun se connaisse les uns, les autres et commence à travailler ensemble. Moi, c’est pareil, je ne remercierais jamais assez Joël Labbé. Fanny Duperray aussi, qui nous accompagne d’une manière admirable depuis la mission très positive, très bénéfique.
Oui.
On va voir ce qui va se passer dans le futur. En tout cas, nous, on est tous accrochés et on ne va pas lâcher, c’est certain. D’ailleurs, toi, maintenant, tu es installée en France, tu as une bonne vision des deux systèmes. En France, tu connais maintenant différents groupes de travail et nos tentatives d’organiser la filière, les différentes filières métiers. Prépare-toi à une question difficile qui arrive. Pour toi, en gardant la tête sur les épaules, en essayant de faire preuve de réalisme en se disant « Ici, ce n’est pas l’Allemagne, c’est une culture différente, c’est un système différent. » quels seraient les développements possibles, dans les années qui viennent ? Est-ce que tu as quelques idées ?
Il y a un travail d’abord de sensibilisation pour faire bouger les lignes au niveau des prises de conscience « Qu’est-ce que la santé ? » resituer toujours et encore, l’humain, dans son milieu le plus naturel. Ça, c’est un travail de sensibilisation, de pédagogie, qui doit continuer. Ce travail de référencement est essentiel, donc c’est un autre aspect qui est intéressant. L’histoire du patrimoine, je la vois dans un autre contexte, au Canada, avec le patrimoine culturel des Amérindiens, où on peut obtenir des financements quand on met en avant, l’idée qu’on veut préserver ce patrimoine, mais d’un point de vue culturel. Donc, il y a moyen aussi, de s’orienter vers d’autres systèmes plutôt que d’attendre uniquement par rapport à celui de notre santé. Finalement, les plantes, est-ce que ce n’est pas culturel non plus ? Ça, c’est une question de ma part. Pour répondre à ta question, je vois ça un petit peu en arborescence, je vois un tronc commun, le tronc de l’arbre, qui réfère à la prévention et à l’accompagnement de la santé, par rapport aux médecines traditionnelles non-conventionnelles, l’herboristerie et la phytothérapie en particulier, et leur production. Après, on peut avoir pourquoi pas, la médecine chinoise traditionnelle, la naturopathie, etc. Voilà le tronc commun. Les branches, elles sont spécifiques à chaque métier. Ce qui engage l’enracinement de l’arbre, c’est une certification ou quelque chose, qui nous permettrait de garantir la qualité et les compétences de chacun. Donc, finalement, ça ne revient plus à l’idée d’un diplôme. Tant qu’on s’accroche à cette notion de diplôme, on reste tributaire d’un système scolaire, d’un système d’institution. Je pense qu’on s’égare souvent et c’est flou, parce qu’on le revendique comme tel. Les Allemands ne revendiquent pas ça comme un diplôme, mais un zeugnis, un certificat avec une Genemigung, une autorisation d’exercer. Ça, ce serait l’idée, de valider tous ces acquis pour chaque intervenant, qu’il soit dans l’herboristerie ou dans une autre pratique, qu’il puisse faire valider ses acquis, en partie, par le corps médical, mais pas uniquement. Il faudrait pouvoir coopérer, en sachant qu’on ne s’inscrit pas dans la médecine conventionnelle, on reste à part, mais avec cette garantie de qualité. Je vois cet arbre.
D’accord. Tu nous dis un peu comme le système Allemand, parce que tu l’as connu et que tu vois qu’il a marché, qu’il apporte tous ses bénéfices à la population. Tu nous dis « Vous avez chacun vos spécialités, votre style de pratique, votre philosophie de pratique, mais au final, c’est la santé. Donc il y a ce socle commun, il faut connaître ses bases et surtout, il faut connaître ce que l’on peut faire et ne pas faire. »
Oui.
Tout le monde sera testé sur ce socle commun qu’on va appeler « minimal », bien qu’il soit très solide dans le système Allemand comme on l’a vu. Une fois que vous avez ce certificat, vous pouvez pratiquer dans le style qui vous plaît. C’est ça que tu es en train de nous proposer ?
C’est ça. Automatiquement et forcément, ça va engager plusieurs années d’études, c’est-à-dire qu’on ne pourra plus se former en trois weekends pour devenir un grand spécialiste de n’importe quoi. Là, il faudra avoir des acquis dans le domaine de la pratique spécifique, mais tout autant dans les connaissances qui permettent de mettre des limites bien claires de la pratique. À partir de là, on est libre. C’est-à-dire qu’une fois qu’on a compris ça, je reviens sur ces études, on faisait beaucoup de recherches de causalités, c’était un exercice mental qui était appliqué dès la deuxième année de formation, ils appellent ça le « diagnostic différentiel ». À chaque moment, tu dois être capable, dans n’importe quelles circonstances, de penser et d’envisager le tout, c’est-à-dire, si la personne a tel problème, qu’est-ce que ça peut être ? Cette gymnastique mentale, elle est très contraignante au début, puis au bout d’un moment, elle se place et on a une vision d’ensemble. Des suppositions, donc on commence peut-être à réfléchir d’une manière plus scientifique aussi, à la problématique, sans oublier la personne en face de nous, dans son principe holistique, l’un n’empêche pas l’autre, au contraire.
Je suis content que tu insistes sur ce point, parce que je sais qu’on va avoir des commentaires, l’un n’exclut pas l’autre, ils sont complémentaires, et c’est bien de savoir les composer, composer entre ces différentes manières, basées sur ce socle. Cette discussion a été des plus intéressante, je te remercie beaucoup Katéri, pour le temps que tu nous as consacré, de nous avoir ouvert cette porte vers un système que je ne connaissais pas. Donc, déjà, merci, moi, ça m’a beaucoup apporté et j’espère que ça aura aussi apporté à vous, qui nous avez écoutés aujourd’hui. Merci beaucoup.
Merci à toi Christophe, merci à tous et bonne continuation.
6 réponses
Merci Christophe et Katéri !
Citation : « À chaque moment, tu dois être capable, dans n’importe quelles circonstances, de penser et d’envisager le tout, c’est-à-dire, si la personne a tel problème, qu’est-ce que ça peut être ? »
Mais, c’est ÇA que j’attends, moi, d’un praticien, qu’il soit allopathe ou d’une autre « paroisse » !
Hélas, mes récentes expériences sont bien décevantes en l’occurrence, et quand un médecin vient me dire que je contredis son diagnostic, c’est qu »il ou elle ne m’a pas écouté : c’est le principal problème qui se pose actuellement en France, un quart d’heure étant un temps de consultation au-delà de l’insuffisant pour comprendre ce que dit le patient.
Étonnons-nous que lesdits « patients » (et il faut l’être, certes) aillent chercher une information « sur Internet » !!! Quand il est devenu impossible d’être « un nouveau client » quand on s’installe dans une nouvelle ville, comment pourvoir au plus urgent : comprendre ce qu’il nous arrive, en attendant une consultation dans… (combien de jours, de semaines, voire de mois pour les spécialités ?)
Certes le système allemand n’est probablement pas idéal, mais qu’un médecin soit capable de collaborer avec un autre praticien montre l’ouverture d’esprit qui n’existe pas en France, où l’on vous sert toujours le sempiternel refrain : « Il n’y a pas de preuves scientifiques ! » Je l’ai encore entendu hier !!! Ce à quoi j’ai répondu : « Nous ne sommes pas tous pareils… »
Ce qui est la base de la médecine de terrain, pour ce que j’en sais. Faire l’impasse là-dessus démontre une forme d’obscurantisme, et nous classer dans les adeptes de sectes ou les anti-quelquechose ne fera pas avancer ladite science (qui, autrefois, était d’ailleurs considérée comme un « art » et non une sience absolue).
Encore merci pour cette entrevue instructive.
Anne
Bonjour, j’ai un peu de retard sur mes lectures ; mais j’avais mis de côté cet interview pour le consulter avec disponibilité et écoute.
Merci Christophe et Katéri pour ces informations qui me donnent du baume au coeur sur le devenir de ces (nos) médecines alternatives.
Je ne savais pas qu’en Allemagne il y avait ces prises en considération à la foi des formations, des plantes et des certifications permettant de prescrire.
Je suis totalement en accord avec le fait que les plantes sont à l’origine de notre culture, et que nous en faisons partie.
Sensible à ces sujets, je constate que ces pratiques sont enracinées et sauvegardées par une poignée de « résistants » pour proroger ces savoirs afin de conserver ou d’obtenir le « droit » (je préfère devoir) de conseil pour soigner et se soigner.
Les plantes nous ramènent terre à terre quant à la prise de conscience de notre santé. On parle de soins (totom) et non de guérison immédiate en isolant un principe actif, de soin pour respecter l’homéostasie, agir en prévention.
Plus de prise de conscience de notre mode de vie, nous orientant sur plus d’humanité plus de liens, plus de respect, plus de culture maillée au VIVANT.
Nous-nous sommes dirigés vers une « culture » du savoir, de la synthétisation par la chimie, vers des certitudes, en maintenant vers l’IA pensant que notre banque de données est suffisante pour tout résoudre ?…
Nous oublions trop facilement que nous sommes dépendants des plantes, que nous sommes dans ce TOUT où tout est maillé pour coexister. Je ne pensais pas que l’homme aurait un jour la capacité/tenacité de désorienter notre biome à ce point.
Je reste néanmoins persuadé que nous reviendrons à un bon sens humain en cohérence avec la nature. Certains évènements marquent les esprits même si Action/réaction est à mon sens trop lent.
Je voulais aussi partager cette vidéo de Marc Vella qui même si elle peut être considérée comme rêveuse donne chaud au coeur humain… https://youtu.be/b4A2gd2hJos
Et ce message qui n’arrive pas qu’aux autres https://youtu.be/0zhXEoX-hQI?
bonjour Pascal et merci pour ces beaux reportages 🙂
Bonjour ,
Merci pour cet interview vraiment très éclairant sur le système allemand, merci de militer pour la pratique de médecine intégrative en France, merci pour vos vidéo très professionnelles et d’un grand secours !
Belle journée
Françoise
Bravo pour cette interview Christophe et biensur Katéri, démarche constructive et enrichissante que de s’intéresser à ce que font les autres pays, l’Allemagne a de l’avance sur nous, espérons que cela évoluera dans le même sens en France. Etant naturopathe (école Cenatho) un petit message à Kateri (si je peux me permettre 😉 ce serait super si elle pouvait représenter la profession (naturopathie) lors des séances au parlement sur la possibilité de faire reconnaitre notre pratique par l’état, comme elle l’avait fait pour l’herboristerie, plus on est nombreux et qualifié(e)s à défendre les approches complémentaires, plus on a des chances de faire avancer notre validation, merci, merci encore à vous deux, bien à vous, Delia Cauchoix (naturopathe 92410)
Une super interview où l’on apprend beaucoup sur les systèmes de santé autres que chez nous. Votre conclusion m’apporte la joie de penser que le meilleur reste à venir..Même s’il faut reprendre les bancs d’école pour obtenir une certification ! Merci beaucoup de ces partages très riches d’informations.