Noms communs : Fumeterre, Herbe à la jaunisse, Fiel de terre, Herbe à la veuve, Pisse-sang, Pied de Céline

Nom latin : Fumaria officinalis

Famille : Fumariaceae

Constituants : la fumeterre contient :

• De multiples alcaloïdes : fumarine, fumaricine, fumariline, fumaritrididine, fumaritrine, protopine, sanguinarine, corydamine, etc ;
• Des flavonoïdes : isoquercétine, rutine, etc ;
• Des composants amers : acide caféique, acide fumarique ;
• Des minéraux (sels de potassium en particulier, la plante contient 8% de sa masse incinérée en potassium carbonate) ;
• Des tannins.

Description

La racine “fumée” du nom fumeterre pourrait être attribuée à deux facteurs. D’abord, la plante laisse un léger goût fumé en bouche. Deuxièmement, son apparence légère, aérienne et grisâtre pourrait donner une impression de vapeur lorsqu’on la regarde de loin.

La fumeterre est une annuelle relativement commune qui peut se trouver dans la plupart des régions de France. Elle croît en particulier autour des habitations, dans les champs cultivés ou les champs en jachère, dans les crevasses des vieux murs. En d’autres termes, c’est une rudérale.

La plante est basse et touffue, avec des tiges tendres qui ne fournissent guère de structure à la plante. Les branches se couchent facilement au moindre coup de vent. La plante s’appuie volontiers sur d’autres plantes qui lui permettent d’atteindre plus facilement la lumière.

La germination s’effectue à la fin de l’hiver ou au tout début du printemps selon les régions de France. En Provence, elle commence à apparaître dès février et peut fleurir de mars à mai.

Les feuilles sont découpées de manière symétrique par rapport à l’axe de la nervure centrale de la feuille. Si vous êtes familier avec d’autres papavéracées comme l’eschscholzia californica ou la corydale, vous constaterez certaines ressemblances.

Certaines plantes matures présentent des extrémités de feuilles qui sont rose foncé. Voir photo ci-dessous.

Notez au passage que la plante a une masse racinaire relativement petite par rapport à sa masse aérienne et plutôt fragile. On arrache facilement la plante en voulant tirer sur une branche pour en prélever un échantillon. Tout est fragile dans cette plante, des racines aux feuilles.

Les sommités fleuries sont organisées en épis de petite fleurs rose clair à foncé. Les fleurs sont tubulaires et munies de 2 lèvres. La photo ci-dessous montre une sommité fleurie fermée (partie basse de la photo) et deux sommités ouvertes en premier plan.

En Provence, la fumeterre fleurit une première fois vers février/mars, puis souvent une deuxième fois en automne en particulier s’il y a eu quelques pluies.

Le fruit est une capsule de couleur verte qui renferme une graine uniquement. La graine commence à apparaître à la base de la sommité fleurie alors que le reste de la tige est toujours en fleur.

La fumeterre est l’une des premières plantes à colorer certaines friches provençales de ses tons de rose à la sortie de l’hiver. Après plusieurs mois de végétation plutôt triste, elle annonce l’arrivée des jours meilleurs. Elle annonce aussi la nécessité d’entamer une petite cure dépurative. Nous en reparlerons plus bas.

Tempérament

• Refroidissant
• Asséchant
• Légèrement calmant

Goût

• Amer
• Tannique
• Légèrement âcre

L’aspect amer de la plante va refroidir les conditions et les tempéraments enflammés. Elle va aussi stimuler un système digestif hypoactif. L’aspect tannique va légèrement raffermir les tissus et muqueuses, digestives en particulier. L’aspect amer/diurétique et astringent la rend asséchante. La saveur amère augmente légèrement lors du séchage.

L’âcreté est un signe de son effet calmant. Elle appartient, après tout, à la famille du pavot.

Propriétés Médicinales de la Fumeterre

Dépuration

La fumeterre a une longue histoire d’utilisation dans la cure dépurative. La mise en place de cures dépuratives régulières est un art qui s’est perdu. Et pourtant, l’homme les a toujours utilisées à bon escient.

Pourquoi avons-nous besoin de dépuration ? Car nous sommes sans cesse agressés par des toxines en tout genre. Au bout d’un moment, le foie et les autres organes d’élimination sont débordés. Une cure dépurative durant une dizaine de jours va pouvoir remettre les choses en place en déclenchant un nettoyage de ces organes.

Cazin⁽¹⁾ nous donne l’indication suivante : engorgement des viscères abdominaux. L’engorgement survient après plusieurs abus répétés, qu’ils soient volontaires (alcool, nourriture de supermarchés, etc) ou involontaires (parfums, maquillages, produits chimiques – tout passe par ce grand entonnoir qu’est le foie).

Cazin précise : “Je fais un usage fréquent de la fumeterre dans les tisanes dépuratives. L’été, j’emploie de préférence le suc de cette plante.” Le suc peut-être obtenu en passant la fumeterre fraîche à la centrifugeuse (elle est relativement riche en humidité). Le jus peut être stabilisé en rajoutant 20% du volume total de jus en alcool pur (96°), ou en mettant le jus dans un bac à glaçon au congélateur (permet de décongeler de petites portions de jus).

La cure dépurative est en général de courte durée. Leclerc⁽⁶⁾ nous laisse d’ailleurs une note intéressante sur cet effet tonique limité dans le temps : la fumeterre est “tonifiante au début, devient par la suite hyposthénisante, antipléthorique. J’ai vérifié ce fait sur plusieurs malades qui prenaient du suc se fumeterre ; pendant les 8 premiers jours, l’examen hématologique indiquait l’augmentation du nombre des hématies ; passé ce temps, on constatait qu’il diminuait très sensiblement”.

La durée d’une dizaine de jours pour la cure dépurative semble donc sage dans le contexte de la fumeterre. Au delà, elle plafonnerait  voire même diminuerait légèrement l’activité du système. On relance la machine digestive, puis on la laisse travailler seule, sauf si l’effet désiré est un effet calmant (voir plus bas).

La personne qui bénéficiera pleinement de la fumeterre est la personne “pléthorique”, forte, ayant tendance à manger beaucoup et à bâtir beaucoup, que ce soit de la masse musculaire ou osseuse (forte constitution, fort tour de poignet), ou de la masse adipeuse. Ce genre de personne a en général tendance à faire de l’hypertension essentielle.

Digestion

Cazin recommande la fumeterre pour la débilité des voies digestives. Les organes digestifs fonctionnent au ralenti. Ceci est souvent dû à des causes constitutionnelles : la personne a toujours eu du mal à digérer les repas un peu lourds, un peu plus gras qu’à l’accoutumée.

Les composants amers de la fumeterre vont déclencher une sécrétion de sucs gastriques et une fortification des contractions des muscles lisses. La fumeterre dans ce cas là sera prise en tant que tonique digestif 15 minutes avant les repas, en petite quantité. Valnet⁽⁴⁾ la classe donc comme utile dans les cas de migraines d’origine digestives ou hépatiques.

Cette débilité digestive peut aussi intervenir à la suite d’une longue maladie. L’utilisation de toniques amers pour redonner l’appétit des convalescents est bien établie.

N’oubliez pas que cette cascade d’évènements commence dans la bouche. Les papilles gustatives doivent être en contact avec les substances amères. Si l’on absorbe la fumeterre broyée en gélules par exemple, l’effet sera grandement diminué, voire inexistant.

Cazin nous dit que “les enfants atteints […] de débilité des voies digestives […] se trouvent très-bien de l’usage du sirop de fumeterre” (j’ai enlevé intentionnellement les indications ne relevant pas de la sphère digestive car nous en parlerons plus bas). Deux informations importantes à retenir :

• Cazin l’utilise chez les enfants. Je suis moi aussi convaincu de l’usage de la cure dépurative pour les plus jeunes ;
• Vu l’amertume de la plante, Cazin préconise un sirop pour les enfants.

Problèmes des voies biliaires

Felter et Lloyd⁽²⁾ (fin des années 1800) préconisent la fumeterre pour les obstructions des viscères abdominaux amenant parfois à la jaunisse. La bilirubine, après sa conjugaison dans le foie, ne peut pas être éliminée correctement. Les selles sont plutôt claires, une coloration jaunâtre commence à apparaître sur la peau et dans le blanc de l’oeil. On parle alors d’ictère obstructif.

Aujourd’hui, une obstruction des voies biliaires nécessite bien souvent une intervention chirurgicale. N’essayez pas de régler un tel problème obstructif avec les plantes.

S’il n’y a pas obstruction, la fumeterre, en tant que cholérétique et cholagogue, va stimuler la production et l’évacuation de bile. Elle peut être utilisée dans la dyskinésie biliaire sans cause identifiable (calcul, tumeur ou autre), dans la cholécystite (inflammation de la vésicule biliaire) ou dans l’angiocholite (infection des voies biliaires)⁽³⁾.

La constipation pouvant être due à un manque de sécrétions biliaires, la fumeterre peut aider à rétablir le transit dans ce cas spécifique (constipation due à une insuffisance hépato-biliaire).

Sur un autre registre, Weiss⁽⁷⁾ nous explique que la fumeterre est spécifique pour les crampes du sphincter d’Oddi, sphincter qui régit la relâche de bile et d’enzymes pancréatiques dans le duodénum. La douleur causée par ces crampes peut être aiguë, ressemblant aux douleurs des coliques hépatiques, avec douleur sous-costale droite et irradiations vers l’épaule droite.

La fumeterre tonifierait donc les muscles lisses d’un coté, et les relaxerait de l’autre. Comment expliquer cette contradiction ?

Voici mon explication : les sphincters et autres muscles lisses digestifs crampent pour une bonne raison. La personne ne secrète pas assez de sucs gastriques, et les muscles lisses compensent ce manque de sucs en travaillant plus fort, mais ils travaillent dans le vide en quelque sorte. Cet excès amène à la crampe.

Pour prendre une machine à laver comme exemple, si vous ne mettez pas de lessive, il faudra faire tourner beaucoup plus longtemps, pour un résultat décevant. La fumeterre, en permettant une meilleure sécrétion de sucs, permet aux muscles lisses de  travailler moins fort. Elle est à la fois tonique et antispasmodique (et donc régulatrice) des muscles lisses digestifs.

Problèmes de peau

Nous touchons ici à l’association classique peau-foie de la naturopathie. La peau est un organe d’excrétion secondaire. Lorsque l’organe d’excrétion primaire (le foie) est débordé, la peau prend la relève, et cette excrétion de toxines déclenche des problèmes inflammatoires de peau (dartres, acné, eczéma, etc).

Cazin nous dit que “c’est principalement contre les affections cutanées chroniques qu’elle a montré une efficacité incontestable. Leidenfrost, Thomson, Bodart, rangent la fumeterre parmi les meilleurs moyens curatifs de la lèpre en général, et particulièrement du radesyge, que le docteur Demangeon appelle éléphantiasis du nord”.

La fumeterre ne se limite donc pas à de simples petits problèmes de peau, puisqu’elle semble apporter une aide significative contre la lèpre.

Cazin continue : “Le médecine suédois Strandberg a constaté ses propriétés antidartreuses. Je joindrais à ces témoignages celui de Pinel, dont la réserve thérapeutique est connue. Je pourrais citer, dit ce médecin, une observation faite avec soin sur la guérison d’une dartre invétérée qui se manifestait au bras. Le malade eut la constance de faire usage, pendant près de 6 mois, de la fumeterre infusée dans du lait, en même temps qu’elle pratiquait des lotions sur la partie avec la même infusion. Après cette époque, il n’a resté aucune trace de maladie”.

Deux choses à noter ici :

• L’utilisation prolongée de la plante pour les problèmes de peau. La plante n’agit pas aussi vite que le médicament. Elle agit en douceur, sur le long terme. Mais qui peut montrer assez de patience aujourd’hui pour persister sur plusieurs mois ?
• L’utilisation simultanée en interne et externe. Valnet⁽⁴⁾ confirme l’application externe et parle de ”l’infusion de plante entière en compresses sur les dermatoses”.

La fumeterre était utilisée par les provençaux chez les enfants atteints de croûtes de lait, appliquée en lotion ou en infusion diluée dans le biberon⁽⁵⁾.

Lieutaghi⁽⁵⁾, dans ses recueils sur l’utilisation des plantes en Haute-Provence, parle d’utilisation traditionnelle pour l’eczéma suintant. Ce qui correspond bien à la personnalité de la plante qui est refroidissante et asséchante, agissant donc sur les conditions humides et enflammées. Pour l’eczéma sec, on utilisera plutôt la bardane qui est moins asséchante et plus huileuse.

Maud Grieve⁽⁸⁾ cite un certain docteur Cullen qui la considère très efficace contre les taches de rousseurs et autres pigmentations de peau causées par le soleil (éphélides).

Diurétique

Comme beaucoup d’autres plantes médicinales, la fumeterre est diurétique, et nous fait donc perdre une partie de notre eau. Stimuler l’élimination rénale fait aussi partie de la cure dépurative.

Les propriétés diurétiques peuvent aussi être utilisées pour soulager les rétentions d’eau et les oedèmes. La fumeterre, comme la racine de pissenlit, peut être employée dans un protocole pour combattre l’hypertension essentielle.

Calmante

La fumeterre n’est pas classée comme plante calmante. Et pourtant, c’est une petite cousine du pavot de Californie (Eschscholtzia californica) et de la corydale (Corydalis spp). On peut donc, en théorie, attendre un petit effet sédatif.

D’un point de vue constituants, il est vrai que l’alcaloïde principal de la fumeterre, la protopine, à faible dose, a des propriétés antihistaminiques, hypotensives, bradycardiques et sédatives. Ceci a été démontré sur animaux (Goetz et al. 2009). A fortes doses, la protopine provoque un effet inverse d’excitation et de convulsion (Preininger 1975)⁽³⁾.

Leclerc⁽⁶⁾, qui a beaucoup utilisé la plante, nous donne les subtilités nécessaires à son utilisation : elle est apéritive et tonique les 8 premiers jours, puis petit à petit l’effet tonique laisse place à un effet calmant. Leclerc recommande donc des cures de 20 jours ou plus sans interruption.

Ce n’est donc pas une plante qui, comme l’escholtzia, va fournir un effet sédatif immédiat. Ne prenez pas une infusion de fumeterre ponctuellement en espérant améliorer la qualité de votre sommeil. Etablissez par contre un programme anti-insomnie complet et considérez la fumeterre si d’autres ne fonctionnent pas pour vous.

Propriétés diverses

• La fumeterre est légèrement diaphorétique (facilite la transpiration) et peut donc être utilisée dans la gestion de la fièvre ;
• Une infusion de la plante en application locale a été traditionnellement utilisée pour calmer les conjonctivites ;
• La plante sèche fut fumée autrefois pour « calmer les désordres mentaux » (indication vague qui nous vient de Maud Grieve⁽⁸⁾).

Contrindications et précautions

• La fumeterre est mal adaptée à la personne fine, frêle et ayant tendance à avoir souvent froid ;
• Elle est contrindiquée chez la personne faisant de l’hypotension ;
• Vu l’effet marqué de la plante sur le foie, il peut y avoir interaction avec certaines classes de médicaments ;
• Dans l’ensemble, à utiliser sur le court ou moyen terme. La seule utilisation justifiée sur le long terme serait l’aspect calmant, mais bien d’autres plantes fournissent cet effet d’une manière plus spécifique.

Utilisation de la fumeterre

Ce sont les sommités fleuries, incluant fleurs, feuilles et tiges, qui sont utilisées.

Elle peut se consommer en infusion de plante fraîche (moins amère, un peu plus âcre), ou sèche. C’est plutôt une plante à utiliser au sein d’un mélange car l’infusion est très amère et peut être désagréable à boire selon la personne, ou trop stimulante pour le foie.

Si c’est le cas, elle passera mieux en teinture. Et même en teinture, intégrez-la au sein d’un mélange.

La plante est relativement facile à trouver en herboristerie.

• Teinture des sommités fleuries récemment séchées : au taux de 1:5 (100 g de plante pour 500 ml d’alcool) dans de l’alcool à 40° à 50°. Prendre 45 à 90 gouttes de 1 à 2 fois par jour selon la personne et la condition (ref : Moore) ;
• Teinture des sommités fleuries fraîches : au taux de 1:2 (100 g de plante pour 200 ml d’alcool) dans de l’alcool à 80° ou 90°. Sinon, utilisez la méthode de teinture de plante « quasi-fraîche » expliquée dans mon article sur les teintures mères. Même dosage.
• Infusion des sommités fleuries ou feuilles : prendre une tasse 1 à 2 fois par jour, jamais seule, mélangée avec des plantes plus douces comme la matricaire ou la mélisse.

Cueillette et séchage

Comme expliqué précédemment, ce sont les sommités fleuries qui sont récoltées en fin d’hiver ou au printemps selon la région. Une deuxième ramasse peut s’effectuer à l’automne. J’ai eu aussi ramassé la feuille au besoin même lorsque la plante n’est pas en fleur.

La plante est très facile à cultiver au jardin.

La plante reste stable au séchage pendant au moins 1 an si elle est gardée dans un endroit frais et sec, à l’abri de la lumière. Elle a tendance à prendre l’humidité, gardez-la donc dans une pièce qui ne soit pas trop humide.

Références

(1) Cazin, F.J., « Traité pratique & raisonné des plantes médicinales indigènes » , 1850

(2) Felter, Lloyd, « King’s American Dispensatory », 1898

(3) Agence Européenne des Médicaments, Rapport sur Fumaria Officinalis, 13 septembre 2011

(4) Valnet, Jean, « La phytothérapie : Se soigner par les plantes » , 1986

(5) Lieutaghi, Pierre, « Badasson & Cie : Tradition médicinale et autres usages des plantes en haute Provence », 2009

(6) Leclerc, Henri, « Précis de phytothérapie : essais de thérapeutique par les plantes françaises », 1954

(7) Weiss, Fintelmann, « Herbal Medicine » , 2000

(8) Grieve, Maud, « A Modern Herbal, Volume 1 » , 1931