Mécanismes de défense des plantes : interview d’Agnès Brosset : (abonnez-vous au podcast ici)
Mise à jour 27 octobre 2023
Suite à ma lettre d’information disant que j’ai toujours cultivé des plantes médicinales qui me paraissaient aussi puissantes que les plantes sauvages, voici ce qu’Agnès à rajouté.
« J’ai contacté mon collègue qui travaille sur les armoises tridentées pour lui demander son avis.
Il n’a pas vu de différence dans les chémotypes que les plantes soient en sauvage ou plantés dans le labo. Les chémotypes sont déterminés génétiquement et donc sans la sélection artificielle il faudrait énormément de générations et des mutations potentielles avantageuses pour voir des changements de mêmes échelles que ceux présentés lors de l’interview (morphologique, sucre, affaiblissement de diversité). Bien sûr il peut y avoir des variations en fonction de l’environnement de croissance sur la chimie par les principes de l’épigénétique (l’environnement qui affecte l’expression des gènes) mais ces variations ne seront pas de mêmes ampleurs au point d’avoir un affaiblissement aussi important des défenses et donc des propriétés.
J’espère que cela viendra t’aider dans la résolution du problème.
Après, en effet, beaucoup de voix tendent à dire que les plantes sont plus médicinales en sauvage puisqu’elles font face à plus de stress et le stress stimule la production de défenses chimiques. C’est une question d’échelle je dirais. Quand nous faisons des chromatographies et que nous voyons des différences avec ou sans stress on travaille au ng alors que les différences entre plantes sélectionnées versus sauvages, on est quand même sur des changements observables à l’œil pour la couleur et au goût pour la chimie.
Pour moi il est donc normal que les plantes de ton jardin rapportées d’ici et d’ailleurs aient conservé leurs propriétés. »
Transcription de l’interview
Je suis aujourd’hui avec Agnès Brosset pour un échange sur les mécanismes de défense des plantes. Enfin, pas exactement avec Agnès, je vais vous expliquer pourquoi, mais avant, je vais faire les introductions.
Agnès, a fait sa thèse de doctorat en Finlande, sur le thème des plantes sauvages et cultivées de la famille des brassicacées. La thèse a été publiée en 2022 et elle a pour but de déterminer si les plantes sauvages ont des constituants volatiles, qui sont différents des plantes cultivées, et de voir si ça impacte leur réponse de défense face aux herbivores, face à la pollution de l’air. Et ça, c’est le genre de discussion qui nous intéresse beaucoup, nous, les amateurs de plantes comestibles et médicinales, parce que ça va nous aider à répondre à la question suivante : les plantes sauvages, sont-elles plus riches, plus médicinales, que les plantes cultivées ? C’est une bonne question.
J’ai fait deux enregistrements avec Agnès, en direct, et on a eu des problèmes techniques, parce qu’elle est actuellement en Suède et je pense qu’elle est en bout de ligne, car son Internet n’était pas bon du tout. Lors d’une interview, on a bien rigolé, elle avait des problèmes de moustiques et je ne vous mens pas, un moustique est venu littéralement se poser sur la caméra pour l’obscurcir. Je croyais que c’était une blague au départ, du style, un moustique marseillais qui était plus gros d’un rat, mais non, c’était bien un gros moustique. On a donc décidé d’enregistrer en séparés, je vais poser les questions de mon côté et Agnès va y répondre de son côté, on va faire le montage. Ce n’est pas du tout du live, mais ce n’est pas important, parce que vous allez voir, le contenu est de qualité et c’est ce qui compte.
C’est parti, on y va !
– Agnès, avant de commencer, j’aimerais que tu nous en dises un petit peu plus sur ton histoire. Comment est-ce que tu t’es retrouvée en Finlande, à faire une thèse sur ce sujet particulier des mécanismes de défense des plantes ?
– Ce qui m’a amenée aux plantes ça a été une voie indirecte, parce qu’à l’origine je voulais être enthomologiste, c’est-à-dire travailler avec les insectes. Et au moment de commencer mes études de biologie, le Master qui était le plus spécialisé sur les insectes, était celui de l’université de Tours, spécialisé sur les relations entre les plantes et les insectes. Je suis allée faire ma thèse de Master en Suède et là, je suis tombée dans un environnement de travail qui m’a beaucoup plu, puisqu’on était sur une organisation très horizontale plutôt que verticale, où on se tutoie entre nous, tout le monde a sa place, qu’on soit professeur, étudiant en Master, peu importe, tout le monde est sur la même ligne et s’écoute. Et suite à ça, je me suis dit, je veux continuer mes études dans le Nord, notamment mon doctorat. J’ai fait la rencontre de James Blande, qui est un professeur, qui travaille à l’université de Kuopio en Finlande, qui, au moment où je finissais mon Master, cherchait quelqu’un en doctorat. Son doctorat était spécialisé sur : mieux connaître les différences de défenses des plantes, entre les plantes sauvages et les plantes cultivées. J’ai tout de suite eu un bon feeling avec James, j’ai senti que c’était quelqu’un avec qui je pourrais travailler et je me suis lancé sur le sujet, bien que ça ne soit pas connecté directement aux insectes. C’est dans ces cinq ans de doctorat sur les plantes sauvages et cultivées, que j’ai vraiment développé mon intérêt pour les plantes, l’herboristerie, les plantes sauvages, etc.
Mécanismes de défense des plantes : la défense constitutive, la défense induite ?
– On démarre avec ton sujet de prédilection, les mécanismes de défense des plantes. La plante ne peut pas fuir un prédateur, elle ne peut pas se déplacer dans l’espace, comment elle se défend contre les insectes, les herbivores, petits et gros ?
– Il y a plusieurs types de défenses. D’abord, il y a la défense constitutive, c’est une défense qui est toujours présente chez la plante. Ce qui est très facile à comprendre, ce sont les épines, les poils, les fibres. Ils sont constamment présents et ils vont limiter tout herbivore qui veut se nourrir sur la plante, par exemple, le rosier ou le houx, parce qu’ils sont difficiles à manger ou peu appréciables par leurs épines. Ils vont avoir aussi des défenses qui vont être constitutives chimiques et souvent, ce sont des odeurs. Grâce aux odeurs, qu’elles émettent, ces odeurs peuvent envoyer un message à certains herbivores, pour indiquer si une plante est comestible, digestible, toxique ou non. Donc, ça va permettre aux plantes de limiter la quantité et le type d’herbivore, qui peut venir manger sur elle, mais certains herbivores ont appris à se spécialiser sur certaines plantes et vont quand même venir manger sur la plante, malgré ses défenses constitutives. Pour cela, la plante a un deuxième type de défense, que l’on va appeler les « défenses induites directes ». C’est-à-dire qu’elles vont être émises, induites, par la plante, seulement quand l’herbivore spécialisé, va venir manger sur elle. Dans le cadre de mon étude, c’étaient les insectes. Lorsque les insectes viennent manger sur les plantes, ils cassent des cellules. En cassant ces cellules, ça envoie un message aux plantes, qui vont venir y répondre, en émettant des nouvelles molécules, qui n’étaient pas présentes dans la défense constitutive, qui peuvent être par exemple plus toxiques ou différentes, de celles qui étaient là de bas, un peu plus spécialisées contre l’insecte qui est en train de manger. Par exemple, chez les moutardes, il y a des molécules qui s’appellent les glucosinolates, qui donnent ce côté moutarde, piquant. Lorsqu’un insecte vient manger, ces glucosinolates sont libérés et ils sont convertis au contact d’une enzyme, en une nouvelle molécule, qui est émise, induite, seulement quand il y a un herbivore qui vient manger, et ce sont des molécules que l’on appelle les molécules isothiocyanates, qui sont des molécules neurotoxiques.
– J’aimerais que tu nous racontes une petite histoire, celle des tétranyques, ces petits acariens qui se nourrissent du haricot de lima. Qu’a-t-on découvert dans les années 1980, au sujet d’une stratégie utilisée par le haricot, pour se protéger contre cet acarien ? Et comment est-ce que ceci a ouvert la porte à d’autres recherches sur les défenses plantes/animaux ?
– En effet dans cette étude les chercheurs ont mis en évidence une nouvelle stratégie de défense des plantes, ils ont mis en évidence la défense induite indirecte chez les plantes. C’est-à-dire qu’elles n’agissent pas directement contre l’herbivore, mais ces molécules qui sont émises viennent envoyer un message, qui est perçu par les prédateurs qui vont venir localiser leurs proies grâce aux odeurs émises par la plante. Cette étude a ouvert la porte à des centaines d’études, qui ont été conduites sur le sujet, puisque cette stratégie de défense, a été, maintenant, montrée, chez plusieurs espèces de différentes familles de plantes. Donc, cette étude, a ouvert la voie à tous les rôles que peuvent avoir ces molécules induites par l’herbivorie, notamment dans la communication entre les plantes, et ça, nous en parlerons un petit peu plus tard.
Mécanismes de défense des plantes : contre la pollution
– On va laisser le monde animal de côté, on va maintenant parler des défenses contre les agressions qui proviennent de la pollution. L’ozone par exemple, c’est un polluant bien connu, on en a beaucoup parlé dans les années 90 et 2000, avec le fameux trou dans la couche d’ozone de la stratosphère, parce que cette couche, filtre les rayons UV, elle a un rôle de protection. Mais à notre niveau, dans les couches basses, c’est une molécule qui est très instable et nocive, si on dépasse certains seuils et on voit les concentrations augmenter à cause de l’activité humaine. Que font les plantes pour nous protéger contre ce polluant ?
– Il faut savoir que l’ozone, c’est un polluant qui n’est pas directement émis par l’activité humaine, il est induit suite à une réaction chimique entre les polluants émis par les activités humaines, le soleil et certaines odeurs. Donc, il nous faut ces trois facteurs pour former de l’ozone : du soleil, des odeurs chimiques ou naturelles et des polluants, des oxydes d’azote. Lorsque l’on a ces trois présents, on a formation d’ozone. L’ozone varie pendant l’année, en fonction des disponibilités en soleil et, ceci est assez important, pour comprendre pourquoi l’ozone est toxique pour les plantes, puisqu’on va avoir beaucoup de soleil au printemps et en été. Donc, ce sont aussi les moments où les concentrations en ozone, vont être les plus importantes. C’est à ce même moment que les plantes, elles, sont en pleine période de croissance et d’activité, c’est pour ça qu’elles les rendent nocifs pour elles, puisque ça vient à arriver en même temps. En réponse à l’ozone, les plantes ont deux stratégies. L’ozone, lui, va avoir comme effet sur les plantes, d’induire le vieillissement prématuré. C’est-à-dire que quand il rentre dans les cellules, il vient oxyder les cellules et souvent, on se retrouve avec des plantes qui sont un peu jaunies. Donc, pour se protéger, les plantes vont venir fermer leurs stomates. En fermant leurs stomates, elles limitent aussi la photosynthèse et donc, l’entrée, potentielle, de carbone et d’énergie. Souvent, l’ozone va induire un vieillissement prématuré des plantes et limiter leur croissance. Aussi, pour se défendre contre ça, elles vont avoir l’usine à anti-oxydants, il va y avoir beaucoup d’enzymes antioxydantes qui vont venir catalyser les réactions d’oxydation qui vont être mises en place par les plantes. Les plantes vont commencer à émettre aussi des molécules, telles que les terpènes, qui viennent réagir avec l’ozone, ce qui permet de tamponner et de limiter, le stress oxydatif dans les plantes.
– D’après ce que tu nous expliques dans ta thèse, une augmentation d’ozone, donc une agression qui provient de la pollution, peut provoquer une augmentation des défenses contre les insectes, ce qui est intéressant. Comment est-ce qu’on explique cela ? C’est quoi le lien entre ces différents types d’agressions ?
– D’abord, les résultats. Lorsque l’on a herbivore plus ozone, contrairement à l’herbivore tout seul, ils sont assez variables entre les variétés et les composés que l’on étudie en particulier. Des fois, on a une augmentation de certains composés et d’autres fois, on a une diminution de la défense de certains composés. Mais, il est vrai que dans mon étude, on a remarqué qu’en général, on avait beaucoup de terpènes qui étaient émis, lorsque l’on avait herbivore plus ozone que l’herbivore tout seul. Et ça, ça vient avec ce que je disais auparavant, c’est de comprendre comment les plantes répondent face à l’ozone. Face à l’ozone, elles ont cette capacité de démarrer l’enzyme antioxydante et d’émettre des molécules comme les terpènes, qui eux, vont réagir avec l’ozone et limiter la présence d’ozone dans les cellules. Ils viennent tamponner, limiter, la réaction oxydative. Nous, on pense que c’est pour ça, qu’ils sont souvent plus émis, lorsqu’il y a présence d’ozone dans l’air, et qui vient s’additionner aux réponses que la plante a, face à l’herbivore.
Mécanismes de défense des plantes : la communication entre les plantes
– Parle-nous d’interactions de plante à plante, au travers de différents messages envoyés d’une plante à l’autre. Que sait-on aujourd’hui, au sujet de ce réseau de communication entre les plantes ? On parle beaucoup des réseaux mycorhiziens par exemple, est-ce qu’on parle de plantes du même genre, de la même famille, du même ordre ? Qui est-ce qui arrive à communiquer ? En d’autres termes, est-ce que l’on communique juste entre les membres de la famille, entre voisins ou est-ce que l’on peut même communiquer avec des étrangers ?
– Je vais commencer par la communication en dessous du sol, les mycorhizes. Il faut savoir que ce sont des champignons. On a à peu près 80 % des plantes sur terre, qui font des associations avec des champignons, qu’on appelle des « mycorhizes ». C’est une association qui va être symbiotique, parce que la plante va pouvoir bénéficier de cette association, en ayant accès à plus de nutriments, et le champignon, lui, va bénéficier en échange de sucres que la plante va lui fournir en échange d’autres nutriments comme le phosphore par exemple ou l’azote. Ces champignons s’associent à une plante ou à un arbre, mais il a été démontré que par exemple, au sein d’une forêt, ils peuvent aussi lier deux plantes, deux arbres, entre eux. Les plantes vont venir utiliser ces ponts mycorhiziens pour transmettre des informations chimiques, comme des signaux, des messages de défense par exemple ou certaines hormones. Et il y a la communication au-dessus du sol, qui se fait avec les odeurs, qui étaient notamment la communication que j’ai étudiée. Là, comme je vous disais, quand l’insecte vient manger sur une plante on a ces nouveaux composés, des nouvelles odeurs, qui sont émises. Ces odeurs, au sein d’une seule plante, vont être perçues. Si on s’imagine qu’un insecte commence à manger sur une plante, il va manger sur une feuille et cette feuille va émettre ces odeurs qui vont être perçues par toutes les feuilles qui sont aux alentours qui vont, elles aussi, commencer à répondre à l’herbivorie, émettre des odeurs et c’est ce que l’on appelle la communication au sein même d’une plante. Et ces odeurs, quand toute la plante commence à se défendre, elles vont être émises dans l’air, et elles peuvent être perçues par des plantes qui sont autour. Lorsqu’elles sont perçues par des plantes qui sont autour, ces plantes comprennent le message, comme une présence d’herbivore, et elles-mêmes, avant même qu’il y ait un insecte qui ait commencé à manger sur elles, vont aussi commencer à émettre ces molécules de défense. Des fois, on ne voit pas que les plantes voisines répondent, mais lorsque l’insecte vient manger sur une des plantes voisines, lorsqu’elle avait reçu le message au préalable, cette plante répond de manière plus rapide et plus intense, donc elle est mieux défendue. Après, à la question, est-ce que l’on communique mieux au sein d’une même famille ou entre étrangers ? Il y a une très bonne étude de terrain, ce qui est assez rare, qui a été faite en Californie, sur l’armoise tridentée. Les populations d’armoise tridentée, c’est comme beaucoup de plantes aromatiques, elles présentent des chémotypes. Souvent, on connaît les chémotypes avec les huiles essentielles. Par exemple, certains romarins présentent un profil d’huile essentielle plus abondant en camphre, d’autre en bornéol, d’autre en cinéole . Eh bien, c’est pareil, avec l’armoise tridentée. Ce qu’ils ont fait, c’est qu’ils ont sélectionné les odeurs de plusieurs populations de plantes qui présentaient différents chémotypes et ils les ont échangées, transférées, sur des plantes de même chémotype ou de chémotype différent. Ils ont montré que plus on se ressemble d’un point de vue chimique, plus les chémotypes étaient proches, plus le message envoyait un signal, et les plantes répondaient au message en se défendant mieux pour le reste de la saison, face aux herbivores. Donc, ici, ça nous montre que plus on est proches d’un point de vue chimique, plus la communication se fait et est comprise. Plus on parle la même langue chimique, mieux, on se comprend et mieux le message est transmis aux voisines.
Mécanismes de défense des plantes : les plantes domestiquées
– À ce stade, on comprend mieux comment la plante se défend contre différents agresseurs, parlons maintenant de domestication. On cultive la plante pour notre propre usage depuis des millénaires, on prend soin de nos plantes, on les chouchoute, on amène de la terre, on fournit de l’eau, des nutriments, donc des conditions très confortables. Ces dernières décennies, on a aussi créé un arsenal chimique pour détruire les prédateurs, les plantes concurrentes, un arsenal qui est en train de nous intoxiquer, ça, on le sait. Ça, c’est un premier point. Le deuxième point, c’est qu’on a sélectionné aussi les espèces pour un meilleur rendement, on a fait des croisements, on a créé des hybrides, on a manipulé les gênes de la plante. Quelle a été la conséquence de cette domestication d’un point de vue richesse de l’arsenal de défense ?
– La domestication des plantes, elle n’est pas nouvelle, elle a commencé il y a à peu près 12 000 ans, mais ce qui a vraiment fait changer la morphologie et la chimie des plantes, c’est la révolution verte des années 60, ou là, on a sélectionné les plantes pour leur rendement. Ce qui a été observé, c’est que les plantes cultivées, se retrouvent avec beaucoup de défenses physiques. Par exemple pour les moutardes, une moutarde sauvage, est souvent assez poilue, fibreuse et d’un vert foncé, alors que les moutardes cultivées, elles étaient plutôt lisses les feuilles et d’un vert plutôt clair. Ça, c’est pour tout ce qui est un peu « défense morphologique », moins de poils, moins de trichomes, mais aussi là, déjà, par la couleur des pigments on pouvait voir qu’il y avait eu un changement au niveau chimique. En effet, on se retrouve souvent avec des plantes cultivées qui sont moins riches en composés de défense, notamment chez les moutardes, ça a été clairement montré qu’il y avait moins de glucosinolates et moi, j’ai pu montrer qu’il y avait moins d’ isothiocyanate, cette nouvelle molécule qui est formée quand un insecte vient manger sur les moutardes, suite à la réaction des glucosinolates. Souvent aussi, ce que j’avais remarqué c’était que les plantes cultivées, en odeur, elles émettent peut-être la même quantité, mais les molécules sont moins variées. Les plantes, même si elles émettent la même quantité d’odeur, la qualité est différente, on va avoir peu de diversité alors que chez les plantes cultivées on va avoir une grande diversité de molécules. Donc, ce n’est pas tant qu’on les chouchoute, qu’on vient leur mettre des nutriments ou qu’il y a des insectes qui vont être maîtrisés par les pesticides par exemple, qui fait qu’on les a rendues sensibles et qu’elles sont moins défendues, non. C’est le fait qu’on les ait sélectionnées qui fait qu’aujourd’hui, on a ces différences de défenses entre les plantes sauvages et cultivées.
– Que peut-on en déduire, du coup, des effets bénéfiques de ces plantes domestiquées, comparé aux bénéfices des mêmes plantes sauvages ? Et ici, je parle du pouvoir antioxydant, antiinflammatoire, antibactérien, fongique, stimulant, immunitaire, etc.
– Aussi, ce que je pourrais ajouter dans cette question d’un point de vue de l’arsenal de défense, c’est que les herbivores, notamment les insectes, ce qui était observable c’est que vu que les plantes cultivées ont moins de fibres mais sont plus caloriques, souvent elles ont beaucoup plus d’amidon, beaucoup plus de sucre, on se retrouve avec des plantes plus faciles à digérer, très nutritives. Ces insectes qui viennent manger sur les plantes cultivées, souvent, se développent mieux, plus rapidement et sont plus gros, que ceux qui se développent sur les plantes sauvages. Donc, puisque la défense des plantes, et toutes ces molécules chimiques, sont diminuées chez les plantes cultivées, on se retrouve dans des plantes, qui, oui, en effet, d’un point de vue médicinal, sont moins riches en cette phytochimie que l’on recherche. Par exemple, chez les baies, tout ce qui est baies rouges comme les myrtilles, ça a été clairement démontré qu’on avait moins de composés phénoliques, donc moins d’antioxydants, beaucoup moins de flavonoïdes, de tanins aussi, donc beaucoup moins riches d’un point de vue médicinal.
– Comment est-ce que l’on arrive à expliquer cela, c’est-à-dire le fait que leurs défenses soient aussi des remèdes pour nous ?
– Je crois qu’il y a plusieurs réponses à cela. Déjà, la propriété intrinsèque de certains composés de ces molécules pour la plante. Certains composés vont avoir le rôle d’être antimicrobiens, antiviraux, antifongiques, antibactériens, par exemple. Ce qui va avoir ce rôle chez les plantes, va aussi avoir ce rôle chez les autres espèces vivantes. Pareil pour les antioxydants qu’il y a par exemple dans les baies, ça sert à la plante comme protection contre par exemple, les rayons du soleil, tout ce qui peut oxyder la plante, on va avoir les mêmes réponses chez nous. Je crois aussi qu’il y a la dose. Par exemple, si on prend les tanins, chez la plante, ils servent pour affecter le système digestif des insectes. Il faut s’imaginer que pour un insecte, c’est énorme cette dose et donc ça peut interférer avec l’assimilation des nutriments, alors que chez l’humain, cette dose sera minime et pourra avoir un effet astringent sur les tissus digestifs. Je crois qu’il y a aussi la coévolution entre l’Homme et les plantes. Il ne faut pas oublier que l’Homme s’est nourri des plantes et de ce qu’il y avait dans son environnement, pendant des millions d’années, le genre homo en général. Donc, le corps humain a évolué à son optimal avec ce qu’il y avait dans son environnement et donc, avec la chimie des plantes qu’il y avait dans l’environnement. Je prends toujours, pour expliquer ça, l’exemple de la vitamine C puisque l’Homme était capable de synthétiser la vitamine C, mais cette qualité a été perdue parce qu’elle n’était pas nécessaire. Ça consommait de l’énergie pour rien, puisque l’Homme pouvait avoir tous les jours, la quantité de vitamine C dans sa nourriture, donc ça ne servait plus à rien que le corps produise sa propre vitamine C. C’est comme ça que cette capacité a été perdue et je pense que c’est une des raisons qui explique aussi que les composés de défense des plantes peuvent être médicinaux chez nous.
– Aujourd’hui, on voit une tension entre les plantes sauvages et la demande planétaire en plantes médicinales, avec beaucoup de marketing, parfois exagéré, donc une demande déjà intenable aujourd’hui, par rapport à la plante sauvage. Aujourd’hui, on envoie le message que la plante sauvage est plus nutritive, plus médicinale, donc, nous, on se pose beaucoup de questions dans nos cercles, sur cette problématique. Je sais que c’est une question complexe, mais comment vois-tu les choses de ton côté ?
– Je crois qu’une des solutions, serait peut-être d’essayer de cultiver les plantes sauvages qui sont aujourd’hui, en danger, pour les préserver, que l’on puisse continuer à pouvoir y accéder, sans endommager les populations sauvages. Des fois, c’est pour ça que pour ma thèse, j’ai utilisé le mot « cultiver » versus « sauvage », mais le vrai terme, ça serait « domestiquer » versus « sauvage », puisque domestiquer ça incorpore le fait qu’elles ne soient pas juste cultivées chez soi, mais qu’elles ont bien été sélectionnées. C’est vraiment cette sélection pour le rendement, qui a fait que les plantes ont perdu leurs défenses, donc si demain, on prend des populations sauvages, qu’on vient à cultiver, mais sans y toucher, sans chercher à les sélectionner pour le rendement ou quelque chose, on devrait pouvoir préserver leurs propriétés médicinales, mais les avoir à côté de chez nous, sans prélever les populations sauvages. Pour un point de vue à petite échelle, privé, on peut, par exemple, ramasser des graines en nature et venir les planter dans notre jardin ou garder toutes les plantes « mauvaises herbes », qui sont souvent médicinales et qui apportent beaucoup de nutriments. Eh bien c’est garder celles-ci dans notre jardin, aux alentours, pour pouvoir y accéder sans prélever de plantes sauvages. Ça pourrait être une direction à prendre, pour limiter notre impact sur la nature.
– Merci Agnès pour cette discussion super intéressante et merci d’avoir été aussi patiente avec moi, avec les différences d’enregistrements, avec les problèmes de connexion, d’Internet et avec ces sacrément gros moustiques.
– À bientôt.
14 réponses
Bonjour et merci, Christophe et Agnès ! Très intéressant ce sujet! Ce que tu raconte, Agnès donne une base scientifique à quelques observations que j’ai pu faire sur le terrain. Par exemple, l’arrivée des pucerons au printemps : il suffit de laisser faire les pucerons sur une « mauvaise herbe » de bardane spontanée au jardin pour que l’information passe aux rosiers « cultivés » qui grâce à leur propres défenses et à l’arrivée des prédateurs s’en sortent très bien (le système de défense qui est perturbé actuellement avec le changement climatique: les auxiliaires arrivent avec un peu de retard….) Et je comprends mieux maintenant pourquoi à l’arrivée des chenilles des picrides il y a toujours la première des plantes de choux attaquées qui souffre le plus. Une technique de défense alors (à tester l’été prochain) ce serait de blesser quelques feuilles pour provoquer la fabrication des isothiocyanates?
Mais sinon, plus globalement, ce sujet fait penser au concept de la « santé » des plantes cultivées. Discussion pendant un stage sur la culture des rosiers avec le formateur qui parle des moyens « naturelles » de traiter l’iodium des rosiers (cultivés pour faire de l’eau de rose). Une attaque fongique qui n’est pas forcément fatale à une plante et qui va attaquer les feuilles pendant ou après la floraison (la consoude connait ça, elle aussi: pensez à ses feuilles qui deviennent pas belles quand la plante monte en fleurs). J’ai demandé alors: mais pourquoi traiter tout court? la plante n’est pas en danger, c’est une période de sa vie, elle retrouvera sa santé à la nouvelle saison? La réponse était: la plante si elle est censée de soigner, doit elle même être en bonne santé. ça m’a fait réfléchir, mais c’est quoi « l’état de santé » d’une plante? ( Y a tout une branche de l’industrie qui produit du « phytosanitaire », lol!). Cela fait penser au livre d’Eric Petiot « Agriculture Energétique »: (ça serait vraiment une bonne personne à interviewer dans la suite de ce sujet) . Quand on parle d’une plante comestible domestiquée (un choux, par exemple), ce qui intéresse le jardinier, c’est son « appétence » : beaucoup de sucres, peu de fibres, grosses feuilles charnues). Ce qui crée des problèmes de sa survie: elle n’est pas « appétente » que pour nous. Mais dans le cas de la culture des plantes médicinales, ça ne serait pas préférable de les faire évoluer avec un peu de difficultés? Donc, sans trop intervenir, les laissant développer ses « défenses »?
bonjour Tatiana
voici la réponse de Christophe
« Tout dépend ce que l’on veut faire avec les plantes je pense. Si on les destine à la vente, alors une « crise » d’oïdium sur mes soucis pourrait être (commercialement) catastrophique effectivement. Mais sinon, pour un jardin médicinal « de famille » sans trop d’objectif commercial (mais toujours avec un objectif de pratique – aurais-je assez d’échinacée pour l’hiver, etc), alors je pense que le « laisser faire » est effectivement la bonne chose. C’est ce que j’ai fait ces 2 ou 3 dernières années. Pas par choix, plus par épuisement je l’avoue, fatigue d’avoir trop fait, sur une trop grande échelle. Donc ça a été du gros laisser faire. J’ai eu de la perte, et j’ai eu de la fortification de certaines plantes aussi, qui sont devenues plus grosses et plus fortes. C’est une grosse salade, et c’est bien. Plein d’enseignement dans l’observation de cette grande diversité. Merci pour ce commentaire qui fait réfléchir «
Jai pris le temps de regarder enfin d’écouter avec attention ; quel bonheur tout Simplement. Apprendre encore et encore. Sujet passionnant. merci pour ce partage. La Nature est Merveilleuse. Gratitude.
FORMIDABLE !… vous avez tous les deux , été FORMIDABLES… Vraiment Merci pour toutes ces explications… Incroyable d’avoir appris ces mécanismes de communications entre les plantes ainsi que les systèmes biologiques d’autodéfenses contre les insectes prédateurs… J’aimerai bien pouvoir communiquer avec les plantes de mon jardin pour leur apprendre à se défendre de la sorte contre certains insectes perforateurs de leurs feuilles ou contre les minuscules escargots ou limaces qui grignotent également les feuilles de certaines plantes jusqu’à la totale disparition de leurs feuilles, laissant une tige et un trognon… Si seulement on connaissait le langage des végétaux pour leur venir en aide… Tous les commentaires d’Agnés Brosset au sujet de ses observations et études qu’elle a réalisé sont exceptionnels et enrichissants… Chapeau bas pour la qualité et l’ampleur de son travail !.. Quant à ses conclusions, j’en suis déjà un adepte et un pratiquant de cueillettes en milieux sauvages et après observations de leurs milieux de vies naturels, j’essaie de reproduire ces ambiances naturelles dans mon jardin (milieu humide, coins laissés libres d’évolution sauvages etc…) et dans la plupart de mes essais, çà fonctionne, pas forcément le première année mais un an ou deux après mes semailles j’ai la surprise et la joie de voir émerger des tiges qui s’épanouissent et qui se reproduisent naturellement car je ne cueille que quelques unes de leurs feuilles ou leurs graines obtenues après floraison et j’observe que les butineurs et butineuses se délectent du pollen de ces plantes sauvages préférentiellement. D’ailleurs à part mes massifs de passiflores issues d’une origine cultivée, pratiquement toutes les autres proviennent de graines sauvages ou de boutures prélevées dans la nature et bien acclimatées… Maintenant, savoir analyser si ces plantes sont meilleures pour mon organisme, je ne le saurai mais si, hypothétiquement les conclusions de l’exposé que je viens d’entendre entre vous et Agnés, seraient celles là , j’en suis vraiment preneur et je vais persévérer dans ce sens !…
Bonjour, je dis souvent que la nature ne crée pas de déchets. En faisant des recherches sur les déchets produits ou non par la nature; je découvre certaines évolutions des bactéries, le développement des mitochondries… Des infos sans fin mais passionnantes !
Je voulais partager ce lien https://matierevolution.fr/spip.php?article5517 qui démystifie présences et rôles de l’O2 et du CO2 dans notre atmosphère respirable…
bonne lecture, en espérant ne pas être hors sujet
pascal
Bonjour Christophe et Agnès ! Cet échange n’est que du positif à découvrir et un plaisir de vous écouter !
Quel beau plaidoyer pour les plantes sauvages (naturelles) et cultivées (sélectionnées).
Les plantes cultivées venant au secours des naturelles, ça aussi c’est bien vu pour la préservation du biotope. Je pensais également que le « sauvage » était plus actif que les plantes cultivées, mais cette version me va bien, il faut juste enlever les « cides ».
Comment occulter que le végétal s’adapte et ce depuis toujours ? Reconnaître que l’homme peut compter sur ces adaptations pour équilibrer ses usages raisonnés en cultures conventionnelles et biotopes naturels.
Belle comparaison entre la construction « intelligente » des défenses naturelles des plantes et la répercussion positive sur leurs valeurs médicinales ! Dans la nature (le vivant) rien n’est construit au hasard, il n’y a pas de « mauvaises herbes » mais que des herbes utiles !
Nous faisons partie de ce « TOUT » qu’est le « VIVANT ». Donnons SENS à nos actes afin de pérenniser ces organisations ancestrales du VIVANT où tout est perpétuellement réorganisé sans création de déchet !
Gratitudes à Agnès pour nous transmettre sa passion et à Christophe pour la qualité de ces sujets toujours intéressant et formateurs.
Bonjour Christophe, vraiment super intéressant cette discussion, merci ! Au passage : c’est « entomologiste » la personne qui travaille avec les insectes, pas « anthropologiste » (mais le néologisme m’a fait sourire).
bonjour Lacroix
effectivement erreur de transcription , mais la boulette est corrigée 🙂
« c’est que vu que les plantes cultivées ont moins de fibres mais sont plus caloriques, souvent elles ont beaucoup plus d’amidon, beaucoup plus de sucre, on se retrouve avec des plantes plus faciles à digérer, très nutritives. » Attention, Christophe dit en dessous : « Aujourd’hui, on envoie le message que la plante sauvage est plus nutritive, plus médicinale, » donc plus nutritive ou moins? Ou bien pas sur le même plan. plus nutritive pour l’énergie, mais moins pour la diversité des nutriments?
bonjour Veron
si je comprends votre question , vous demandez si Christophe dit bien plus nutritive et plus médicinale et la réponse est oui
« le message qui est envoyé aujourd’hui » , n’implique pas que Christophe dit que , il dit qu’aujourd’hui la croyance qui circule » est que … »
Bonjour,
non, la citation entre guillemets est d’Agnes : « . les plantes cultivées (…) [sont] plus faciles à digérer, très nutritives. »
va avec la croyance.
contredit un peu Christophe si on ne se place que sur le plan energie sucre et pas diversité des nutriments, si on se place court terme au lieu de long terme.
Mais merci beaucoup pour cet article.
Merci Christophe pour cette interview très intéressante concernant les plantes sauvages vs cultivées ; l’énergie et la passion d’Agnès sont communicatives !
Bonjour, c’est exactement ce que je fais, quelques graines en nature et hop dans mon jardin. Je trouve que depuis quelques temps, et même si en un sens, tant mieux, ce retour à la nature que j’applaudis, l’intérêt pour le sauvage qu’il soit médicinal ou culinaire ma fait me poser certaines questions. Il n’y a qu’à voir le broutage humain de certaines stations d’ail des ours et autres plantes. Couplan disait cette semaine dans une interview, que l’intérêt nutritionnel d’une plante c’est qu’elle pousse au moment où notre corps a besoin de tel ou tel nutriment. Faire un peu de réserve ok mais faire 100 pots de pestos pour pouvoir en manger en février ou mars….Faire sécher comme j’ai entendu cette semaine une quantité de racines de pissenlit il y a quelques années et dire je ne les ai jamais employées…Donc personnellement, je domestique, je cueille surtout dans on jardin, et quand je cueille des plantes à l’état sauvage, c’est juste pour mes besoins, quitte a rectifier le tir si je suis tombée à court l’année suivante.
Bravo et Félicitations !… Nous sommes deux à pratiquer dans ce sens …