"Les Plantes du Chaos" de Thierry Thévenin : Revue de livre : (abonnez-vous au podcast ici)
Bonjour. J'ai eu le plaisir de recevoir il y a quelques jours le dernier livre de Thierry Thévenin qui s'intitule "Les Plantes du Chaos". J'ai tout simplement adoré. Je vais donc vous faire une revue détaillée du livre et vous expliquer pourquoi c'est le type d'ouvrage que j'apprécie beaucoup aujourd'hui.
Les livres de Thierry Thévenin
Pourquoi est-ce que je me réjouis toujours lorsque Thierry annonce un nouveau livre ? C'est très simple, car il nous fait réfléchir et il ajoute toujours quelque chose en plus, une dimension que les autres livres ne nous apportent pas.
C'est pas du ressassé, c'est pas du réchauffé. Ce ne sont pas des vieux restes du frigo qu'on a préparé avec une nouvelle sauce. Il y a toujours un fil conducteur que l'on ne retrouve pas ailleurs.
Dans "Plaidoyer pour l'Herboristerie" par exemple, on a vu une prise de position politique et citoyenne sur le droit des peuples à l'herboristerie. Dans "Le Chemin des Herbes", il nous apporte sa longue expérience de producteur et de cueilleur qui rajoute une grande richesse au livre. D'ailleurs je vous avais fait la revue du livre lorsqu'il était sorti.
L'idée de ce livre
Lorsque Thierry m'a parlé de l'idée de ce nouveau livre "Les plantes du chaos", j'ai tout de suite su que ça allait être intéressant, intriguant, que ça allait nous titiller là où ça dérange un peu, et c'est bien. Le fil conducteur, c'est un plaidoyer pour les plantes invasives. Ce qui peut vous choquer un peu et vous faire dire... c'est quoi cette histoire ? Pourquoi est-ce qu'il se met à défendre des plantes qui menacent nos écosystèmes ? Des plantes pour lesquelles on a déclaré la guerre ?
Et ça, c'est quelque chose dont on parle dans nos cercles depuis maintenant pas mal de temps. On se dit : si ces plantes apparaissent en tel nombre ici et là dans le monde, est-ce que, au contraire, on ne peut pas réfléchir à la valeur qu'elles pourraient apporter à nos sociétés ?
Invasives : causalité ou conséquence ?
Et une notion que Thierry veut de nous faire comprendre, c'est la suivante. On a décidé de faire la guerre à ces plantes car on dit qu'elles envahissent les écosystèmes, qu'elles font concurrence à d'autres plantes locales qui sont en train de perdre leur milieu.
Et donc quelque part, on est en train de dire que les plantes invasives sont la cause de la perturbation des écosystèmes. Ou du moins l'une des causes. Ou au minimum un facteur aggravant.
Et là, on est un peu en train de mélanger causalité et corrélation, un piège bien connu lorsqu'on essaie de développer un raisonnement scientifique. Pour illustrer ce point, je vais vous raconter une petite histoire. La première fois que je l'ai entendue, c'était pour faire un parallèle avec la problématique du cholestérol. Là, je vais l'adapter pour faire un parallèle avec les plantes invasives.
C'est l'histoire d'extra-terrestres qui débarquent dans une région du monde dans laquelle il y a une grosse problématique d'incendies. Prenons la Californie par exemple, qui a bien du mal à gérer tous les feus qui se déclenchent chaque année. Les extra-terrestres approchent le gouverneur de Californie et lui demandent comment ils peuvent l'aider grâce à leur regard nouveau. Le gouverneur explique qu'il a besoin d'aide pour comprendre la cause de tous ces feus et y mettre fin.
Les extra-terrestres se mettent donc au travail et 2 mois plus tard, ils s'entretiennent à nouveau avec le gouverneur et expliquent qu'ils ont trouvé la cause, et donc la solution. Ils disent : "C'est très simple. On a bien observé la situation, et on a vu qu'à chaque fois qu'il y a un feu, il y a aussi des petits véhicules rouges qui tournent tout autour. On s'est dit que c'était sûrement la cause et on les a tous détruits".
Des plantes réparatrices des écosystèmes
Y a le feu dans nos écosystèmes. On est d'accord sur ce point-là. Mais les plantes invasives ne sont pas la cause. Elles sont la conséquence de la destruction humaine. Elles nous disent "ben oui, on est là, bien sûr qu'on est là, c'est normal, faut pas que ça t'étonne".
Voici ce que le livre nous dit au sujet de l'ambroisie par exemple. L'ambroisie, c'est une plante que vous verrez décrite comme une vraie peste des civilisations, de par son caractère à la fois envahissant et très allergisant :
Mais il faut savoir que :
- Son expansion est clairement corrélée avec l'explosion des surfaces de grande culture - maïs, betterave à sucre, blé, etc. Mais aussi avec l'utilisation des désherbants.
- En France, elle est rarement observée dans les milieux non perturbés par l'homme.
- Et la réaction allergique est accentuée par l'ozone, le dioxyde d'azote, les particules diesel, ainsi que par d'autres irritants des muqueuses respiratoires comme le dioxyde de soufre, monoxyde de carbone, etc.
Donc oui, ces plantes sont là, parfois elles nous embêtent un peu. Mais on sait pourquoi.
Et il faut aller encore plus loin, car là on est toujours dans des tonalités négatives. Thierry explique comment ces plantes font aussi partie de la solution. Non, elles ne font pas concurrence aux plantes locales. Non, elles ne seront pas là éternellement. Elles marquent une transition.
Elles sont là pour panser une zone, une terre mise à nu. Elles permettent un renouveau, elles assurent une végétation temporaire qui va restructurer le sol pour que, plus tard, un écosystème beaucoup plus riche puisse s'installer à nouveau.
Prenons un exemple avec le robinier faux-acacia. Il a été importé d'Amérique dans les années 1600. Le premier arbre a été planté chez nous par l'arboriste (et je n'ai pas dit herboriste, j'ai bien dit arboriste 🙂 d'Henri IV. Depuis il a été planté un peu partout et il s'est rapidement naturalisé. Il se reproduit très vite, il est considéré comme espèce invasive dans certaines régions. Mais il enrichit le sol en azote et en nutriment pendant plusieurs années, comme toutes les plantes de la famille des fabacées. Il prépare donc au retour de la forêt et il va laisser place à d'autres arbres plus hauts et qui le feront régresser en lui faisant de l'ombre.
Donc ce livre nous fait changer de perspective, de passer de l'état de désespoir face à ce champs rempli de vergerette du Canada ou à ces berges couvertes de Jussie, à un état où on se dit que c'est normal, c'est temporaire, ça fait partie du processus naturel de réparation des sols. Donc pendant cette période de transition, que peut-on faire pour maximiser l'utilité de ces plantes ?
Les plantes du chaos : fiches de plantes
Ce qui nous amène donc à la structure du livre. Vous y trouverez 12 plantes décrites : la renouée du Japon, l'armoise annuelle, l'ambroisie, le buddléia, le séneçon du Cap, la datura, la vergerette, le baccharis, les jussies, le robinier faux-acacia, la phytolaque et l'ailante.
Pour chaque fiche de plantes, vous trouverez les sections suivantes :
- Une description botanique de la plante ;
- Une section écologie pour bien comprendre d'où vient la plante, comment elle s'est établie chez nous, ce qui explique son statut de plante invasive. Une section très intéressante d'ailleurs pour comprendre la situation actuelle.
- Les usages alimentaires ;
- Les usages médicinaux ;
- Et parfois d'autres usages comme les usages tinctoriaux.
Tout au long du livre, vous allez aussi trouver des encarts super intéressants. Par exemple un encart sur l'ailante qui ma beaucoup intéressé.
Alors l'ailante, je le connais bien, c'est un arbre qui s'est installé chez moi. Et il a décidé de coloniser les abords de mon plateau absorbant. Eh oui parce qu'on n'a pas de tout-à-l'égout chez nous. On a un plateau filtrant et il faut s'assurer que les racines ne viennent pas trop perturber sa fonction. Et il a donc fallu que je m'en débarrasse de l'ailante dans cette zone-là, ce qui a été un travail de plusieurs années. Et encore, c'est pas fini, car si on laisse un petit morceau de racine, ça repart. Bref, j'ai souvent pesté à son sujet, mais je ne savais pas qu'il s'appelle aussi l'arbre à soie.
Et dans le livre, j'ai trouvé tout un encart sur le fait que l'arbre a été importé justement car il nourrissait un vers à soie qui faisait une soie très solide à l'époque et très réputée en Chine pour les vêtements de travail. On n'avait pas besoin d'élevages, pas de magnanerie, on récoltait les cocons à l'état sauvage directement sur les arbres. Et donc pas de risque de maladies, etc. Un siècle après son importation, on produisait cette soie chez nous dans les Cévennes, dans les années... 1800 si je me souviens bien.
Les plantes du chaos : aquarelles de Jacky Jousson
Comme dans le livre précédent de Thierry, vous allez trouver de belles illustrations, soit des photos, soit des aquarelles de Jacky Jousson. Ces aquarelles sont toujours un vrai régal pour les yeux.
Les plantes du chaos : conclusion
Eh bien voilà pour cette revue de livre. Nous sommes en décembre au moment où j'enregistre cet épisode, donc ce livre "Les plantes du chaos" constituera, je pense, une super idée de cadeau de Noël pour ceux qui se passionnent de plantes médicinales et d'écologie. En tout cas je l'ai lu de bout en bout et je suis très content de l'avoir dans ma bibliothèque.
Je finis par un extrait de la préface écrite par Pablo Servigne : "Intégrer au lieu de séparer. Favoriser les liens plutôt que les détruire. Choisir la coopération plutôt que la compétition. Il ne s'agit ni plus ni moins que d'un grand changement de regard, peut-être le plus important de tous. Considérer les 'autres qu'humains' comme des alliés, et non comme des ennemis à exterminer, ni comme des ressources à accumuler".
Magnifique, merci Pablo...
Merci, à très bientôt !
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Xavier M dit
C'est toujours très enrichissant de renverser ses convictions. C'est de cette façon qu'on pratique l'écologie, la vraie ! Et comme j'aime ce parallèle suggéré, avec un autre Règne que Végétal 😉
fae dit
Bonsoir
L'ailante je connais aussi, je suis en région parisienne à la limite de l'oise et mon fils y est allergique donc armée d'une pioche, j'essaie de l'enlever avec ses racines qui font jusqu'à 30 mètres de long et près d'un mètre de profondeur. Si elle atteint mon potager je suis fichue car elle rend la terre acide et empêche le reste de pousser. Elle avait été ramenée de Chine et bien été introduite pour la soie sauf que de ce que j'ai lu, elle avait vite été abandonnée car la soie produite était de mauvaise qualité. Si vous avez une méthode pour s'en débarrasser je suis preneuse, mon dos aussi !! Mon voisin me dit qu'à force de couper ses rejets, elle ne pourra plus faire sa photosynthèse et disparaîtra. J'en doute après 2 ans qu'il essaie dans ce sens.
agnes lacaze dit
Bonjour , juste pour vous informer des travaux de Gérard DUCERF sur ces "mauvaises herbes" , plantes indicatrices. Je ne sais pas si vous vous connaissez. Je vous suis tous les deux car la synthèse de vos travaux et savoirs me sont très bénéfiques pour mon maraîchage, pour moi-même et donc pour ma clientèle. Merci pour ces partages, vous êtes lumineux!!
Jujube 83 dit
J'ai lu quelque part que les plantes sont dites "mauvaises" ou envahissantes parce qu'on n'a pas encore découvert leurs propriétés...J'avais bien aimé Le Chemin Des Herbes, bonnes soirées en perspective avec celles du Chaos! Merci à Christophe de partager, aussi, ses lectures.
fabrice dit
bonjour,
Merci pour cette revue de livre, que je vais acheter car je suis curieux de connaître le point de vue de Thierry Thevenin sur la Renouée du Japon. J'habite en Savoie, près du vieux Rhône (frontière Savoie-Ain), où les berges sont "envahies" de renouée.
si je comprends bien, il faut arrêter d'employer le terme "invasive" et le remplacer par "pionnière"?
encore merci!
sabine dit
bonjour Fabrice
je ne pense pas qu'il faille penser en terme de "il faut ou il ne faut pas" , c'est un état d'esprit qui fait que selon l'angle de vue où l'on se place ce qui est ennemi pour certains est ami pour d'autres, ce qui nous paraissait affreux à une époque nous apparait magnifique à une autre , tout est dans la nuance et les prises de conscience différentes
Pascale Guinchard dit
Merci beaucoup pour cette revue. Je commande le livre de suite, je vais me régaler ! encore merci. En tant que phyto-écologue, ce sont des intuitions qui sont là, mais nul doute que ce livre va remuer bien des certitudes/croyances ancrées chez les botanistes défenseurs des milieux naturels… Les scientifiques ont encore beaucoup à faire pour écouter, écouter vraiment en se connectant, ce que les plantes ont à nous dire… encore merci pour vos posts qui sont toujours des moments de plaisir.
Quillard dit
Merci beaucoup.
COLETTE BILLAUX dit
merci, quelle excellente idée ! Voici vraiment une ouverture ESSENTIELLE sur nos raisonnements TROP SIMPLISTES
Mathelet philippe dit
Bonjour, l'idée du livre est excellente. En matière de plantes bio-indicatrices, la référence reste Gérard Ducerf qui développe ce concept depuis bientôt 40 ans...
Laurence dit
Merci pour cette belle suggestion. A noter que pour celles que je connais, les "invasives" sont mellifères.
Kai dit
Magnifique. Juste ce dont j'avais besoin. Merci !!
Michelle R dit
Ouaouhhh !!!! J'ai a-do-ré !!!! Merci merci de nous avoir fait découvrir cette édition. Commande au plus tôt !!! Je sens que ça va me faire du grand bien... déjà au mental.
Belle continuation à vous.
pascal27 dit
Bonsoir Christophe, si toutes les professions qui "touchent au sol et au vivant cultivé" pouvaient vous entendre et enfin comprendre ce message, on aurait moins recours à la chimie !
Oui les plantes sont des messagers et non des envahisseurs. La nature ne s'autodétruit pas mais se répare en permanence de nos agressions et ce n'est pas un hasard si parfois une flore s'installe avec fougue pour remettre son l'ordre écologique face à nos excès !
@ La ronce et le bouleau sont des plantes pionnières qui s'installent après une déforestation. Ces deux plantes protègent le sol des rayons diurnes et nocturnes et de la sécheresse à la surface du sol en le recouvrant rapidement (STOP à la déforestation totale)
@ La luzerne pour s'implanter doit être en présence de sa bactérie "Rhizobium meliloti" dans le sol. La luzerne au bout de sept années de végétation s’autodétruit par sa propre bactérie ayant trop proliféré autour de ses racines et laisse un terrain fertile après avoir capté l'azote de l'air (pratiquer la rotation des cultures)
@ La lavande, le géranium, l’eucalyptus sont des plantes nettoyantes qui lors des pluies émanent par leurs feuillages des toxines qui anéantissent toutes les petites plantules à leur proximité (observer et déplacer les plantes qui végètent au pied de ces plantes).
@ La prêle est synonyme de zone de sol compact, sol asphyxié, le coquelicot traduit une zone de sol trop basique, la renoncule une zone de sol acide, le pissenlit indique des zones de sols riches en humus, le liseron est indicateur des zones de sols tassés saturés en azote, le chiendent prévient de la fatigue des sols, l'ortie est signe de zone de sol humifère, le chardon de zones de sols calcaires...
Mais tous ces critères sont parfois inversés car d'autres facteurs entrent en compte. La certitude n'est pas un art dans la nature. Par contre ces critères peuvent nous mettre sur une piste de réflexion et corriger si besoin est.
D'autres explications existent sur la dissémination et la faculté germinative des graines leur donnant un caractère parfois envahissant (l'érable, le frêne, le séneçon...) les crucifères sensibles à la concurrence des autres adventices utilisent une stratégie avec la prolifération de leurs graines permettant de protéger quelques sujets qui assureront la pérennité de l'espèce.... La menthe déplace son système racinaire pour ne pas s'autodétruire, le fraisier se propage grâce à ses stolons comme la potentille...
Nous devons nous poser des questions là où une plante devient envahissante, étouffante : nous avons sans doute fait une erreur en contrariant des symbioses de vie du sol ou des changements environnementaux brusques. Les plantes sont bio indicatrices de la santé du sol sur les quelques cm2 où elles se trouvent. On peut commencer à déduire de l’état du sol que lorsque ces plantes sont réparties en présence régulière sur un jardin ; et d’envahissement quand les plantes anéantissent tout autre végétation autour d’elles comme (géranium, renouée du japon, ambroisie, chiendent, chardon, ortie, armoise…)
Je rejoins votre idée Christophe sur le fait que même si certaines plantes deviennent passagèrement envahissantes, ça n’enlève en rien leur utilité agronomique et ne nous empêche pas d’en récolter pour notre santé.
Merci à vous de nous sensibiliser sur les raisons pionnières de ces phénomènes invasifs et parfois allergisants… Mais qui est invasif ??
Je vous suggère un thème qu’il serait bon d’aborder : l’eau « vive » de son indispensabilité à sa raréfaction sur notre planète verte !
Gratitudes à vous, pascal
Véronique dit
Bonsoir.
Je ne connaissais pas l'ailante.
Je suis aller voir à quoi ça ressemblait, en fait je l'ai reconnue, nous on l'appelle le vernis du Japon, en fait c'est un faux vernis du Japon.
Nous habitons dans le secteur de Buis les Baronnies (cachés dans les montagnes, là où la nature est préservée) et nous avons aussi cette plante qui de plus a une odeur désagréable quand on la coupe, et ça repousse, et ça repousse.
Nous ce sont les genêts qui nous empoisonnent sur le champ d'épandage et partout ailleurs .
En haute Savoie c'est la potentille qui tapisse le potager. Peut-être un jour vous nous direz à quoi sert cette plante...
Merci pour vos précieuses informations