Ma manière d’apprendre (appliqué à l’herboristerie) : (abonnez-vous au podcast ici)
Comment apprendre ?
J’espère que vous allez bien en cette période estivale. Je vais essayer de vous faire un sujet un peu plus léger aujourd’hui. C’est une question que vous m’avez posée assez souvent, qui n’est pas directement liée aux plantes médicinales, mais que je trouve vraiment intéressante. Comment est-ce que j’ai développé mes connaissances sur les plantes. Est-ce que j’ai une stratégie particulière pour apprendre. Est-ce que j’ai des astuces à partager sur comment développer de nouvelles compétences.
La question a l’air simple à premier abord, mais en fait c’est assez compliqué de décortiquer et comprendre comment on fonctionne pour acquérir un savoir. En tout cas, en ce qui me concerne, j’ai toujours été un apprenant très bordélique, excusez mon langage. Y en a toujours partout, des livres ouverts, des notes, des masses de fichiers sur l’ordinateur plus ou moins bien rangés. Donc chez moi, le bureau nickel avec pas une feuille qui dépasse, ça ne s’est jamais vu. Et puis j’ai toujours 10 chantiers de démarrés, ma journée est entrecoupée car je ne tiens pas en place. Je passe d’un projet à l’autre. Mais tout de même, dans ce grand foutoir, finalement, j’ai des choses qui me caractérisent dans mon parcours d’apprentissage.
Le premier point, c’est de travailler horizontal et vertical en même temps
Je m’explique. Je suis pas en train de parler la position de mon corps lorsque j’apprends. Parce qu’en position horizontale, c’est plutôt la sieste qui m’appelle.
Si on suivait un système d’apprentissage classique, on placerait des boites d’une manière horizontale, les unes à côté des autres, bien rangées. Prenons un système classique d’apprentissage de l’herboristerie. On aurait les bases de la physiologie humaine. Ensuite les bases de la botanique. Puis les bases de la galénique. Les bases du conseil et de l’accompagnement. Etc. Et puis une fois qu’on a couvert toutes ces bases, qu’on a posé toutes ces boites ou ces briques, on en remet une couche par dessus ! Mais avec des informations nouvelles et plus avancées. La physiologie humaine, niveau 2. La botanique, niveau 2. La galénique, niveau 2. Etc. En fait, c’est un peu le système scolaire classique en France. Chaque année on reprend les mêmes matières, on fait des rappels car il y a toujours ceux qui sont à la traine, et puis on va un peu plus loin. J’appelle ça le modèle horizontal, parce que dans ma tête je me vois en train de placer des briques les unes à côté des autres, puis on en rajoute une couche, deux couches, trois couches, et c’est comme ça qu’on monte en compétences, c’est comme ça qu’on approfondit, le vertical se fait au travers de plusieurs couches horizontales.
Et ça, chez moi, ça n’a jamais fonctionné. L’apprentissage linéaire, ça me fait beuguer. Ce n’est pas comme ça que j’apprends.
Moi, je progresse horizontalement, et à un moment, il va falloir que je monte en vertical jusqu’en haut. Et j’oublie tout le reste autour.
Laissez-moi vous donner un exemple typique. Je suis peut-être en train de lire un ouvrage sur les plantes sauvages, donc plutôt botanique. Je suis en train d’étudier la famille des lamiacées. Je vois les caractéristiques du romarin. Et puis je vois une petite note en pied de page disant « parfois utilisé pour stimuler les capacités cognitives ». Je pense à une personne âgée de mon entourage qui a besoin d’aide de ce point de vue-là. Et là, je prends une tangente. Je pars dans la physiologie des troubles cognitifs. Je trouve des pistes, inflammation cérébrale, troubles circulatoires, troubles métaboliques, etc. Ce qui m’amène à des ouvrages de phytothérapie pour essayer de trouver des propriétés qui m’intéressent – des plantes qui stimulent la circulation cérébrale, des plantes anti-inflammatoires qui vont traverser la barrière hémato-encéphaliques. Je m’intéresse à l’acide rosmarinique, donc là je suis dans les constituants. Je me demande quelles formes vont extraire ce constituant particulier – donc là je suis dans la galénique. Et puis… je me perds complètement dans ce sujet en sautant d’une boite à l’autre, et je monte, et je monte, mais dans un corridor très réduit, autour d’un sujet très ciblé. Et je ne suis plus du tout dans la botanique.
Du coup j’ai perdu le fil de mon apprentissage horizontal, linéaire, classique. Je suis parti profondément dans plusieurs sujets. J’ai appris des choses. Mais j’ai mis en pause ce que j’étais en train d’étudier au départ. Je reprendrai plus tard. De ce point de vue-là, c’est un peu chaotique, et on peut vite perdre le fil de ce qu’on avait commencé.
Je ne sais pas si je suis atypique ou si vous faites la même chose. J’ai l’impression que c’est pas pour tout le monde, ce type de défrichage de l’information. Et c’est pas un choix de stratégie en ce qui me concerne. J’ai toujours bossé comme ça. Ca c’est fait tout seul. Mais ça a été une méthode qui m’a beaucoup aidé pour intégrer les différentes matières qui font l’herboristerie. Me mettre rapidement au conseil m’a permis de comprendre certains aspects de galénique, me mettre rapidement à la galénique m’a permis de comprendre certains aspects de phytochimie, me mettre à la phytochimie m’a permis de comprendre certaines bonnes habitudes de cueillette et de stockage, etc.
Cette intégration-là, elle est vachement importante car sinon, on apprend différentes boites en isolation, et on ne sait pas trop comment les connecter. On peut faire cette connexion à la fin, lorsqu’on a étudié toutes ces matières séparément. Mais moi, je vous conseille de le faire beaucoup plus rapidement que ça. Vous avez plusieurs bobines, plusieurs fils, ça ce sont vos matières. Et vous avez des besoins de tisser une toile, ça c’est peut-être votre frère qui a des allergies saisonnières. Et vous avez des aiguilles particulières, ça c’est votre environnement, votre biotope. Voyez ce que vous arrivez à tisser avec tout ceci.
Et en fait, c’est l’expérimentation qui nous permet de faire ça. Ce qui m’amène au 2e point.
Le deuxième point, c’est de suivre le cycle Comprendre, Expérimenter, Expliquer
Comprendre, ça se fait en lisant des livres, en suivant des programmes comme ceux que je vous propose depuis 2015 ou d’autres.
Expérimenter, c’est passer à l’action. C’est faire. C’est tester. La camomille matricaire, je découvre ses propriétés dans un livre, c’est stocké dans un coin de ma tête. Douce, mielleuse, calme les inflammations digestives et de peau, calme un système nerveux en état d’hyperexcitation, calme les crampes menstruelles. Ca c’est dans la sphère mentale. Il faut transmuter cette énergie dans le physique. Je vais commander un petit sachet de matricaire chez un producteur du coin. Je vais m’en préparer une infusion, une teinture et un macérat huileux. Je vais goûter, tester, ressentir. On est dans le physique ici, dans les sens. Je vais ressentir ce que ça veut dire d’utiliser une plante adoucissante et calmante comme la matricaire.
A ce stade, je suis prêt à faire le test ultime de ces quelques connaissances que j’ai acquises. Le test ultime, c’est expliquer, enseigner, passer le savoir à quelqu’un. Je sais pas si vous avez déjà vécu ces situations où on a l’impression qu’on maitrise quelque chose, et puis on essaie de l’expliquer à quelqu’un, et on beugue ! Expliquer, verbaliser, dessiner pour quelqu’un, c’est un peu le test ultime. On sort de la zone de confort. Et on dit toujours, si on arrive à expliquer à un enfant qui a peut-être dans les 7 à 8 ans, c’est encore mieux, au moins on n’est pas tenté d’utiliser des mots très compliqués.
Donc gardez en tête ces trois étapes : comprendre (dans la tête), expérimenter (dans les mains) et expliquer (dans le verbe… et le geste aussi chez nous les provençaux).
Comment apprendre : le troisième point, c’est d’utiliser tous les sens
J’adore lire. J’écoute les gens qui m’inspirent, j’essaie de vraiment les écouter sans penser à ce que je vais dire juste après. Le toucher est essentiel, on touche lorsqu’on jardine, lorsqu’on se promène en nature. On touche l’aspect poilu de la vipérine ou la douceur de la feuille de guimauve. On sent, bien sûr, l’herboristerie est remplie d’arômes, plantes fraiches, plantes sèches, en nature, en boutique, en tisane dans la tasse. Et le goût bien sûr – l’amertume, l’acidité, l’âcreté, la douceur, etc.
Pour développer ses connaissances en herboristerie, il faut stimuler tous les sens. C’est pour ça que dans mes programmes d’enseignement je vous encourage à toujours découvrir la plante dont on est en train de parler. On est à fond dans le sensuel ici. Le cerveau, les mains, les yeux, les oreilles, le nez, la bouche. Ça nous ramène au point « expérimentation » dont on vient de parler, qui est tellement important.
Voilà tout ce que j’avais à vous dire au sujet de ma manière d’apprentissage, celle qui m’a permis de progresser relativement vite dans le monde des plantes. Et si je ne retenais qu’une seule chose. Je dirais sans hésiter… expérimentation ! Dès que vous pensez avoir acquis une information importante, testez-là, validez-là, ayez la curiosité de l’enfant qui découvre un monde nouveau. Avec la prudence de l’adulte responsable bien entendu.
Allez, je vous laisse. A très bientôt !
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fabrice dit
bonjour Christophe, je me reconnais dans votre mél!! exactement cà!!
pascal27 dit
Bonsoir Christophe, à ta question comment j'apprends ? je ne saurais répondre, mais c'est en effet intéressant d'essayer. Je risque d’être aussi « en vrac » que ma façon d’apprendre…
A mon sens, il y a plusieurs apprentissages. L’obligatoire, celui que l’on reçoit à l’école, "du par cœur » apparemment ce ne fut pas ma logique, ni d’une utilité premières (boites très horizontales). Puis l’apprentissage « passion ou découverte » que l’on peut avoir très tôt à l’école ou quand on commence à chercher le comment et le pourquoi (boites plus verticales qu’horizontales !) et enfin l'apprentissage "métier" rigueurs et compréhensions.
Mon apprentissage « passion » s’articule ainsi : Concernant le végétal ; j'observe ou découvre une plante dans son biotope, j'essaie de noter des détails botaniques ; puis je tente de déterminer son "nom", enfin je m'intéresse à sa comestibilité, son utilité santé et là mon ami je me perds dans toutes ces informations et je passe d'une plante à une autre, d'une utilité à une autre car je me dis que cette plante pourrait être utile à Pierre ou Paul...... en plus je découvre des « mots inconnus, je dirais tordus » et j’en cherche aussitôt la signification pour le fil de ma lecture. Ma pauvre mémoire sature mais elle fonctionne !
J'écris beaucoup, je classe sur des critères basiques (comme foie, gorge, immunité, famille, cuisine, chémotype...) et là aussi je me noie car beaucoup de sujets se croisent, mais j'insiste à tel point que ma base de données devient une usine à gaz sur un tableur ou sur un traitement de texte avec liens entre fichiers... Je crée le classement idéalement impossible ! Ces classements on ce que j’appelle un « plus » car je les mets à jour ce qui rafraîchit ma mémoire vive…
Néanmoins j'apprends beaucoup avec ce foutu désordre dans ce mélange du possible avec l'impossible. Ma mémoire semble conserver ce qui m'a paru important en lecture, en observation et en pratique (on peut appeler ça expérimentation) et met de côté des liens à développer (je suis toujours dans mes pensées qui de plus se ravivent à la vue d’une plante en nature ou d’un conseil possible pour une personne.
L'essentiel (à mes yeux) fait que je continue à empiler du savoir avec une remise à jour permanente de ma mémoire par mes notes car rien n'est certain, rien n’est blanc ou noir pour l'éternité ! Plus j’avance en « connaissances » moins je sais ou plus précisément moins j’affirme surtout si j’entre dans les équilibres sanitaires et alimentaires du corps humain...
Je conclue en disant que l’important est d’entretenir nos sens à la croisée d’une plante (œil, odorat, goût…). C’est d’abord un respect de la nature, un ressentit de bon sens et de partage. J’apparente cela à une mémoire vive à laquelle j’associe « l’utilité de la plante » son stade de récolte et parfois je note un critère auquel je n’avais pas prêté attention et je repars en « vertical » sur les nouvelles infos et complémentarités de la plante qui m’orientent sur les associations synergiques possibles ou impossibles…
J’aime beaucoup les moments de découvertes avec quelques personnes pour les questions simples avec des mots compréhensibles. Retour des pieds sur terre, ça fait du bien.
Merci d'être là pour que nous nous posions les bonnes questions
Cécile dit
Je donne souvent les mêmes conseils aux gens qui me demandent comment j'ai appris, faire fonctionner tous ses sens et expérimenter. J'adore l'image du vertical +horizontal, ça explique bien cette gigantesque arborescence qu'est la pensée, je me retrouve totalement dans cette façon d'apprendre les plantes. Et au bout du compte, après qq années à courir dans la nature avec mon Delachaux et me mettre en cuisine avec les plantes médicinales ou comestibles, je commence à avoir une connaissance des plantes médicinales supérieure à la moyenne de mon entourage, qui me permet d'expliquer à mon tour...Et de distribuer des pots d'onguent ou des fioles à qui m'en réclame...Et de recommander ce site à qui mieux mieux !
Grall dit
, ça ne serait pas la pensée en arborescence, le classement l'est peut être aussi. Un peu poète ?
Mélusine dit
Bonjour Grall, pour info, non, la "pensée en arborescence" c'est , justement, plutôt l'inverse; c'est faire des liens entre des choses (idées, concepts, ...) qui semblent n'en avoir aucun. Ici, ce que décrit Christophe est, au contraire, très structuré et logique, même s'il va probablement beaucoup plus loin que la majorité des gens dans sa soif de connaître et comprendre ^^ et qu'il fonctionne par "intérêt direct" aussi! (J'ai le même modus operandi 😉
Et sinon, en fait la "pensée en arborescence" n'existe pas; c'est une invention d'une personne qui en a fait son beurre - et beaucoup de dégâts aussi, parce que ce qu'elle décrit peut aussi être lié a des pathologies plus ou moins handicapantes qui nécessitent de l'accompagnement et des soins... Par contre, la notion de "pensée divergente" qui y ressemble existe bien en psychologie et... tout le monde a cette capacité! Ce n'est pas un "trait spécifique des hauts QI", un "bouton ON quand le QI est ≥ à 130". Les études et recherches montrent seulement que ce trait (ou cette capacité) est un peu plus développée + le QI est élevé, mais rien de vraiment phénoménal, en fait. Voilà 🙂
Guillaume dit
Bonjour, a propos de l action du romarin sur le foie j aimerai savoir s il fait partie des plantes a utiliser afin de le nettoyer ou bien de le soutenir. Il me semble que lorsqu un organe est en souffrance, il faut commencer par une de ces deux actions, ensuite passer à la deuxième je ne sais plus dans quel ordre ni quelles plantes correspondent à ces deux étapes, il faut croire que mon cerveau est déjà touché :-)) et qu il est urgent de m instruire sur le sujet
sabine dit
bonjour Guillaume
je vous invite à visite ces articles
https://www.altheaprovence.com/romarin-rosmarinus-officinalis/
https://www.altheaprovence.com/nettoyer-foie/comment-page-1/
https://www.altheaprovence.com/plantes-medicinales-methode-clima/
Patricia Surmain dit
Merci d'être là, vous Christophe. Quel plaisir de vous écouter dans tous les sujets abordés et particulièrement dans cette vidéo sur la manière d'apprendre. Je fonctionne comme vous. Me voilà rassurée. Je vais m'octroyer le droit de me souvenir et d'avoir de la mémoire. Patricia provençale fidèle
xavm dit
Et bien, c'est un point commun encore une fois (y compris la barbe !). Je fais exactement la même chose.
La transmission comme formateur, est sans aucun doute ce qui permet d'encrer les connaissances le plus profondément. Et la transmission à des proches aussi, tout à fait d'accord.
J'aime beaucoup cette remarque "écouter... sans penser à ce que je vais dire juste après !" cette sagesse est une des clés. Bravo, j'adhère à 100%, mais je m'entraine encore !
Bon repos Christophe ! (xav des PO et de l'AFC)
sylvie baron dit
Bonjour, je suis aussi très bordélique dan ma façon d'apprendre. Je passe d'un sujet à l'autre et c'est souvent suite à une note ou une étude citée en bas de page, etc. Mais par rapport à vous , j'ai beaucoup de difficultés à transmettre un savoir car je suis très brouillon et surtout plus j'apprends moins je sais...Mais merci pour vos explications qui m'aident à me sentir moins seule
Karine dit
Vraiment très intéressant de voir ce fonctionnement ! Pour ma part je fonctionne de la même façon et dans tous mes domaines d'apprentissage, et cela me conforte dans cette méthode qui peut sembler aux yeux des autres parfois peu... méthodique ! Merci à vous.
Amicie dit
votre texte sur l'apprentissage a tellement vibrer en moi! merci pour ce partage, merci de mettre en lumière qu'il n'y a pas QU'UNE seule façon d'apprendre... mais surtout que c est OK de se perdre au milieu de 4 sujets qui paraissent tellement opposés mais qui en réalité ne le sont pas! j'apprécie énormément ce que vs partagez avec tant de cœur, d'humour et de profondeur.
Emilie dit
Merci, étant devenu Savonnière, j'ai appris par mes propres moyens de cette façon également alors c'est très enrichissant mais parfois aussi très frustrant car effectivement on a complètement perdu notre questionnement du départ mais je pense. que c'est vraiment à ce moment là que l'on apprend le + car c'est uniquement notre intérêt profond qui nous guide.