Histoire des plantes 12 : Hildegarde de Bingen : Partie 2 - La santé et les plantes : (abonnez-vous au podcast ici)
Je vous retrouve pour cette 2e partie de mon épisode sur Sainte Hildegarde de Bingen. Dans la première partie je vous ai parlé de sa vie remarquable, de son œuvre. Je vous ai aussi expliqué mon approche pour faire mes recherches et les références que j'ai utilisées, et que tout ceci n'avait pas été un travail facile.
Dans cette 2e partie, on va se concentrer sur deux ouvrages majeurs qui sont en lien avec le soin et les plantes médicinales. Sainte Hildegarde a écrit de nombreux ouvrages au cours de sa vie, mais deux se distinguent des autres pour nous, amateurs de plantes. Le premier s'intitule "De Physica" et le deuxième "Causae et curae".
Description des deux ouvrages de Sainte Hildegarde
D'une manière très simpliste, on va dire que le Physica est un peu comme une encyclopédie de sciences naturelles. Sainte Hildegarde a probablement été l'une des premières naturalistes d'Allemagne à produire un tel ouvrage. À l'intérieur, on y trouve des monographies de plantes. Nous, on appelle ça en général une Materia Medica, ou Matière Médicale. C'est ce qui nous permet d'aller à la section "sureau" ou "thym" par exemple, et de voir les propriétés.
Le "Causae et curae", lui, se concentre plus sur la santé, les pathologies, et les remèdes et méthodes pour soigner. Si on traduit du latin, ça signifie "les causes et les remèdes".
Notez bien qu'on ne connait que 2 ouvrages médicaux composés en Occident au XIIe siècle, et ce sont ces deux-là. C'est pour vous dire leur importance.
On ne sait pas trop quelle a été l'inspiration de Sainte Hildegarde pour ces deux ouvrages. On ne trouve aucune référence à des visions comme pour d'autres ouvrages. Donc pas de grandes révélations qui se sont présentées. Mais alors, d'où vient ce savoir ? Est-ce le produit d'une autorité qui la précède, des grands ouvrages classiques grecs et romains par exemple ? D'autres ouvrages médicaux peut-être ? Ou de la tradition populaire ?
Est-ce que ces écrits proviennent simplement de son sens de l'observation dans l'acte du soin ? Mais on a vu dans l'épisode précédent qu'un doute plane sur sa pratique du soin médical. Certains experts notent aussi le fait que le monastère de Rupertsberg où elle vivait (je vous ai parlé de la construction de ce lieu dans la première partie), n'était pas un centre reconnu de soins médicaux à l'époque. Donc, on ne sait pas trop sur quel savoir a été construit ce livre, on va supposer qu'il y a un mélange de toutes ces influences.
On ne sait pas trop, non plus, et contrairement aux autres ouvrages, quand ils ont été écrits, et si des ajouts ou modifications ont été faits à ces textes après sa mort, donc au travers d'autres contributeurs. Et un autre point complexe, on pense que ces deux ouvrages sont dérivés d'un seul ouvrage qui n'a pas survécu, et qu'après la mort d'Hildegarde, on a fait cette division en deux livres et on les a mis dans son dossier de canonisation, peut-être pour mieux organiser son héritage.
Donc rentrer dans ces subtilités, ça va être trop complexe pour notre survol, on va les laisser aux experts (Bain, 2021), mais si ça vous intéresse je vous ai mis toutes les références que j'ai consultées en fin d'article.
Il faut savoir que ces deux ouvrages ont été reconstitués au fil des siècles à partir de multiples fragments. Ne pensez pas qu'on a trouvé ces 2 ouvrages tels quels dans les bibliothèques de monastères. On a des morceaux qui proviennent de Berne, Berlin, Paris, Bruxelles, Florence. Ces fragments ont été retrouvés au fil des siècles, certains au XIIIe, XIVe, XVe. On a même retrouvé deux nouveaux fragments dans les années 1980 à Trèves et au Vatican.
Tout ceci fait que ce sont des ouvrages hétérogènes et complexes. Si vous y cherchez un grand tout consistant, vous ne le trouverez pas. C'est plutôt un collage de différentes informations.
De Physica - Livre 1 sur les plantes
Le Physica est divisé en 9 livres.
Le premier livre, qui est le plus épais, est une collection de 200 chapitres sur les plantes. Contrairement à d'autres herbiers du Moyen Âge, ce livre ne se penche pas sur l'identification de la plante hélas. Mais on voit bien que les plantes médicinales étaient un sujet qui l'intéressait particulièrement, ce qui est logique vu la place des plantes comme remèdes au Moyen-Age.
Le classement des plantes se repose sur les 4 éléments - chaud/froid/sec/humide. Chaque plante a une constitution énergétique, chaque problématique de santé aussi, et donc on va choisir la bonne plante en fonction de la condition. Si une condition est froide, on va aller chercher une plante chaude. Si elle est humide, on va aller chercher une plante asséchante, etc.
A noter le fait qu'Hildegarde va particulièrement insister sur la caractéristique chaud ou froid de chaque plante. Par exemple nous avons une plante dénommée "Juncus", on va supposer que c'est un jonc, qui est classé comme ni chaud, ni froid, et donc n'a aucune utilité pour les soins. Du mois c'est ce qu'elle nous dit. Eh oui car du coup, on a bien du mal à classer son action. Dans d'autres traditions, on parlerait d'énergétique neutre avec tout de même une utilité, mais là, ce scénario est écarté par Hildegarde. Si c'est neutre en température, ça n'a pas d'utilité.
Un autre exemple, la tormentille est classée comme froide, et cette froideur est bénéfique contre les fièvres, condition chaude par excellence, et des fièvres particulières ici, celles qui se développent à cause de nourriture avariée. Elle nous conseille de cuire la tormentille dans du vin avec un peu de miel, et de la boire à jeun le soir pour soigner la fameuse fièvre.
Parfois, il faut combiner différentes plantes pour obtenir un certain remède. Par exemple, on mélange de l'érodium bec de grue avec un peu de... et là on ne sait pas trop de quelle plante on parle, probablement d'une plante du genre Tanacetum, partenelle ou autre. On rajoute aussi un peu de noix de muscade. On mélange le tout et on a un remède pour les troubles cardiaques.
Les formes les plus conseillées, ce sont des macérations dans un bon vin, ou alors la confection de petites galettes qui contiennent la plante indiquée. Donc c'est super intéressant ça ! On mêle alimentation et remède, et on rend la plante agréable à consommer. Je cite : "réduire du serpolet en poudre, mêler cette poudre à de la fleur de farine et de l'eau, en faire de petites galettes et en manger souvent".
Écoutez ceci : "Le parfum de la première poussée de lis et le parfum de leurs fleurs réjouissent le cœur de l'homme et suscitent en lui de juste pensées". Si ça c'est pas de l'aromathérapie !
En principe, la plupart des plantes qu'elle mentionne proviennent de la nature environnante ou de plantes médicinales des jardins de monastères, donc que l'on peut facilement cultiver à l'époque. Les ingrédients les plus exotiques comme le gingembre, le poivre, l'encens, la muscade sont importés bien évidemment, même à l'époque. Le commerce des plantes et épices a commencé très tôt dans l'histoire.
De Physica - Livre 3 sur les arbres
Les arbres sont le sujet du 3e livre. Ce livre donne une image plus complexe à comprendre que celui sur les plantes. Car on va regarder les transformations des arbres au fil des saisons, ainsi que leur capacité à porter des fruits.
L'attribut chaud ou froid est déterminé en fonction de la quantité et de la taille des fruits. Un arbre qui produit beaucoup de gros fruits sera plus chaud qu'un arbre qui produit des fruits plus petits et plus éparses. Probablement car il est vu de l'extérieur comme plus actif, avec un métabolisme plus élevé. Là c'est moi qui spécule ici, je précise.
Elle nous explique que l'on ramasse les feuilles avant que les fruits ne maturent car sinon, les fluides vitaux vont se retrouver dans le fruit et ne seront plus dans la feuille, logique. Par exemple, elle donne la recette d'un onguent pour les yeux préparé à partir de feuilles de pommiers, qui doivent être récoltées au printemps lorsqu'elles sont fraiches et en pleine santé, avant les fruits.
Les fruits doivent être mangés crus chez la personne en bonne santé, cuits chez la personne malade. Les poires doivent toujours être cuites. Pour les coings, ça dépend de ce qu'on veut en faire et de l'effet asséchant désiré. C'est intéressant car aujourd'hui, on connait bien cet effet asséchant des muqueuses qu'on appelle astringent et qui est dû à la présence des tanins. Hildegarde nous dit que le coing peut aider ceux qui souffrent de salivation excessive, ou qu'il peut être appliqué en externe sur un ulcère pour l'assécher.
Hildegarde utilise le pêcher et le cerisier comme remède plus que comme aliment - on utilise les feuilles, l'écorce, les noyaux pour différents types d'infection de la peau, pour le mal de tête, ou pour les vers intestinaux. J'ouvre très vite une parenthèse, attention de bien valider tout ceci aujourd'hui car certains de ces conseils ne sont pas dénués de toxicité en fonction des quantités ingérées.
On retrouve certains arbres que l'on aime beaucoup dans notre pratique aujourd'hui, comme le laurier noble, qui est classé, sans surprise, comme chaud et sec, avec de nombreuses indications à la fois en interne et en application externe. On retrouve notre cher olivier, cyprès, cèdre, genévrier, sureau.
De nombreux arbres de nos forêts sont mentionnés : chêne, frêne, etc. Donc ce livre 3 est relativement riche lui aussi, bien que la classification soit un peu plus complexe que pour les plantes.
De Physica - Autres livres
Ensuite, nous avons des livres sur les éléments. Nous avons des livres sur les pierres précieuses, les métaux, les animaux (poissons, oiseaux, reptiles). Ces autres livres sont un peu plus compliqués à classer que la partie sur les plantes.
Le catalogue sur les pierres précieuses fournit la liste des pierres mentionnées dans la Bible. L'émeraude est un peu le chef de toutes les pierres. C'est une pierre spécifique pour les douleurs du cœur, de l'estomac, de la tête. On applique la pierre à l'endroit en question pour obtenir le soin. Parfois, on laisse la pierre dans du vin et on boit le vin comme remède, une option qui plaira probablement à certains, plus que de boire une infusion bien amère !
Hildegarde associe les propriétés chaud ou froid aux pierres aussi. Par exemple, l'albâtre est considéré comme tiède et donc apporte très peu de propriétés médicinales.
Pour les poissons, idem, ils sont classés par degré de chaleur et d'utilité pour différentes maladies. Le goujon par exemple est d'énergétique chaude. L'ombre est un poisson d'énergétique froide.
Idem pour les oiseaux. Parfois on trouve des description un peu loufoques, comme le fait que l'autruche est de nature tellement chaude qu'elle ne peut pas couver ses œufs sans les faire bouillir.
On trouve aussi des remèdes qui requièrent une manipulation cruelle de l'animal, je ne vous décrirai pas le remède pour la jaunisse et le traitement à faire subir à une chauve-souris. Il ne faut pas oublier qu'Hildegarde représente une position dans laquelle les plantes et les animaux sur cette planète ne sont présents que pour leur valeur utilitaire pour l'humain, qui est l'élu. C'est dans ce contexte que les livres sont écrits.
On apprendra que la brebis est de nature froide et humide, donc on en mangera plutôt en été qu'en hiver. L'écureuil, lui, est de nature chaude. Le chien semble hors concours car classé comme ami de l'Homme.
Certains reptiles sont chauds, les escargots et limaces froides. Etc.
Donc pour résumer, le Physica et ses 9 livres passent en revue tous les éléments et êtres vivants connus d'Hildegarde et même provenant de destinations largement plus exotiques, et les classent en tant que nourriture ou remèdes.
Mais que faire de ces remèdes ? Comment comprendre l'être humain dans toute sa complexité ? Quel est le modèle de pratique ? Ça, c'est l'objectif de notre ouvrage suivant.
Causae et curae
Cet ouvrage s'intitule "Causae et curae", et c'est un ouvrage médical.
Dans cet ouvrage, on voit que les soins mentionnés par Hildegarde requièrent la coopération de Dieu. Certains remèdes demandent des invocations quasi-liturgiques. D'autres simplement le fait que la santé requiert une position de paix et la joie intérieure qui, elle-même, est fondée sur l'aspiration à Dieu. Dieu est décrit comme "le grand médecin de toutes les maladies". Ce qui ne doit pas nous étonner provenant d'une ecclésiastique.
On suspecte que certains savoirs médicaux proviennent directement de Pline ou de Galien ou d'autres grandes figures de la médecine classiques de l'époque. Donc elle n'est probablement pas partie de zéro pour cet ouvrage. Mais on voit aussi qu'une importante partie du contenu est original et introduit une vision bien particulière des choses.
L'ouvrage est divisé en 5 livres et il est largement plus complexe à comprendre que Physica.
Le livre 1 démarre avec la création du monde et sa description avec une base biblique. Au cours de ce récit, elle introduit la théorie des 4 éléments - terre-eau-air-feu - qui va devenir la toile de fond du fonctionnement de la vie, et qui nous amène aux stratégies de soin avec les vues chaud-froid-sec-humide.
Le macrocosme est expliqué. On voit que le vent est la substance qui tient le firmament, un peu comme l'âme tient le corps. Les étoiles dans la voute céleste sont comparées aux veines dans le corps. Donc on superpose le macrocosme et le microcosme, l'un est une réflexion de l'autre. On retrouve ces concepts de macrocosme-microcosme dans de nombreuses traditions. On essaie de tracer des correspondances entre toutes les dimensions de la vie - les 4 éléments, les 4 qualités de chaque remède, les 4 périodes de la vie humaine, les 4 saisons, etc.
Le livre 2 se concentre sur le rôle de l'Homme dans cet univers, il explique une théorie des humeurs que l'on connait depuis Hippocrate. On y décrit aussi les maladies, c'est le livre le plus épais de cet ouvrage. Les maladies naissent d'un déséquilibre *aigu* des 4 humeurs. Par exemple, les maux de tête et l’épilepsie proviennent d’une trop grande sécheresse dans le corps, alors que la mélancolie et la pleurésie sont dues à trop d'humidité.
A contraster avec les constitutions humaines - colérique, sanguine, flegmatique et mélancolique - qui, elles, sont basées sur un déséquilibre *chronique* des humeurs. Le tempérament flegmatique dénote un excès d'eau par exemple, alors que le tempérament colérique dénote un excès de feu.
On voit parfois un traitement des humeurs qui diffère des vues traditionnelles Hippocratiques. Donc il semble qu'elle se soit construit son propre modèle de pratique, grandement inspiré de la tradition, mais aussi modifié pour correspondre à sa vue des processus vitaux.
Par exemple, chez Hippocrate, le sang est lié à l'élément air. Chez Hildegarde, le sang est lié à l'élément eau. Et l'air, dans le corps, est représenté par l'air lui-même, l'air que l'on inspire et que l'on expire. Et donc tout ceci ne nous facilite pas la tâche de compréhension, car on avait les humeurs Hippocratiques qui nécessitent déjà qu'on étudie le modèle pour comprendre, et là on n'est pas exactement sur le même registre.
Les livres 3 et 4 contiennent les remèdes pour les différentes conditions exposées dans le livre 2. Les remèdes sont principalement à base de plantes. Les préparations et prescriptions sont largement plus complexes que dans le Physica.
Et les derniers livres sont un mélange de pas mal de choses difficiles à classer - par exemple une manière de faire des diagnostics basés sur l'astrologie. On a aussi toute une partie sur la procréation en fonction des lunes, sur les différences hommes et femmes, sur les relations sexuelles.
On a l'impression qu'Hildegarde aurait voulu d'abord dresser toute la liste des problématiques de santé, ensuite toute la liste des remèdes, avec une correspondance claire entre les deux. Mais qu'au final, peut-être au fil des écritures, au fil des années, elle a pris pas mal de tangentes, ce qui fait qu'on ne trouve pas cette correspondance claire. Là encore purement spéculatif de ma part.
Pour les remèdes, c'est une collection assez ésotérique de pas mal de choses et qui reflète les vues de l'époque. Donc lorsque je dis "ésotérique", effectivement, j'appose un jugement en tant que personne du 21e siècle. En fait, j'essaie de vous expliquer que dans cet ouvrage, vous trouverez aussi bien l'utilisation de préparations à base de pavot pour les migraines, que l'utilisation d'une chienne, je parle de l'animal, que l'on fait tremper dans de l'eau, on récupère l'eau et on s'y baigne la tête lorsqu'on est dans un état d'ébriété. Pour l'épilepsie, l'utilisation de bec de canard, etc.
On va retrouver ce mix entre des choses qui nous semblent logiques, et des choses qui nous semblent bizarres pour notre connaissance actuelle. Là encore, on n'est pas là pour juger, juste pour comprendre la personne et ses ouvrages. De toute manière, juger un ouvrage du 12e siècle avec un cerveau du 21e, on ne peut pas faire ça.
Parlons de quelques plantes
A ce stade, j'aimerais qu'on parle de quelques plantes décrites par Hildegarde. Je ne vais pas vous donner toutes les descriptions, mais vous en donner quelques-unes que j'ai sélectionné juste pour vous montrer ce qu'on peut apprendre si on garde un œil curieux. Du moins les idées que moi j'en ai tiré.
Mon premier exemple, c'est la partenelle (Tanacetum parthenium). Hildegarde nous dit que la personne bien portante devrait en manger pour diminuer le risque de maladies et augmenter son "bon sang" et éclaircir l'esprit. La plante permet une bonne digestion. Et une personne qui a de la congestion dans la tête sera moins congestionnée.
Donc là, on a plusieurs points intéressants. Un concept de prévention, de retour à la santé, de stimulation de la digestion qui correspond bien à ce qu'on attendrait d'une "tonique amère" comme la partenelle. Elle permet un sang meilleur, ce qui nous ramène à son action sur le foie, vu que le foie filtre le sang. Le point sur la congestion de la tête est vraiment intrigant vu qu'on va l'utiliser, mais bien plus tard, on parle des années 1900, pour soulager les migraines.
Hildegarde explique qu'il faudrait en manger régulièrement (probablement pas beaucoup parce que ce n'est pas bon à manger, c'est amer et camphré, mais la feuille reste tendre) pour prévenir différentes maladies. Donc on revient à sa position de tonique amer, mais plutôt que l'infusion pourquoi ne pas rajouter une feuille ou deux dans une salade. Ce n'est pas une idée qui me serait venue à l'esprit.
En ce qui concerne la rose, Sainte Hildegarde parle de l'utilisation de la feuille uniquement. Une feuille de rose appliquée sur les yeux pour les soulager, des feuilles de rose sur un ulcère pour tirer le pus. Mais pourquoi la feuille alors que de tout temps, on a plutôt été attiré par la fleur ? Les pétales sont astringentes et sentent super bon, donc logiquement c'est la partie qu'on va ramasser d'abord. Mais la feuille ? Pourquoi on ne l'utilise pas ? Et pourquoi, une personne d'expérience, ne l'a pas utilisée, n'a pas été attirée par ce parfum ? C'est là encore intrigant, et ça me donne envie de tester la feuille de rosier, chose que je n'ai pas encore fait.
Pour le thym, un commentaire très intéressant d'Hildegarde. Elle dit que chez la personne qui a de la gale, il faut consommer du thym sauvage. On ne sait pas pendant combien de temps par contre. Et pour ceux qui ont une petite zone de gale, d'appliquer un onguent fait avec du thym sauvage et du lard. Donc quelque part, elle souligne la puissance du thym sauvage pris en interne, avec une action systémique, lorsqu'il y a un parasite de la peau.
Pour le plantain, elle mentionne que le jus de la plante mélangé à du vin et du miel peut mettre fin à une crise de goutte. Là encore intéressant car le plantain, du moins à ma connaissance, n'est pas vraiment positionné comme une plante qui peut soulager la goutte.
Je vais m'arrêter là avec ma petite sélection, mais au travers de l'ouvrage, j'ai pu identifier pas mal d'informations que je trouve intéressantes, intrigantes parfois, qui me donnent envie d'expérimenter avec sa manière de faire. Bon ensuite, il y a aussi énormément d'information qui moi me semblent un peu trop exotiques ou bizarroïdes par rapport à mes connaissances du moment.
Ce que je tire des ouvrages de Sainte Hildegarde
Maintenant qu'on a fait le tour rapide des ouvrages d'Hildegarde sur la nature et la santé, j'aimerais vous présenter ce que moi j'en tire. En toute humilité.
➜ Tout d'abord, on peut faire une passe relativement simple dans les monographies de Sainte Hildegarde pour en tirer des bribes d'informations utiles. Ça, c'est le plus simple. Et je pense que des ouvrages de vulgarisation l'ont fait.
➜ Aller vraiment au fond des ouvrages et comprendre son modèle, je ne sais pas si c'est possible aujourd'hui. Je ne sais pas si on pourrait arriver à tout comprendre sans l'auteur et la culture de l'époque, la compréhension du modèle Chrétien quelque peu remodelé par Hildegarde. Je ne pense pas. Du coup, on ne pourra peut-être jamais pénétrer la subtilité de la connaissance d'Hildegarde. Mais peut-être que je me trompe ?
➜ Certains seront peut-être offensés par des informations dans ces ouvrages. Peut-être le fait que le religieux est mêlé aux soins. Peut-être le fait que plantes, poissons, animaux - tout est remède, tout peut être sacrifié à des fins utiles. Si ce genre d'information vous fait rejeter un ouvrage en bloc, alors ne consultez pas Sainte Hildegarde de Bingen. Mais comme je vous disais, personnellement, je me refuse de juger un ouvrage du 12e au 21e siècle. Ce sont deux univers différents. Personnellement, je lis, je trie, je pioche ce qui m'intéresse et je laisse ce qui ne m'intéresse pas, ou ce que je ne comprends pas, je n'ai aucun problème avec ça.
➜ Je pense qu'il y a un message important, qui est la nécessité d'adopter une vue holistique de la vie, de la personne, essayer de créer un modèle qui nous permet de faire des correspondances. Une vue holistique corps et émotions, ou corps et âme, corps et esprit, corps et univers. En ce qui me concerne, ça m'aide à me sentir minuscule, mais finalement utile, connecté à tout le reste et à ma place en quelque sorte.
➜ Lorsque Sainte Hildegarde nous dit de s'en remettre entre les mains de dieu, que l'on soit croyant ou pas, quelque part, ce qu'elle nous enseigne, c'est le lâcher prise. C'est faire le maximum, faire tout ce qui est en notre pouvoir, puis faire confiance et lâcher prise. Je pense que lorsqu'on traverse des problèmes de santé, il y a beaucoup de sagesse dans ce point particulier.
➜ - Vous trouverez aussi une certaine sagesse médicale : elle nous dit qu'il n'y a pas de maladies mais véritablement des malades. Des individus qui sont une partie intégrante d'un univers, univers qui a contribué aux déséquilibres, et qui fournira donc aussi les remèdes.
Je vous remercie de m'avoir écouté pendant ces 2 épisodes sur Sainte Hildegarde. Personnellement, ça m'a plongé dans tout un univers, j'ai trouvé ça super intéressant. Avant de faire mes recherches, je pensais connaître à peu près Hildegarde. Eh bien je peux vous dire que ce plongeon m'a donné beaucoup d'humilité sur le sujet.
En fait, je ne connais quasiment rien, j'avais juste gratté la surface. Sainte Hildegarde, c'est un univers qui nécessite peut-être toute une vie à déchiffrer. En présumant qu'il soit déchiffrable !
A très bientôt...
Sainte Hildegarde : références
Sabina Flanagan, Hildegard of Bingen : a visionary life, seconde édition. https://books.google.fr/books/about/Hildegard_of_Bingen_1098_1179.html?id=9AMOAAAAQAAJ&redir_esc=y
Audrey Fella, Hildegarde de Bingen. Corps et âme en Dieu. Points, 2015.
Sylvain Gouguenheim, La Sibylle du Rhin. Hildegarde de Bingen, abbesse et prophétesse rhénane, Publications de la Sorbonne, 1996
Les Causes et les Remèdes, trad. et prés. par Pierre Monat, Grenoble, Jérôme Millon, 1997 ; rééd. 2007
Régine Pernoud, Hildegarde de Bingen, conscience inspirée du XIIe siècle, Paris-Monaco, Éditions du Rocher, 1994 ; rééd. 1995.
Bain, J. (Ed.). (2021). The Cambridge Companion to Hildegard of Bingen (Cambridge Companions to Literature). Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/9781108573832
Moulinier, Laurence, 1999. Deux fragments inédits de Hildegarde de Bingen copiés par Gerhard von Hohenkirchen (†1448). Sudhoffs Archiv, Franz Steiner Verlag Wiesbaden. pp.224-238
Hildegard. (2002). Hildegard’s Healing Plants (B. W. Hozeski, Trans.). Beacon Press.
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Catherine dit
Un grand merci pour ce partage très fouillé et vivant qui me donne bien envie d'explorer ses écrits ! Maintenant je sais par quoi commencer. Merci!!
Juste une précision pour ceux qui voudraient expérimenter l'onguent ; comme il est fait référence à un ouvrage récent en anglais d'où pourrait provenir l'info, j'utiliserais plutôt du saindoux ("lard" en anglais) pour le concocter.
Karin Palazzolo dit
Bonjour et merci pour ces deux épisodes vraiment passionnants.
Je me suis demandé si Hildegarde ne s'était pas inspirée du Tacuinum Sanitatis. Taqwim as-sihha pour « table des matières de la santé » écrit par Ibn Butlan, médecin à Bagdad ayant également pratiqué à Alep et au Caire. Né à la fin du Xe siècle, il se convertit au christianisme et passa les dernières années de sa vie dans un couvent d’Antioche.
C'est en voyant la planche de la mandragore que j’ai reconnu le manuscrit du Tacuinum illustré de Vienne dont je possède un fac-similé.
Les Arabes utilisaient le système chaud-froid-sec-humide ancrée dans la tradition gréco-arabe qui remontait au système de Galien, sur 64 cases d’un échiquier représentant les différentes complexions.
Hildegarde ayant côtoyé les personnes les plus influentes de son époque… On sait que la rencontre des traditions gréco-arabe et chrétienne eut lieu essentiellement en Espagne, en Sicile et en Italie méridionale. À Tolède, Palerme Salerne et Montpellier furent rédigés les versions latines de nombreuses œuvres arabes.
Bien à vous et merci pour votre fabuleux travail.
SEDOLA florence dit
Merci beaucoup Christophe pour ces deux volets sur Hildegarde. Quelle femme incroyable car même si elle a été inspirée par le écrits d'Avicenne ou de Pline, et tous les ouvrages le sont plus ou moins, elle a mis son empreinte sur cet héritage avec une vision qui semble mélanger plusieurs approches de cultures différentes. Bien sûr l'utilisation des animaux dénués d'âme à des fins thérapeutique est choquant aujourd'hui surtout pour l'herboriste animalière que je suis mais nous ne faisons guère mieux avec les animaux de laboratoires. Par contre il me semblait qu'elle avait également mis en avant l'usage de préparations à base de bourgeons d'arbres et arbustes. Or, sauf erreur de ma part tu n'en fais pas état ? Est ce une information erronée? Encore mil mercis pour les cours à l'ELPM et tes vidéos. Belle continuation. Florence
sabine dit
bonjour Florence
C'est vrai. Voici ce que nous dit Valérie Catala : "Sainte Hildegarde connaissait les propriétés thérapeutiques de plusieurs bourgeons : cassis, bouleau, châtaignier, églantier, frêne, pommier, tilleul, peuplier".
huot dit
Un grand merci pour ce partage et du temps passé pour cela !
HERVE GOURIOU dit
Je n'ai pas cité AVICENNE dans mon précédent commentaire qui aurait pu influencer Hidegarde car d'après ce que j'ai pu lire, les livres écrits par Avicenne, d'origine Perse, étaient en Arabe classique. Donc, à moins que Hildegarde, ait pu trouver des transcriptions de l' Arabe en Latin faites par des moines ou qu'également elle ait su lire et écrire l'Arabe, personnellement, je ne pense pas qu'elle ait eu une influence du coté d'Avicenne...
HERVE GOURIOU dit
Bonjour Christophe,
Avant que vous ne l’évoquiez à un moment, les possibilités que Ste Hildegarde ait été influencée par des écrits Grecs ou Romains, j’avais dès les premières minutes de votre récit pensé effectivement à Pline ou à Avicenne, car, effectivement après l’éruption du Vésuve en l’an 79 et la mort de Pline l’Ancien à Pompéi, son fils adoptif Pline Le Jeune, qui avait sauvé des flammes les quelques 160 volumes de « Naturalis Historia », vint s’établir sur les bords du Lac de Côme en Italie du Nord, et qui se situe en droite ligne à 600 km de Bingen. Les écrits de cette gigantesque encyclopédie sont en Latin et sans vouloir minimiser ni réfuter les dons de Hildegarde, qui, je pense n’avait toutefois pas une science infuse universelle, mais qui maniait vous nous l’avez précisé, plusieurs langues dont le Latin, a possiblement, rencontré lors de ses nombreux voyages, que vous avez également évoqué dans la première partie de sa vie, des moines dont pour beaucoup étaient des écrivains qui passaient leurs existences à faire ce qu’on appelle de nos jours des copier/coller, dont des parties des livres de Pline, (tel que le livre XXV consacré entièrement aux plantes médicinales). Les mérites de Sainte Hildegarde sont toutefois immenses, voire gigantesques surtout pour tous ses travaux réalisés à cette période médiévale, et méritoires pour pratiquer et diffuser ses connaissances acquises en matières médicinales.
J’ai également remarqué beaucoup de similitudes et rapproché les récits de sa vie et de ses réalisations à ceux que l’on retrouve dans les vies du millier de Saints Bretons, venus d’Irlande, d’Ecosse ou du Pays de Galles en Bretagne Armoricaine, christianiser plusieurs siècles avant les années de Sainte Hildegarde, les peuples Celtes-Gaulois.
Je pense aussi, que les paroles de Mathieu l’évangéliste, rapportées dans la Bible, que lorsqu’on a la foi on peut renverser ou déplacer des montagnes, sont bien illustrées par les récits des vies, tant de Sainte Hildegarde que de ces Saints bretons… et, Vous même Christophe, qui, savez si bien nous communiquer le Feu Sacré qui brûle en vous, si vous aviez vécu en ces époques médiévales auriez peut-être été mis sur un bûcher ou... sur un piédestal !… et, sans hésitation j’opte plutôt pour cette dernière position, quoiqu’on puisse continuer à honorer une personne devant ses cendres comme devant une représentation minérale en beau granite, le tout est de continuer à diffuser les œuvres connues et admirées du vivant de ces mentors et personnes, qu’elles soient vénérées comme Saintes ou pas...
sabine dit
🙂
pascal27 dit
Merci Christophe pour ton passionnant partage sur les écrits de Hildegarde de Bingen. Tu es vraiment une belle personne, et nous avons besoin de passeurs comme toi. J'aime beaucoup cette phrase "il n'y a pas de maladies mais des gens malades" Quelle puissance dans ces quelques mots. Gratitudes
pascal
Marie-Eve dit
Bonjour, merci pour ces 2 articles. Vraiment très intéressant! Je connaissais Hildegarde un peu comme tout le monde via des articles et ouvrages qui survolent vite fait ses connaissances en herboristerie en mode "les 5 plantes d'Hildegarde". Je suis très contente de découvrir mieux sa vie, que je ne connaissais pas du tout, ainsi que sa vision holistique et spirituelle du soin. Quand on remet les choses dans leur contexte de l'époque ce devait être un sacré bout de femme.
Sandra dit
Merci
Maintenant j’ai bien envie de me réintéresser à l’oeuvre d’Hildegarde !
Peut-être certains éléments pourraient s’éclairer avec l’aide de la médecine chinoise, l’ayurveda ou la médecine tibétaine… mais cela a sûrement été déjà fait…
clara dit
Bonjour Christophe! C'est vraiment un super travail et une magnifique synthèse que vous nous offrez; Mille mercis!
Je pensais connaître Himdegarde, mais je découvre encore et encore, c'est passionnant, comme tout ce que vous faites. Par rapport aux sources d'Hildegarde, je me demande si elle connaissait le Canon d'Avicenne (X° siècle).
Si vous avez une idée là-dessus... Encore merci et grand bravo! ClaraM
sabine dit
bonjour Clara
voici la réponse de Christophe
Justement on ne sait pas. Le mystère subsiste. On voit bien qu'elle s'est inspirée de mouvements de pensés médicale qui datent de l'antiquité, mais on ne sait pas lesquels exactement. Il est possible qu'Avicenne ait été l'une des inspirations. Les monastères renfermaient tous ces écrits dans leurs bibliothèques massives, donc il est possible qu'Hildegarde ait eu accès à ce savoir.
Marie Alix LEPEU dit
Merci Christophe pour ce deuxième volet. pour élargir un peu, la musique d'Hildegarde a été testée dans différentes recherches scientifiques notamment avec le CNRS en collaboration avec l'université de Rennes 2 auprès de personnes dépendantes. je rebondis sur le premier post pour une petite correction dans un des commentaires sur les biscuits de la joie. le galanga est certes une épice phare d'Hildegarde mais n'appartient pas à la composition de cette recette en particulier : seuls la muscade, la cannelle et la girofle en fond partie Un grand merci de votre implication à partager la somme de vos recherches et expériences.
sabine dit
Bonjour Marie Alix
très intéressant la musique thérapeutique , pour les biscuits vous l'avez déjà fait remarqué 🙂