Interview d’Elisabeth Champon, centre de soins holistiques Vivre la Vie

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Christophe Bernard, AltheaProvence : Bonjour, je suis aujourd’hui avec Élisabeth Champon. Élisabeth a vingt ans d’expérience dans l’accompagnement thérapeutique, et elle a créé une association qui s’appelle « Vivre la vie », qui a existé de 2012 à 2017. C’est une association qui avait son propre centre, et qui a aidé des centaines de personnes qui souffrent de cancer et d’autres maladies chroniques dégénératives à découvrir le monde des soins complémentaires, depuis la naturopathie jusqu’aux massages bien-être, en passant par la réflexologie plantaire, etc. C’est un centre qui a vraiment beaucoup aidé les personnes à traverser ces moments difficiles.

On va parler de tout ça aujourd’hui, et on va parler avec Élisabeth de son expérience. Je pense qu’on a vraiment beaucoup à apprendre de tout ce qu’elle a vécu. Bonjour, Élisabeth.

Élisabeth Champon, Association « Vivre la vie » : Bonjour, Christophe.

Christophe : Ça va bien, aujourd’hui ?

Élisabeth : Ça va bien.

Christophe : Très bien. Je suis content que tu aies accepté mon invitation, parce que cela fait plusieurs années que j’y pense, figure-toi. Je pense à ce que tu as créé, à ce beau projet, et je voulais vraiment qu’on ait cette discussion. On est finalement arrivés à synchroniser nos calendriers…

J’aimerais qu’on commence avec un petit retour en arrière, si tu veux bien. L’association a commencé en 2012 ; si on remonte dans les années 2010, 2011, qu’est-ce qui se passe dans ta vie, et quels sont les épisodes qui t’ont amenée à créer cette association ?

Élisabeth : Merci, c’est un grand plaisir pour moi de pouvoir parler de ce projet, qui me tient à cœur, qui m’a tenu à cœur, et qui malheureusement s’est terminé faute de finances, parce que c’est compliqué de trouver des financements dans un statut associatif.

Alors, en 2010, j’ai eu un cancer. Je pourrais repartir plus loin pour expliquer les raisons qui ont amené cette pathologie, mais je ne crois pas que ce soit forcément nécessaire, alors on va réduire le champ. J’ai eu un cancer en 2010, et j’ai été très accompagnée par tous mes amis qui travaillaient, justement, dans tous ces secteurs dont tu as parlé tout à l’heure (naturopathie, massages bien-être,  réflexologie plantaire, etc.).

Forte de cette expérience, j’ai constaté qu’il était très important d’être soutenu, accompagné, et de sortir de l’isolement, parce qu’il est vrai que la maladie isole beaucoup. Et j’ai aussi rencontré le DMouysset, qui m’a suivie en chimiothérapie. J’ai pu visiter, faire des rencontres, et même travailler pendant six mois dans le centre-ressource à Aix-en-Provence, et je me suis dit : pourquoi ne pas faire quelque chose sur l’Isle-sur-Sorgue et sur le Vaucluse ?

Après, avec le DMouysset, on avait quelques différents, dans le sens où je ne voyais pas la nécessité de travailler uniquement avec des gens qui étaient touchés par le cancer, puisque je ne suis pas cancérologue, et que je trouvais qu’élargir, c’était aussi intéressant. Du coup, j’ai monté ce projet avec cette idée profonde que toutes les pathologies chroniques dégénératives nécessitaient un accompagnement semblable, parce que l’être humain qui est touché a besoin de la même chose, fondamentalement, c’est-à-dire de soutien, de lien… je pourrais même dire d’amour, parce qu’en fait on est très rejeté lorsqu’on a ces maladies-là.

Moi, quand j’ai été malade et que j’étais en chimiothérapie, il y a une personne qui m’a dit : « Je ne te fais pas la bise, parce qu’on ne sait jamais. » Alors cela peut paraître ridicule, mais le cancer panique tout le monde ; donc, quand vous avez un cancer, vous mobilisez forcément chez l’autre la possibilité que cela lui arrive aussi, et ça devient compliqué. Et je me suis dit : c’est fou ! C’est quelque chose que jamais je n’aurais imaginé. Il y a des pathologies où effectivement, on a peur de la contagion, mais enfin, le cancer… personne n’en a parlé, jamais !

Donc c’est vrai que c’était assez étonnant, et je me suis dit : on devient des parias, et il faut qu’on arrive à revenir à notre qualité d’humain, à retrouver de la dignité, et à se recentrer à l’intérieur de soi, parce que l’agression extérieure est très forte.

Christophe : Toi qui as traversé ce système d’oncologie pendant ta maladie, quelles sont les difficultés que tu as vécues ? Comment est-ce que tu vois la situation dans ces centres d’oncologie qui sont un peu dépassés par les événements ? Si on regarde les statistiques du cancer aujourd’hui, cela devient de plus en plus effrayant, on voit le système devenir complètement engorgé dans les décennies qui arrivent… Est-ce que toi, tu as ressenti ce malaise de système, dans ce que tu as traversé ?

Élisabeth : Il y a dix ans, je pense que c’était différent, déjà. La flambée est complètement folle sur ces dernières années ! Moi, j’ai été accompagnée par une super équipe à Aix-en-Provence – ils étaient tous vraiment super.

Après, le problème vient du fait que quand on fait une chimiothérapie, on est considéré comme une personne qui n’est qu’une maladie, parce qu’on se retrouve avec un aspect physique qui fait peur, qui est plein d’images négatives. On n’a plus de cheveux, on a une tête à faire peur, on ressemble à des poissons rouges, c’est terrible ! Et les gens ont une vision de la personne qui fait qu’elle est très cataloguée, alors qu’en fait ce n’est pas la maladie qui donne cet aspect-là : quand on est malade on n’a pas l’air spécialement malade, c’est tous les traitements qui entraînent ça. C’est ça qui était difficile dans ce parcours de chimiothérapie – plus que l’accompagnement et le lieu des traitements, où justement on était considérés comme des êtres humains, parce que là-bas ils ne voient que des malades, donc ils dépassent un peu ce truc-là. C’est dans la vie quotidienne que ça, ça n’existe pas. Et justement, on a besoin d’un endroit où on redevienne un être humain.

C’était un peu le projet de l’association, et c’était intéressant parce que les gens qui venaient à l’association l’ont souvent dit, ça : « Enfin, on peut être nous-mêmes, on est des êtres humains quand on vient là, on n’est plus uniquement une pathologie sur pattes. »

Christophe : On va revenir bien sûr à l’association, mais avant, tu nous as donné beaucoup d’informations en quelques minutes. Tu nous as parlé du centre-ressource à Aix-en-Provence et du DJean-Loup Mouysset, qui a fait beaucoup dans le monde de l’oncologie. Est-ce que tu pourrais nous parler un petit peu plus de ce centre à Aix-en-Provence, de comment il fonctionne, et du DMouysset, de comment il t’a aidé dans ton parcours ?

Élisabeth : Alors déjà, c’est quelqu’un qui est très humain et qui ne travaille pas avec des statistiques. Cela veut dire qu’à ses yeux, chacun est différent. Il a une écoute super intéressante de ce qu’on amène avec soi. On n’est pas tel ou tel pourcentage dans telle chimiothérapie, même si évidemment il y a des systèmes de traitement comme ça aussi par lui, parce que c’est malgré tout la réalité. Mais il est dans l’écoute de ce dont on a besoin.

À l’époque, le centre-ressource était minus, c’était trois pièces en dessous de la clinique, ce n’était pas du tout ce que c’est devenu aujourd’hui. Aujourd’hui, je ne pourrais pas en parler en étant au fait de ce qu’y s’y passe. Personnellement, j’ai assisté à la transition entre le petit appartement et le centre-ressource tel qu’il est maintenant à Aix-en-Provence – c’est-à-dire un endroit immense, 900m2 de surface, je crois…

Christophe : Ce qui nous dit que le besoin est énorme, et qu’il est bien présent.

Élisabeth : Tout à fait. Et puis il a fait des petits, je sais pas combien exactement de centres-ressources sont ouverts en France, mais il y en a quelques-uns, ça, j’en suis sûre.

Christophe : Quand tu as eu l’idée de ton association, de ton centre, tu en as parlé au DMouysset ?

Élisabeth : Oui, j’en ai parlé à Jean-Loup, et il m’a dit : « Venez travailler au centre-ressource, et comme ça, vous verrez comment ça marche. » Donc j’ai travaillé six mois au centre-ressource.

Christophe : Cela t’a aidé à affiner ton projet, ta vision, … ?

Élisabeth : Ça m’a aidée à affiner ma vision, et ça m’a permis de voir plus exactement ce que moi, je voulais mettre en place, les points où, sans forcément être en désaccord, je voulais ouvrir un peu, par rapport justement aux pathologies (ce dont on a parlé tout à l’heure). Et puis ça m’a montré aussi tous ces gens que je voyais là-bas et qui étaient très nettement améliorés dans leur quotidien par cet accompagnement. Donc j’ai fait un mix entre ce que je connaissais en tant qu’accompagnante depuis de nombreuses années, ce que je voyais au centre-ressource, ce que je vivais, moi, à l’intérieur de mon corps, et ce que j’imaginais  être un accompagnement cohérent.

Christophe : Au moment où tu as créé l’association, est-ce que tu avais terminé avec ton parcours, ta maladie ?

Élisabeth : Non, j’ai commencé quand j’étais en chimiothérapie à écrire et à poser les premières lignes du projet. Je pense que c’était important pour moi d’avoir un fil de maintien, d’avoir quelque chose qui me tirait en avant et qui me poussait aussi vers du positif, et aussi d’être dans l’action et de sortir de cet état ; parce que, quand on est en chimiothérapie, on devient un peu un légume… le cerveau marche toujours, mais le corps, c’est un peu plus compliqué ! Et pour rester dans la dynamique, ça m’a beaucoup aidée de travailler dans ce projet, qui m’a permis de sortir un peu des pensées négatives qu’on peut avoir quand on est dans des traitements lourds comme ça.

Christophe : Je pense qu’on va en parler tout à l’heure, de ce besoin pour le malade d’avoir un projet qui le tire de l’avant, qui faisait un petit peu partie de ce que tu as mis en place dans l’association.

Mais j’aimerais d’abord qu’on parle de la première fois qu’on s’est rencontrés : c’était en 2011, et je me souviens que tu m’as expliqué ta vision du projet. D’un côté, je me suis dit : c’est clairement quelque chose d’absolument fabuleux, si Élisabeth arrive à mettre ça en place. Et d’un autre côté, je me suis dit : mais c’est quasiment mission impossible qu’une personne arrive à porter un tel projet ! À cette époque-là, est-ce que tu savais les difficultés que tu allais rencontrer, où tu partais-tu un petit peu la fleur au fusil avec ton projet en te disant : je fonce ?

Élisabeth : C’était un peu tout ça ! C’est vrai que je crois qu’il fallait vraiment que j’aie la foi. Parce que, rétrospectivement, quand je vois le boulot que ça a été, quand je vois l’engagement, l’investissement que ça a demandé, je me dis : heureusement que je ne le savais pas, parce que ça aurait été difficile de tirer tout ça et de se dire : « Ouais, ça va marcher ! » Et puis, ce qui m’a beaucoup portée, c’était que c’était vraiment comme un appel, c’était une foi intérieure, qui me disait : « Mais si, ça va marcher, il faut y croire… » Et ensuite, la vie m’a permis des rencontres complètement stupéfiantes, et tout s’est enchaîné comme ça.

Alors, c’est moi qui pense un peu comme ça : je me dis que quand les choses sont justes, on a la pêche pour les faire, et que quand on a la pêche pour les faire, c’est comme s’il y avait un système énergétique qui permettait de rencontrer les bonnes personnes et de pouvoir monter les marches jusqu’à la réalisation du projet.

Donc, après, j’ai rencontré une jeune femme d’Avignon, Fatima, qui travaillait dans la bio, et qui m’a permis d’avoir un contact avec l’entreprise Bleu-Vert qui m’a loué un local. Au départ, elle ils nous l’ont loué pas cher, parce que comme on était une association, ils pouvaient défiscaliser… Et ensuite, tout s’est fait comme ça, avec une foultitude de « petits miracles » qui ont permis que les choses se concrétisent. Et c’était complètement incroyable !

Christophe : Je pense que de nombreuses personnes pourront être d’accord sur ce point : le jour où on trouve notre projet, il n’y a plus vraiment de doutes sur le chemin. Comme dit mon fils : « Il n’y a pas de place pour le plan B. Il y a un plan A, et c’est avec ça qu’on travaille. » Je pense que c’est ce ressenti-là que tu as eu, tu ne t’es pas donné le choix, tu n’as jamais pensé à l’échec, tu as juste démarré le projet…

Et quelle est la vision initiale du projet ? Qu’est-ce qu’on trouve dans les statuts de l’association en 2012 ? Quelles sont les grandes lignes quand tu as démarré ?

Élisabeth : Alors, quand j’ai déposé les statuts, l’objectif de l’association était « l’amélioration de la qualité de vie des personnes touchées par le cancer ou par une pathologie chronique dégénérative ». Et c’était vraiment l’idée : permettre aux personnes de travailler sur leur qualité de vie. Et pour moi, la qualité de vie, ça englobait beaucoup de choses : c’était d’abord la qualité de vie au quotidien (gestion du stress, alimentation, sport), et surtout, arriver à se reconnecter à soi. Ça, c’est quelque chose que j’ai eu beaucoup de mal à expliquer, peut-être que je n’ai pas complètement réussi… mais dans l’absolu, c’était arriver à ce que les gens puissent percevoir sensoriellement, physiquement, ce qui était bon pour eux et ce qui ne l’était pas. L’idée était de leur permettre de sortir du mental.

Quand on est malade, la maladie prend toute la place dans notre tête, alors que dans la réalité, c’est faux ! Je faisais un petit dessin quand je recevais les personnes à l’association : je faisais un cercle, et je leur demandais : « Alors, votre pathologie c’est quoi ? » Bon, c’était facile pour les pathologies cancéreuses, pour le reste c’était un peu plus compliqué. Alors, ils me disaient : « Bah voilà, j’ai une tumeur qui fait quatre centimètres (ou sept, ou huit, ou deux, enfin, peu importe). » Et dans le cercle, je dessinais un point, et je leur disais : « Donc voilà, à l’intérieur de vous, votre pathologie, elle correspond à ce point. » Et ça les étonnait toujours. Ils me disaient : « C’est si petit ? » Je répondais : « Bah, on peut le grossir un peu », parce que c’était un schéma, c’était complètement archaïque, mais je leur disais : « En fait, oui. Donc l’idée, c’est de travailler avec la médecine sur cette partie-là, mais après, avec tout le reste, on peut travailler sur la partie qui va bien, pour maintenir son état de force. »

Christophe : Vitalité, système immunitaire, tous ces outils qui sont absolument essentiels pour aider la personne à résoudre la maladie.

Élisabeth : L’idée, c’était de relativiser, en quelque sorte.

Christophe : Ca me fait penser à Viktor Frankl, qui, quand il sort des camps de concentration, explique qu’on a chacun nos misères ; et qu’une misère dans le corps c’est peut-être un petit point, mais qu’une misère dans la tête, c’est comme un gaz : ça prend tout l’espace que tu lui donnes. Et là, effectivement, quand on te délivre le diagnostic d’une telle maladie, qui tombe comme un couperet,  aujourd’hui, ça va prendre tout l’espace, toute notre vie. Notre vie va devenir le cancer. Et avec le centre, justement, l’objectif de toute l’équipe était d’aider la personne à ouvrir des portes et des fenêtres, de respirer un peu, et faire rentrer de nouvelles idées…

Élisabeth : Oui, c’est ça. C’est aussi d’arriver à ce que, physiquement, la personne puisse sentir que son corps n’est pas qu’un ennemi. Par toutes les techniques : la sophrologie, le massage, la réflexologie plantaire, et tout ça, il y a beaucoup de retour à la perception de soi. Ça permet de renouer avec soi. Parce que, quand on tombe malade, on a le réflexe de se dire : « Mais qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce qui se passe, mon corps me lâche, me trahit », et on n’arrive pas à regarder la partie de nous qui va bien. C’est envahissant, tout ça, c’est vraiment un système qui prend l’ensemble de l’être. Et redonner à la personne sa capacité de se voir comme un être humain, dont une certaine partie de lui va bien, c’était vraiment essentiel. Et puis, il y avait aussi le fait qu’à l’association, ils étaient regardés comme des gens normaux, c’est ce que je disais tout à l’heure.

Christophe : Je sais que la famille a souvent du mal à gérer ce type de maladie. En fonction de la génération à laquelle on appartient, on n’a pas forcément les outils psychologiques pour le faire, on ne sais pas forcément quoi dire, et finalement on va soit complètement éviter le sujet, soit parfois même complètement éviter la personne. Est-ce que tu as eu l’opportunité de t’entretenir parfois avec des membres de la famille des malades ?

Élisabeth : Dans les statuts de l’association, j’avais par la suite rajouté justement les proches, parce que c’était important de constater que la structure familiale était complètement détruite par ces nouvelles, par ces pathologies, et que les proches étaient une ressource intéressante et importante, et que c’était bien, aussi, de les prendre en compte.

On a donc eu des accompagnants qui se sont inscrits à l’association et qui ont, eux aussi, pu expérimenter ce qu’étaient un peu toutes ces pratiques. Et c’était bien, car c’était aussi important que les gens voient que c’était pas une secte, parce que ça aussi, c’était le piège. Toutes ces pratiques, il y a plein de gens qui pensent que c’est des sectes, que tout le monde va être embarqué dans un truc complètement dingue. Ça permettait aussi de redescendre un peu, quoi.

Christophe : On va parler de ta relation, plus tard, avec le corps médical, parce que c’est vraiment intéressant, la manière dont tu as géré tout ça.

Mais revenons à l’association : imaginons, je suis malade, et donc je vais devenir adhérent à l’association. Je paie une cotisation, qui m’ouvre les portes de « Vivre la vie ». Donc, je me rends au centre, et qu’est-ce que j’y trouve, qu’est-ce qui se passe, à quoi je peux avoir accès ?

Élisabeth : Alors déjà, pour devenir adhérent, il était nécessaire d’avoir un entretien avec moi. Dans cet entretien, j’expliquais comment ça allait fonctionner. Il y avait un charte, que les personnes qui voulaient adhérer devaient signer et s’engager à suivre. L’idée, c’était que à l’association les personnes venaient découvrir les pratiques. Donc elles payaient une adhésion pour, comme tu disais tout à l’heure très justement, ouvrir la porte et entrer à l’association, mais ensuite, toutes les pratiques qui étaient découvertes, c’était gratuit.

L’idée était que les liens entre l’accompagnant (parce que du coup, c’est plus intéressant de dire accompagnant) et le patient soient vraiment à plat, qu’il n’y ait pas quelqu’un qui sait et quelqu’un qui ne sait pas. C’était vraiment un échange.

Et le fait qu’il n’y ait pas d’argent (après, ça, c’est ma croyance, je ne sais pas si c’est forcément vrai) est important. Dans tout ce que j’ai pu voir, j’ai remarqué que quand on a un thérapeuthe, qu’on va voir quelqu’un pour nous soigner (car c’est ça qu’on attend quand on a ce genre de rendez-vous), eh bien, on paye, donc en retour, ça doit fonctionner, c’est comme ça. Alors c’est quelque chose que je pensais important d’expliquer : ce que je voulais, c’est que les personnes soient plus engagées personnellement, et que pour ça, elles ne puissent pas dire à la personne qui les avaient accompagnées : « Oui, moi, j’ai payé, et puis j’ai pas le retour que je veux, je suis pas guérie… » Je voulais que chacun prenne ses responsabilités, et que tout ça ne soit que de la découverte.

Christophe : Oui, d’autant plus que tout ce monde-là est très délicat, comme nous le savons, et que les termes « guérir » ou « soigner » ne sont absolument pas autorisés dans notre petit monde. Même avec le terme « thérapeuthe », on marche vraiment sur des œufs. Mais peut-être qu’il faut expliquer que ce que tu as mis en place, c’était vraiment particulier parce que c’était de la découverte. La personne n’allait pas avoir littéralement une séance, mais elle voulait découvrir ce qu’était la naturopathie, ce qu’était le massage bien-être, etc. Donc c’était un premier contact avec un praticien de santé, et si la personne, par la suite, était intéressée par cette approche, elle pouvait entrer en contact avec le praticien en dehors de l’association, pour engager un parcours avec cette personne. C’est bien ça ?

Élisabeth : C’est ça. Et c’était important, parce que toutes les personnes qui faisaient découvrir leur pratique étaient bénévoles. Donc il est clair que c’était impossible qu’elles aient trop de temps à dépenser à l’association, parce qu’elles avaient aussi leur activité, et comme tout le monde, besoin de pépètes à la fin du mois pour manger. Et ce qui était aussi très important dans la charte qui était signée par les adhérents, c’était qu’il était impératif qu’ils soient suivis médicalement. C’était une obligation : ils devaient faire signer un certificat médical à leur médecin pour attester du fait que quelqu’un du monde médical était au courant de leur pathologie.

Christophe : Donc, chaque médecin savait que la personne allait devenir adhérente de l’association. Au moins, la relation était très claire de ce point de vue.

Élisabeth : Oui, parce que c’est très compliqué de faire quelque chose dont on ne peut pas parler. Si une personne est suivie pour un cancer et que, quand elle va voir son cancérologue ou son médecin généraliste, elle ne peut pas dire qu’elle vient à l’association, c’est une cassure dans son système intérieur, et c’est à mon sens une mauvaise chose. Donc, faire signer ce certificat permettait de faire du lien, parce que le lien est un des premiers soins. Ça permettait aussi de légitimer l’association, et d’être regardé comme une association de support et de soutien, et pas comme quelque chose qui allait supplanter les traitements. Je demandais aussi aux praticiens (parce qu’eux aussi devaient signer une charte pour intervenir à l’association) de ne jamais parler d’autre chose que de « complémentarité » : on n’était en aucun cas de l’alternatif. C’était vraiment important : on était complémentaires.

Christophe : Je te tire mon chapeau pour avoir clarifié tout ça dès le départ, car c’est ce qui a fait que ça a démarré d’une manière assez saine. Restons un petit peu avec la relation avec les médecins : tu es allée toi-même rendre visite à certains médecins pour parler de l’association, et au fil du temps les médecins se sont mis à recommander l’association. Peux-tu nous parler un petit peu de tout ce qui s’est passé de ce côté-là ?

Élisabeth : Alors ça, c’était vraiment chouette, parce que ça faisait vraiment partie de mes angoisses : je me disais que j’allais me faire envoyer aux fraises avec mon idée bizarre… En fait, pas du tout ! Je me suis aperçue que le monde médical était très en demande. Comme tu disais tout à l’heure, les statistiques évoluent dans un sens un peu négatif et elles étaient moins pires, entre guillemets, il y a dix ans, mais c’était quand même déjà très très fort. Et le fait de leur apporter une ouverture, pour eux, c’était vraiment chouette et ils étaient tout à fait séduits Je pense aussi que le fait de bien expliquer que les personnes qui n’étaient pas suivies médicalement ne pouvaient pas adhérer à l’association a fait partie de ce qui a permis l’ouverture des portes. J’étais vraiment contente de ça.

Après, du coup, j’ai eu des demandes et je suis intervenue à des tables rondes dans les hôpitaux. J’étais complètement émerveillée, parce que j’étais assise à côté de professeurs reconnus, de grands pontes et tout ça, et ce que disais comptait, parce qu’ils trouvaient que ça marchait bien, qu’ils voyaient que leurs patients revenaient et qu’ils allaient mieux, et c’était vraiment chouette.

Christophe : Et tout à l’heure tu as employé le terme « complémentarité », je pense que ça a vraiment été du gagnant-gagnant, parce que cela ne déleste le système médical, c’est vraiment du complémentaire, comme tu dis. Mais quelque part, vu que le système médical n’a aujourd’hui pas le temps de rentrer dans toute cette partie holistique et d’aider la personne dans son parcours psychologique, le système médical était en fait tout à fait prêt à travailler avec des structures comme celle que tu avais mise en place.

Élisabeth : Oui, l’accueil a vraiment été toujours super positif, et c’était bien, y compris pour les patients. Parce que quand les patients parlaient de ce qu’ils faisaient à « Vivre la vie », leurs médecins, les spécialistes, leur disaient que c’était super, et les encourageaient. Et c’était important. Ça permet vraiment aux gens de sentir que l’accompagnement est là, dans tous les niveaux de la personne, et que personne ne se tire dans les pattes en disant : « ne faites pas ça ». C’était très important. Je pense que ça permet de maintenir son unité, sa cohérence intérieure, et ça, c’est une des clefs.

Christophe : Tous ces adhérents (il y en a eu plusieurs centaines), quel était leur état de connaissance de tous ces soins complémentaires ? Est-ce que tu avais vraiment des personnes qui ne connaissaient absolument rien à la naturopathie, à la réflexologie, qui ont vraiment découvert tous ces soins-là ? Ou est-ce que tu avais des gens qui connaissaient déjà tout ça ?

Élisabeth : Il y avait les deux, mais il y avait quand même beaucoup de personnes qui n’avaient jamais expérimenté quoi que ce soit, et qui n’avaient absolument aucune idée de ce que ça pouvait être. Et c’est chouette, parce qu’ils étaient un peu comme des gosses. Ils faisaient de la réflexologie plantaire, ils sortaient, et puis quand ils revenaient ils disaient : « Waouh, je ne dormais plus, et depuis que j’ai fait ça je suis mieux, je dors mieux, je suis moins stressé ! » Pareil pour le massage, pareil pour la naturopathie aussi… parce que quand on explique aux gens qu’il y a quand même des règles de bon sens pour être en bonne santé, ils sont preneurs et ils sont contents. Et ce n’est pas forcément des trucs complètement dingues, c’est vraiment….

Christophe : … sommeil, alimentation, gestion du stress…

Élisabeth : … voilà, des toutes petites choses simples qui semblent du bon sens, mais voilà, personne ne l’explique ! Personne ne sait ! On en parle très peu ! Ce n’est pas quelque chose qui fait partie de l’éducation que l’on reçoit. Donc, si on n’a pas la chance d’avoir des parents un peu attentifs à ça, eh bien on ne sait rien – alors qu’il y a plein de petits gestes et de petites choses qui permettent une grande amélioration, et que les gens découvraient avec un bonheur. C’était chouette de les voir, vraiment.

Christophe : Et donc, quand on entrait au centre, il y avait l’accueil, bien sûr, un endroit confortable où on pouvait s’assoir discuter, et on trouvait des salles où différents praticiens pouvaient recevoir les gens, c’est bien ça ?

Élisabeth : Oui, il y avait des petits boxes où les praticiens recevaient les adhérents, et puis il y avait aussi le salon où les gens pouvaient papoter. Et pour les ateliers de groupes, on avait aussi une grande salle. Et on était surtout dans un environnement magnifique, avec des extérieurs superbes.

À la fin, il y avait des adhérents qui avaient monté des petits groupes et qui venaient eux-mêmes passer un moment à l’association, alors ils prenaient la grande salle et ils faisaient des ateliers de peinture, par exemple… et ils faisaient ça entre eux. Et aussi, ils se retrouvaient là pour pique-niquer dehors quand il faisait beau, ça avait vraiment créé beaucoup de lien entre les personnes. C’était souvent des personnes qui auparavant étaient complètement isolées chez elles, qui ne voyaient plus personne. Donc après, ils ont fait aussi des activités à l’extérieur de l’association, il y a toujours d’ailleurs depuis une personne qui organise des marches tous les lundis, et il y a plein d’adhérents de l’association qui y vont encore. Et ça, c’est chouette, car c’est une régularité, c’est un soutien, et c’est beau, c’est vraiment tout un parcours d’amitié qui s’est créé .

Christophe : Je pense qu’il faut vraiment qu’on parle de cet aspect d’isolement quand on est malade. Il y avait des personnes qui venaient tout simplement pour s’assoir dans le petit salon et discuter, pour ne pas être seul…

Élisabeth : Oui. Parce que c’était des personnes qui étaient complètement seules chez elles.

Christophe : Et c’est un endroit où on pouvait baisser sa garde car on n’avait rien à prouver à personne, on n’avait pas à se justifier, à expliquer ce qu’on traversait… Tout le monde était dans la même situation. Tout le monde se comprenait, en fait.

Élisabeth : Oui, il y avait un bac avec des bouquins et les gens venaient là, et je me souviens que quelques fois j’en voyais en passant qui venaient avec leur petit plaid, s’installaient dans le canapé et  bouquinaient, et après ils faisaient la sieste… Donc il y avait des gens qui dormaient, là, au milieu, et c’était super ! C’était  un endroit très cocooning, très familial.

Christophe : J’aimerais qu’on parle de ce que tu appelais le « parcours d’éducation thérapeutique ». C’était un programme qui s’étalait sur quasiment neuf mois, le point de régularité de structure était vraiment très important pour ce programme-là. Explique-nous un petit peu ce qu’était ce programme et ce que tu avais en tête, quel en était l’objectif ?

Élisabeth : À la différence de la découverte, j’avais l’impression qu’il était important aussi de pouvoir permettre aux gens de vraiment apprendre. Apprendre les gestes, les réflexes, avoir des outils… C’était un programme qui s’étalait sur trente-quatre semaines, les personnes venaient une fois par semaine, toute une demi-journée, et ils faisaient plusieurs choses : il y avait de la nutrition, de l’hypnose, de la sophrologie, de l’art-thérapie… plusieurs ateliers qui permettaient de construire des outils et de travailler sur soi, avec l’aide d’un praticien. C’était un engagement : les gens s’engageaient à venir toutes les semaines. Ils payaient une somme, qui était assez dérisoire, mais il n’empêche qu’il y avait aussi un engagement financier ; et les praticiens étaient rémunérés. Et par conséquent, c’était tout à fait une optique différente.

Pour moi, c’était un peu comme aller à l’école. Ce n’était pas non plus quelque chose où on allait leur donner des trucs tout prêts, tout faits, avec un mode d’emploi : « Je fais ça et ensuite tout va bien ». C’était plutôt : je vais à l’école du bien-être, j’apprends ce que je peux faire au quotidien, comment  je peux gérer mes émotions, qu’est-ce que je vais pouvoir mettre en place pour fonctionner différemment, et je mets dans mon escarcelle de nouvelles manières de fonctionner au quotidien.

Les gens ont beaucoup apprécié la régularité, le fait de venir toutes les semaines, parce que ça leur donnait un objectif, un but, comme ce que tu disais tout à l’heure. C’est comme un fil que l’on tend et sur lequel on peut s’accrocher, et puis qui nous tracte vers le futur. Parce que la maladie, c’est un peu « no future », on ne sait pas comment ça va être demain. Donc déjà, là, ils partaient sur trente-quatre semaines… et c’était un vrai projet, qui a créé des liens très forts dans les groupes qui étaient là. Dans ces groupes, on démarrait ensemble et on terminait ensemble. On ne pouvait pas accueillir quelqu’un au milieu du parcours. Et on créait un lien fort entre ces personnes-là,  il y a vraiment des gens que ça a porté très fort vers un autre mode de fonctionnement. Il y a eu des guérisons, qui ne sont pas venues que de ça, mais qui ont été certainement soutenues dans leur processus de guérison. Cela a permis aux patients d’avoir une autre hygiène de vie, et cela positivait ce qu’il y avait à côté.

Christophe : Bien sûr ! Du coup, il y avait toute cette offre de différents soins complémentaires, mais tu as aussi créé cette ligne directrice, qui permettait aux gens d’avoir cette structure pour progresser aussi. Donc la combinaison des deux…

Élisabeth : Ça, c’était une formation, en fait.

Christophe : Je vais te poser une question très ouverte et très complexe, mais on va voir où ça nous mène… Quel est l’aspect émotionnel dans toutes ces maladies, et dans le processus de guérison ?

Élisabeth : Aujourd’hui, c’est à peu près reconnu par tout le monde que quand on a des chocs émotionnels très forts, on a une baisse de ses défenses immunitaires. La gestion des émotions, et la gestion du stress ont un impact énorme et évident sur notre état de santé. Il est donc très important de pouvoir gérer son stress. Cela ne veut pas dire qu’après, on n’a plus de stress,  je ne crois pas que ce soit possible – à moins de devenir un hermite méditant au fond d’une grotte, ce qui n’est pas donné à tout le monde… Simplement, arriver à gérer ses émotions et son stress, ça permet de faire face différemment. Et c’est important de constater que quand on appréhende les choses avec moins de stress, on a plus de force pour leur faire face. Gérer le stress, du coup, ça fait vraiment partie des priorités que l’on devrait avoir. Gérer le stress, ça veut dire gérer ses émotions, ça veut dire gérer son positionnement par rapport à tout ce qui nous entoure… et c’est vrai que la vie est difficile en ce moment, et qu’on est tous soumis à beaucoup de stress. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus avoir d’émotions : c’est important d’avoir des émotions, c’est ce qui nous maintient en vie, et c’est ce qui fait que la vie est belle, aussi. Mais il faut apprendre à ne plus en être complètement victime.

Christophe : Je vais te dire pourquoi je posais cette question : je me souviens avoir assisté à un événement du centre-ressource avec le Dr Mouysset, et avoir vu ces gens sur le podium parler des parcours qu’ils y ont eus, et du fait que de prendre le temps de s’observer de l’intérieur leur avait fait ressortir énormément de choses qui les avaient libérées. Beaucoup de gens pleuraient, c’était un moment très émotionnel, et je me demandais si tu avais pu assister pendant ces accompagnements-là à de petites révélations, comme on pourrait presque les appeler.

Élisabeth : Tous les gens qui ont suivi ces parcours, et même toutes les personnes qui ont été simples adhérentes de l’association, sans suivre ces parcours, ont tous eu ces « révélations ». C’était vraiment quelque chose de magnifique. Je discutais souvent avec des praticiens, parce que j’étais étonnée d’avoir autant de monde : il y avait quarante-trois praticiens bénévoles à l’association, et j’en ai refusé, parce qu’il y en avait qui me semblaient un peu trop « perchés » pour moi. Cela ne veut pas dire qu’ils étaient inefficaces, mais ça ne rentrait pas dans ma conception de la manière d’accompagner.

Et c’est vrai que je voyais les praticiens tellement émus des révélations qui pouvaient se faire sous leurs yeux par ces adhérents qui découvraient ces pratiques, et qui avaient l’impression d’un coup que quelque chose s’allumait pour eux. Ils comprenaient un système de fonctionnement dans lequel ils étaient enfermés, et ils voyaient des solutions pour en sortir. Et ils étaient tellement reconnaissants, c’était vraiment magnifique ! Et ça, ça a été un peu tout le temps.

Après, il y a eu aussi des décès, il y a des gens qui sont partis. C’était terrible pour tout le monde, parce qu’on était tous dans un vrai lien d’amitié, puisque justement l’idée c’était un peu d’aplanir un système qui aurait pu être hiérarchique.

Et j’ai eu aussi des appels des familles, pour revenir à ce qu’on disait un peu tout à l’heure – pas forcément des familles adhérentes, mais des enfants de personnes qui sont décédées, et qui m’ont dit : « On n’a jamais vu notre mère aussi heureuse que pendant cette dernière année de sa vie où elle a été suivie à l’association ». C’est Touchant ! On aurait préféré qu’elle reste vivante, mais en attendant, le parcours qu’elle a fait pour ce passage a été beaucoup plus serein que si elle était restée toute seule chez elle. C’était une femme qui était complètement seule, qui était fâchée avec ses enfants, et qui a reconstruit le lien pendant ce passage à l’association. Et ça, c’était super.

Christophe : De belles histoires…

On va changer un peu de sujet : on va parler du financement, j’ai même envie de dire la galère du financement, de ce type d’association… Comment est-ce qu’on arrive à financer une association comme celle-ci ? Est-ce que la souscription des adhérents peut la financer, ou est-ce qu’il faut aller chercher des fonds ailleurs ?

Élisabeth : Non, les adhérents ne peuvent pas financer l’association ; c’était un choix de ma part que l’adhésion soit accessible à tous. J’avais trouvé difficile de faire une adhésion en fonction des revenus, parce que je savais par expérience que quand on est malade, on n’a plus les mêmes revenus. J’étais donc restée sur la même adhésion pour tout le monde, mais du coup il fallait vraiment aller chercher de l’argent.

C’est un point sur lequel je n’avais pas d’expérience, dans le système associatif, donc je ne savais pas complètement comment faire. J’ai réussi à avoir des dons par des entreprises soutenantes, mais au bout d’un moment ce n’était plus assez. L’association a beaucoup grandi, et le projet était d’avoir d’autres antennes sur la France. J’ai alors délégué toute la partie financière, parce que je ne pouvais pas faire face à l’ensemble de la charge que ça faisait.

Je crois bien que les ressorts n’ont pas été trouvés et actionnés, car malgré tout je vois que le centre-ressource d’Aix-en-Provence fonctionne avec des budgets énormes. Certes, Jean-Loup a plus de « ficelles », de liens et de reconnaissance que ce que, moi, je peux avoir ; et c’est tant mieux, car c’est super que le centre-ressource puisse perdurer. Mais c’est vraiment un point qui est très compliqué.

Christophe : Ça a été le point faible qui a mené à la fin de cette belle histoire.

Élisabeth : Malheureusement, c’est ça qui a fait que ça n’a pas pu durer. Bon, ça a duré cinq ans et on a suivi plus de quatre cent personnes ! Mais c’est vrai que c’est dommage.

Christophe : En rétrospective, pour ceux qui nous regardent et qui pourraient avoir des projets similaires, est-ce que tu dirais que la gestion des financements est le point à planifier dès le départ ?

Élisabeth : Il faut mener ça en parallèle. Surtout, je crois qu’il faut aller chercher des professionnels. Il y a des professionnels qui sont indispensables, et il y a des personnes dont le métier est de lever des fonds. Et ça, c’est quelque chose qu’il aurait fallu mener plus en parallèle, plus fortement.

Christophe : À un moment, tu as envisagé la création de nouveaux sites dans d’autres villes, dans d’autres endroits. Ou plutôt, ça s’est fait tout seul, si je me rappelle bien : des personnes sont venues te trouver  en disant : « Est ce que nous, on peut faire la même chose » ? Et donc, tu avais créé une sorte de kit de démarrage pour ces autres centres… ?

Élisabeth : J’ai vu la naissance de nouveaux centres, et puis c’est à ce moment-là que la situation financière était difficile… Il y a un centre qui a perduré sur Arles, et les autres centres n’ont pas ouvert. Après, ce que je souhaitais, c’est faire un kit pour que les gens puissent se servir de ce tout ce que j’avais mis en place, et l’appliquer dans une structure. C’était parti pour devenir comme ça… Et ensuite, il y a eu cette difficulté financière qui a fait que ce projet n’a pas pu être suivi, et que du coup les projets n’ont pas éclos (à part celui d’Arles qui fonctionne toujours).

Christophe : Je vais te poser une question dont je connais la réponse, pour jouer un peu à l’avocat du diable : lorsque tu as un adhérent qui souffre d’une maladie grave et qui décède, est-ce que ce n’est pas un constat d’échec pour ce type d’association ?

Élisabeth : Non, c’est obligatoire : on n’était pas un lieu où tu entres et d’un coup, pof, tu reçois la lumière et tu es guéri ! C’était donc évident qu’il allait y avoir des gens qui partiraient. L’objectif était de permettre à la personne d’être le plus en harmonie avec elle-même possible, pour faire ce chemin-là. Mais si je regarde les statistiques qu’on a pu avoir, au milieu des statistiques qui sont aujourd’hui classiques, je pense qu’on n’était pas mal, on avait beaucoup de gens qui tenaient le coup. Oui, il y en a qui sont partis, et toujours trop. Et ça fait mal, parce que je les connaissais bien et qu’on était vraiment dans une relation forte au niveau affectif.

Christophe : Et bien sûr, je suis tout à fait d’accord avec toi sur ce point-là.

Élisabeth : Je ne veux pas dire que l’important n’est pas là. Seulement, dans l’accompagnement qui était proposé à l’association, on essayait de vivre l’instant présent, et de le vivre au mieux. Après, on fait tous comme on peut.

L’autre jour, je discutais avec une personne qui me parlait du choix qu’on fait de telle ou telle pratique, de tel ou tel soin, de tel ou tel médecin. Je lui disais que je crois qu’il n’y a pas un bon choix, il y a juste le choix qui nous convient le mieux, à chacun d’entre nous. Et c’est déjà super difficile de le trouver – de se dire : « Bon, alors, qu’est-ce que je vais pouvoir choisir dans mon processus de guérison ? Qu’est-ce que je peux assumer dans le choix que je vais faire ? » Et ça, c’est super important : il y a plein de gens qui font des choix qu’ils ne peuvent pas assumer, et ça ne porte pas vers la guérison, je pense. Et ensuite, il faut essayer aussi de dire aux gens qu’on ne se trompe jamais. On fait ce qu’on peut, dans des systèmes de fonctionnement qui sont tellement angoissants que c’est cornélien…

Christophe : J’aimerais rebondir sur cette idée-là, car on me pose souvent la question : « Est-ce que je devrais essayer tel soin, tel accompagnement ? Est-ce que je devrais faire telle analyse avec mon médecin ? Est-ce que je devrais faire x, y ou z ? » Et ma réponse a toujours été : « Il faut tout tenter, il faut tout essayer. Tout ce qui nous donne le plus d’informations sur notre situation de santé, ou même sur nous-même, ne peut être que positif. Donc, il faut tester, il faut ouvrir ses portes. Même si ça n’aboutit pas, j’aurai appris beaucoup plus de choses sur moi et sur ma situation, ne serait-ce que le fait que, peut-être, je ne réponds pas à tel type de soin, et donc je vais essayer autre chose. » Donc je suis d’accord avec toi : il ne peut pas y avoir d’échec tant qu’on ne baisse pas les bras et qu’on ne cesse pas de rechercher….

Élisabeth : Je trouve que ce qui est vraiment important, et qui faisait partie du moteur pour moi à l’association, et c’est quelque chose qui est très difficile à faire, c’est d’arriver à percevoir intérieurement ce qui est juste pour soi. C’est-à-dire ne pas être dans son mental, essayer de se poser, et de se dire : « Bon, alors, si je fais ce choix-là, qu’est-ce qui se passe dans mon corps – et pas dans m            a tête ? » Essayer d’écouter la vibration de ses petites cellules et de se dire, alors, comment est-ce que je suis avec ça, fondamentalement, physiquement, intérieurement ? Et en général, notre corps a cette manière de nous signifier qu’aujourd’hui (peut-être que demain ce sera autre chose), ce qui pourrait être bien et lui faire du bien, c’est tel comportement, tel produit…. Il s’agit d’être plus à l’écoute et d’essayer de sortir du mental, parce qu’on est dans la panique, donc le mental nous perd.

Christophe : Souvent aussi, ce n’est même pas notre mental, c’est la pression de nos proches, de nos parents, de la famille, qui nous dit : « Tu devrais faire ci, tu devrais faire ça… » Mais il y a un seul chef d’orchestre : nous seuls savons si quelque chose nous fait du bien ou pas. Et il faut vraiment être à l’écoute pour faire cette exploration. Sinon, c’est uniquement du bruit que l’on reçoit de nos proches et de la société, qui nous dictent ce qu’il faut faire ou ce qu’il ne faut pas faire, et ça ne nous correspond peut-être pas.

Élisabeth : Déjà, l’impact de l’annonce d’une pathologie est tellement fort que ça décale complètement l’intérieur de chacun. Et l’idée de l’association est vraiment d’essayer de re-rentrer à l’intérieur de soi et de se dire : « Bon, ok, je suis une personne, je ne suis pas une maladie, je peux encore percevoir les choses et être un peu aligné avec moi-même, pour savoir ce que j’ai besoin de recevoir pour être en bonne santé, et pour aller mieux. » Et ça, c’est vrai que c’est complètement difficile, parce qu’on est bombardés de tous les côtés. Et puis, on se dit : « Si je ne fais pas ce qu’il me dit, parce que lui c’est quand même un grand professeur, eh bien ça ne va pas aller, parce qu’il sait mieux que moi… » Alors, évidemment, il y a des choses que le professeur va mieux savoir – mais il y a d’autres choses que la personne saura toujours mieux que quiconque, parce que c’est elle qui va vivre les choses.

Christophe : Les trois conseils, basés sur ton expérience, que tu aurais pour ceux qui souffrent de maladies chroniques dégénératives aujourd’hui ?

Élisabeth : Moi, je reste toujours convaincue qu’il faut essayer de retourner vers le bon sens, et que le bon sens, c’est avant tout : gestion des émotions, alimentation, et activité physique.

Christophe : Ce que nous disait Hippocrate il y a quelques années déjà…

Élisabeth : C’est un peu vieux comme le monde, mais on s’en éloigne beaucoup, parce qu’on vit dans un monde qui va à deux mille à l’heure. On a moins de temps, parfois même plus de temps, pour se remettre dans quelque chose de juste simple.

Christophe : Il y a ça, et il y a un effet pervers aussi, je trouve. Parce qu’il y a des choses qu’on nous a tellement répétées que ça devient un bruit de fond qu’on ignore et qui nous passe complètement au-dessus de la tête Je prends l’exemple de la gestion du stress : tout le monde va te dire : « Oui, bien sûr, il faut gérer le stress ; bien sûr, c’est néfaste pour la santé ; bien sûr, les études ont montré que ça crée une immunodéficience, etc. » Mais, en fait, on vit tous dans notre stress, et il n’y a pas beaucoup de gens qui prennent vraiment le temps d’aller décortiquer la situation. C’est un effet pervers : d’un côté, il y a des choses dont on ne parle pas du tout ou pas assez, et d’un autre côté, les choses dont on parle presque trop, mais sans entrer dans leur substantifique moëlle, et sans expliquer aux gens ce que ça veut dire exactement.

Élisabeth : Il y a aussi une chose important : quand j’ai présenté ces trois axes et tout ça, les gens me disent : « Mais moi, je n’y arrive pas ! » Franchement, il n’y a rien de grave, parce que c’est évident qu’on n’y arrive pas, sinon tout le monde serait zen et tout irait bien ! Mais on peut se mettre en chemin pour le faire, et quand on se met en chemin, c’est déjà gagné !

Ce que je disais aussi souvent à l’association, c’est qu’on n’est pas là pour faire des pas de géant, parce que c’est impossible à faire. Si on se met une pression comme ça, on ne fait plus rien, parce qu’on se dit que de toute façon, c’est impossible. Alors, je leur disais : « Faites des petits pas, faites des mini-pas de fourmis, et le tout petit pas que vous faites, même si ça fait un demi-millimètre, c’est déjà ça qui est gagné chaque jour. »

Ce n’est vraiment pas se dire : « Il faut que je change tout dans ma vie : je mange mal, je ne gère pas mes émotions, je ne marche pas, je ne fais pas d’activité sportive, et tout ça. » Et c’est pareil : l’activité sportive, ça peut être d’abord de faire le tour de son quartier, ou même le tour de son jardin. Si on ne le faisait jamais, c’est déjà un premier pas, et c’est déjà gagné ! C’est se mettre en route… C’est comme si moi, je voulais gravir l’Himalaya. Je me dirais : « Non, ce n’est pas possible », et je resterais dans mon fauteuil.

Christophe : Et là, l’avantage d’avoir un coach, une structure qui te suit, c’est que ça crée une certaine pression sociale : la prochaine fois que je vais aller boire un café à l’association, on va me demander si, effectivement, je me suis mis à marcher autour du pâté de maison. C’est ce concept de coaching dont beaucoup de gens ont besoin aujourd’hui : être accompagné, parce que sinon, on repousse toujours à l’infini, et on ne s’y met jamais. C’est l’intérêt d’avoir un groupe de personnes qui fassent la même chose que toi, qui soient avec toi, qui t’encouragent à le faire. On peut même se lancer des petits défis en se disant : « Bon, allez, on est trois ou quatre, on n’a jamais marché… eh bien, ce week-end, on va essayer de marcher un kilomètre sur du plat, pour voir ce que ça donne. » C’est un effet de groupe, mais c’est un effet qui est très positif.

Élisabeth : Bien sûr, et c’est ça l’intérêt du groupe, justement. Je crois vraiment que ça n’arrivait pas que quelqu’un arrive en disant : « Je n’ai pas fait ça », et qu’on lui dise : « Mais tu es nul ! » Quand les gens arrivaient et disaient : « Je n’ai pas fait ça », l’idée, c’était plutôt de dire : « Ce n’est pas grave, tu essaieras demain. » Il n’y a pas de pression !

Christophe : Des conseils pour ceux qui voudraient monter une telle association ?

Élisabeth : Il faut avoir la foi, parce que quand on croit en ce qu’on fait, il y a quelque chose qui se déclenche, et ça permet de construire des choses magnifiques. Et puis, il reste le fait que le nerf de la guerre, aujourd’hui, malheureusement, c’est quand même l’argent. Il faut avoir ça à l’esprit et s’entourer de professionnels.

Christophe : Il faut aussi des règles très claires, très ouvertes, avec un contact avec tout ce qui est professions médicales, bien sûr, pour que tout le monde sache exactement qui fait quoi ; des chartes éthiques, bien sûr, du point de vue de l’engagement des praticiens et aussi de leur manière de travailler. Tout ça fait déjà une bonne petite fondation pour démarrer une belle association comme ce que tu as fait !

J’espère, Élisabeth, qu’avec toute cette expérience, tu pourras en faire profiter d’autres structures qui vont se monter. On va mettre tes informations de contact dans la transcription de cet épisode sur mon site internet (voir ci-dessous), si des gens veulent te contacter, s’ils ont des questions pour monter une telle association.

En tout cas, je voulais te dire un grand merci d’avoir partagé tout ça avec nous aujourd’hui. J’espère que ça va être une grande source d’inspiration pour ceux qui nous écoutent. Et je ne souhaite qu’une chose, c’est que des centaines, des milliers même, de centres comme ce que tu as fait se créent  partout dans notre pays.

Élisabeth : Merci beaucoup à toi, Christophe. Pour moi, c’était une belle opportunité de partager, et j’espère effectivement que beaucoup de personnes pourront être accompagnées, et créer comme ça beaucoup de joie, de partage et de soutien.

Christophe : Il n’y a plus qu’à ! On croise les doigts !

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6 réponses

  1. Merci, merci pour tout ça ! J’ai justement, à moyen terme, un projet comme celui-ci en Aquitaine ! …

  2. Bonjour et merci Christophe et Elisabeth pour cette rencontre et ce témoignage poignant de vérité et de bon sens. Nous venons d’accompagner ma maman en fin de vie chez elle, ce n’est pas facile et on n’a pas les bons gestes et paroles pour être réellement accompagnant, c’est aussi un apprentissage. Votre témoignage Elisabeth nous apporte des réponses à ce que nous avons vécu, accompagner c’est échanger avec d’autres, partager idées et point de vue dans un esprit constructif pour apaiser, réintégrer les autres. Néanmoins le fait d’avoir accompagné notre maman; après son départ nous a permis de vivre son départ avec une perception différente de notre vie au présent…
    Gratitude à vous
    pascal

  3. Bonjour et merci à tous les deux pour ce bon moment de bon sens et de bienveillance. C’est le chemin que je suis tous les jours depuis des années. Je deviens chaque jour une meilleure version de moi-même parce que j’apprends à me connaître j’apprends à être bienveillante avec moi j’apprends écouter mon intuition j’apprends à m’aimer, j’apprends différente thérapie au fur et à mesure que je progresse toi il y a celles que je pratique tous les jours la méditation, l’EFT, l’alimentation, la gymnastique, mettre le nez dehors et avoir du lien social avec mon mari et mes enfants, des amis, sans oublier de jouer et rire.. À 59 ans, malgré mes blessures physiques et le fait de voir me stopper pour me reposer pour me guérir je me sens plus légère plus heureuse plus joyeuse au fur et à mesure du temps un grand merci pour ce beau partage bien à vous Florence

  4. Merci de cette interview qui confirme mon ressenti depuis 2009; l’amour sous toute ses formes est capable d’aider les personnes atteintes de C. (quoique pas de grand C!!!) et de maladies dégénératives. Je suis à nouveau atteinte et stomisée de cette maladie après un 1er du visage (8 mois sans me regarder), seul le regard de mon mari m’a aidé après les annonces de quelques semaines de vie. Malgré un parcours toujours difficile (opérée il y a un mois) je suis heureuse presque à plein temps. J’aimerai malgré tout qu’une structure de chambre à prix modique puissent être disponible pour les patients en radiothérapie chaque jours et habitants loin de ces machines fantastiques, les a/r en ambulances accentuent le mal être par leurs timings invraisemblables et pas adaptés aux malades. PS je suis de profession médicale en retraite. Merci bonne semaine et autres… Joelle

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