Comprendre les études : interventionnelles (partie 2) : (abonnez-vous au podcast ici)
Etudes interventionnelles : deuxième partie de notre discussion sur les différents types d’études scientifiques, et donc petit mode d’emploi pour l’herboriste qui aimerait comprendre comment on structure la recherche. Je vous redonne le contexte. Au fil de ma pratique, j’ai été amené à beaucoup… farfouiller dans les bases de données d’études scientifiques pour tout ce qui a attrait aux plantes médicinales. Savoir lire ces études, c’est une compétence importante. Mais c’est pas un travail facile. J’ai donc décidé de vous expliquer, dans mes propres termes, pourquoi on a différents types d’études, à quoi elles servent, leurs avantages et limitations.
Je vous ai présenté une pyramide des études, qui positionne les études observationnelles en bas, les études interventionnelles au milieu, et les revues méta-analyses tout en haut, le tout classé par niveau de preuve croissant. J’ai défini ces deux termes « observationnel » et « interventionnel ». Donc tout ça, on l’a fait en partie 1, voir premier épisode si vous ne l’avez pas encore regardé.
Dans cet épisode, on continue notre exploration de la pyramide.
Niveau 4 – études expérimentales/interventionnelles
On va donc monter au niveau 4, et à cet étage, on parle d’études expérimentales ou interventionnelles. Expérimentales, car on va mettre en place une expérience en laboratoire. Interventionnelle, car on va intervenir dans la vie des gens, on ne va pas juste observer, il y aura contact entre une équipe organisatrice et des individus sélectionnés pour l’étude.
Par exemple, on fait prendre à un groupe un extrait de feuille d’olivier pendant une période donnée, que remarquerait-on sur les taux de cholestérols sanguins ?
Si l’étude est bien faite, on va pouvoir prouver qu’une hypothèse est vraie avec un niveau de confiance statistique. C’est donc une preuve statistique et pas une preuve absolue. Une expression que vous entendrez très souvent, c’est que « les résultats sont statistiquement significatifs ». Quasiment tous les résultats d’études vont mentionner ce point. Mais ça veut dire quoi, exactement, le fait qu’un résultat soit « statistiquement significatif » ?
Un peu de statistiques…
Et là, désolé les amis, mais on va devoir se manger un peu de statistiques. Ceux qui sont allergiques aux maths, bouchez-vous les oreilles. En revanche, c’est incontournable.
Tout démarre d’une hypothèse, est-ce que vous vous souvenez ? On en a parlé lors du premier épisode. Et je dirais plus précisément, de ce qu’on appelle « l’hypothèse nulle« . Pour arriver à l’hypothèse nulle, il faut partir de l’hypothèse qu’on aimerait démontrer, par exemple : « la reine-des-prés, prise pendant 4 semaines sous la forme d’un extrait liquide, réduit la douleur associée à l’arthrose du genou ».
Eh bien, on va démarrer de la position dans laquelle il n’y a aucune relation entre prise de reine-des-prés et ce type de douleur. Ça, c’est l’hypothèse nulle. On ne va pas supposer qu’il y a une relation ici, on va supposer qu’il n’y en n’a pas. C’est un peu comme la présomption d’innocence, ici on doit partir de la présomption qu’un lien n’existe pas. Vous comprenez la philosophie ?
Et en fait, on va essayer de rejeter cette hypothèse nulle d’une manière statistique. Et pour faire ceci, on va utiliser un calcul statistique qui s’appelle la « valeur-p« . Et les chercheurs vont vous donner la valeur-p lorsqu’ils vous disent « statistiquement significatif », pour prouver leur point.
Une valeur-p de 0 voudrait dire que l’hypothèse nulle est impossible. Une valeur-p de 1 voudrait dire que l’hypothèse nulle est certaine. Ces deux valeurs-là sont nos extrêmes, et en pratique, on n’a jamais de certitudes sur quoi que ce soit. Donc on va avoir des valeurs situées entre 0 et 1.
Cette valeur-p, c’est la probabilité que l’effet observé n’est pas dû à l’intervention, mais qu’elle est aléatoire. Si on a une valeur-p très faible, comme 0,0001 par exemple, ça veut dire que la probabilité est très très faible que les résultats soient dus à la chance. Donc la probabilité que les résultats soient dus à l’intervention est très élevée. Je sais pas si vous arrivez à comprendre la philosophie de travail ici.
Dans les études médicales, un résultat est considéré comme statistiquement significatif si la valeur-p est inférieure à 5%, c’est-à-dire p < 0,05. D’ailleurs, pour ceux qui se rappellent un peu des cours de statistique, ça veut dire que l’intervalle de confiance est de 95%. Si la valeur-p est égale à 0,02 par exemple, on est bon, c’est inférieur à 0,05. Si la valeur-p est égale à 0,07, là, ce n’est pas significatif. Plus la valeur est petite, plus c’est significatif. Donc on veut voir une valeur la plus faible possible, idéalement.
Sinon, les résultats ne seront pas statistiquement significatifs, et l’hypothèse nulle devra être acceptée. Notre hypothèse ne tient pas la route.
Parfois dans l’étude, vous allez voir apparaitre l’intervalle de confiance. Par exemple, on va vous dire que (et là, j’invente), grâce à une plante prise pendant une certaine durée, le score de douleur a diminué de 1,17. Mais l’information complète, c’est 1,17 avec, entre parenthèse, l’intervalle de confiance à 95%, c’est-à-dire des valeurs situées entre 1,05 et 1,31. C’est une autre manière de vous donner l’information dans ces études.
Bon, ça peut paraitre un peu compliqué, mais retenez ceci. Dans les études, on ne peut valider une hypothèse que d’une manière statistique, et on veut une valeur-p inférieure à 0,05 pour prouver que les résultats sont statistiquement significatifs. Et on doit vous donner ces valeurs dans l’étude. Au plus la valeur-p est faible, au moins les résultats mesurés sont dus à des phénomènes aléatoires, donc au plus ce qu’on a observé est dû à l’intervention. Donc un lien de causalité. Mais attention, ça ne veut pas dire que c’est significatif d’un point de vue clinique, et ça on y reviendra.
Je vous rappelle aussi ce que je vous ai dit dans la partie 1. Tout peut être manipulé. Ici, vous pouvez avoir des génies des tableurs Excel et des maîtres des statistiques qui peuvent vous faire apparaitre des résultats dans des sous-groupes de données bien sélectionnés. Comme expliqué, je décide de mettre les manipulations de côté dans cette discussion sinon ça vient tout nous polluer.
Étude contrôlée
Bon, on va laisser les statistiques derrière nous, et on va revenir à la structuration de notre étude interventionnelle. Dans ce type d’étude, pour bien faire les choses, il vous faut en général 2 groupes d’individus. Le premier groupe subira l’intervention, et l’autre groupe subira soit un placebo, soit un autre type de contrôle pour avoir un point de comparaison.
Pour pouvoir montrer une efficacité de telle ou telle intervention, il faut pouvoir comparer à un groupe qu’on appelle « groupe contrôle » ou « groupe témoin ». Donc là, on vient juste de définir ce qu’est une « étude contrôlée ». Vous vous souvenez des biais que j’avais présentés dans la partie 1 pour les études observationnelles ? Eh bien là, grâce au groupe contrôle, on va pouvoir enlever ces facteurs de confusion. Car ils seront les mêmes dans les 2 groupes.
Pour la petite histoire, l’une des premières études contrôlées a été faite sur des personnes soufrant de tuberculose. On voulait tester l’efficacité d’un antibiotique, la streptomycine. Mais voilà, on savait qu’une partie des tuberculeux guérissaient naturellement, sans aucune intervention. Mais on ne voulait pas attribuer ces guérisons naturelles à l’antibiotique bien évidemment, cela aurait biaisé les résultats en faveur de la streptomycine. Grâce à la réflexion de certains statisticiens, on a décidé de faire 2 groupes, un groupe prenant la streptomycine, un groupe ne prenant rien. Et au fil du temps, on a pu comparer la mortalité entre les deux groupes et voir l’amélioration relative que la molécule apporte. Ainsi naissait l’étude contrôlée. Vous voyez l’avantage ?
Si on veut calculer les résultats absolus d’une intervention, on teste contre placebo. Si on veut calculer les résultats relatifs par rapport à un traitement de référence, alors le groupe contrôle prendra le traitement considéré comme de référence, et on verra si l’intervention est plus efficace que le standard. Par exemple, comparer une nouvelle molécule a une molécule existante considérée comme le standard du moment.
4a – Étude expérimentale non-randomisée
Mais attendez, comment allez-vous choisir les personnes pour chaque groupe ? Comment le faire d’une manière totalement objective, sans être soumis à certains biais ? Car l’humain sera toujours, consciemment ou inconsciemment, biaisé de différentes manières lorsqu’il va faire son choix, lorsqu’il va dire « cette personne va dans le groupe témoin » et « cette personne va dans le groupe intervention ».
On a donc ce qu’on appelle des « biais de sélection », et on peut avoir un biais de volontariat aussi, lorsqu’on fait appel à des volontaires. Par exemple, une étude de 1974 démontre que les fumeurs répondaient moins aux questionnaires envoyés par la poste que les non fumeurs. Si on avait fait une étude qui implique des questionnaires envoyés par la poste à un échantillon de personnes, on aurait eu, sans le savoir, une sous-représentation des fumeurs. Biais de volontariat (1).
Dans les études interventionnelles, on a deux types de designs possibles : l’étude non-randomisée, et l’étude randomisée.
Dans une étude non-randomisée, c’est l’humain qui décide qui va dans quel groupe.
Il y a, en général, une raison pour ce choix. Par exemple, on veut peut-être étudier l’efficacité d’un certain antibiotique pour un type de personne et un type d’infection. Il faut bien faire un choix ici, telle personne semble présenter les bons symptômes, donc le médecin responsable va choisir d’inclure cette personne dans le groupe expérimental.
Mais du coup, ça introduit un biais, c’est comme ça. Et c’est pour cette raison que ce type d’étude comporte des limitations, et ne sera pas considérée comme fiable aujourd’hui.
4b – Étude expérimentale randomisée
Dans l’étude randomisée, on sélectionne d’une manière aléatoire, le terme « randomisé » est un anglicisme. On utilise des outils informatiques pour faire ce travail. Et on enlève donc tout biais de sélection de la procédure. On fait un tirage au sort. On s’assure donc que le groupe intervention et le groupe contrôle sont plus ou moins similaires d’un point de vue santé, données socio-économiques, etc.
Vous vous souvenez au premier épisode, on parlé de toute une liste de biais qu’on retrouve dans une étude observationnelle. On avait parlé du biais du participant en bonne santé, du biais de performance dans lequel si vous m’observez, je vais faire mieux que d’habitude, etc. Eh bien avec le tirage au sort, on va se retrouver avec les mêmes biais dans les deux groupes, en moyenne. Et donc on va pouvoir éliminer ces biais.
Etudes interventionnelles : simple, double, triple aveugle
Dernier point pour l’étude expérimentale, va-t-on faire du simple aveugle, double aveugle ou beaucoup plus rarement, triple aveugle.
Le but ici, c’est d’enlever des bais qui pourraient introduire un effet placebo ou nocebo, des termes dont je vous ai déjà parlé dans d’autres épisodes.
Imaginons la scène suivante. Je dois tester une formulation liquide à base de plantes. Dans le groupe placebo, on a un premier liquide qui est sans goût, sans odeur, sans couleur. De la flotte quoi. Dans le groupe expérimental, on a un liquide qui a un goût très amer et qui sent fort. A votre avis, ça introduit un biais ou pas ? Est-ce que ça va fausser les résultats ? Eh oui, bien sûr. On n’a pas aveuglé l’étude d’un point de vue des participants.
Imaginons un autre scène. La gentille personne en blouse blanche, employée par les organisateurs de l’étude (donc elle ne fait pas partie des deux groupes, elle fait partie de l’équipe admin) distribue des petites fioles à prendre. Elle sait exactement ce qu’il y a dans ces fioles, si c’est un placebo ou la substance active. Et pour certaines fioles, sans le faire exprès, elle fait une certaine gestuelle, comme si elle tenait quelque chose de précieux dans ses mains. Ou peut-être, elle va plus s’intéresser au groupe qui prend la substance active. En fait, elle va donner un signal aux participants, sans le savoir, sur le contenu de la fiole. Ça introduit un biais. On n’a pas aveuglé l’étude d’un point de vue des organisateurs.
Simple aveugle signifie que les participants ne savent pas ce qu’ils prennent, si c’est la substance active ou le placebo.
Double aveugle signifie que ni les participants, ni les organisateurs, ne savent ce qu’ils prennent ou ce qu’ils donnent.
Et triple aveugle veut dire que même les analystes des données, ceux qui vont faire les calculs statistiques, ne savent pas si le premier groupe ou le deuxième groupe a pris la substance active ou le placebo. Ceci est rarement mis en pratique.
Aujourd’hui, ce qui est considéré comme la référence, c’est l’étude randomisée en double aveugle contre placebo.
Difficultés du double aveugle
Globalement, aujourd’hui, on arrive à faire du double aveugle en élaborant un bon placebo. Lorsqu’on prend une substance en interne, il faut que le placebo ait la même apparence, même couleur, odeur, goût. Et surtout, il faut que des deux côtés, expérimentateur et participant, on ne puisse pas voir au travers des effets immédiats de la substance. Il faut que ce soit à s’y méprendre, sinon c’est pas un bon placebo.
Et il existe quelques situations pour lesquelles c’est compliqué de créer un placebo. Prenons l’exemple de la recherche actuelle sur les substances psychédéliques a des fins médicinales, disons la psilocybine extraite des champignons psilocybes. Les équipes ne savent pas quoi utiliser comme placebo. Pour l’instant, ils ont utilisé de la vitamine B3 qui, prise à forte dose, provoque des sensations de chaleur et fourmillement (2). Mais globalement, on est loin de l’effet d’une macro dose de psilocybine. Donc là, le problème, c’est pas de faire une gélule placebo qui ressemble à une gélule de psilocybine, ça c’est facile. C’est d’avoir des effets similaires dans les heures qui suivent. Et là, personne n’est dupe, on s’aperçoit vite de qui a pris la psilocybine bien dosée, on parle de modifications de l’état de conscience assez marquées.
Randomisation en clusters
Parlons de la randomisation en clusters. Nouveau terme pour vous, nouvel anglicisme, un cluster, c’est un groupe de participants. Là, on ne va pas randomiser au niveau du participant, mais au niveau d’un groupe d’appartenances. On peut être amené à faire ceci pour deux raisons.
La première, c’est le fait que l’intervention que l’on veut examiner s’applique au niveau d’un groupe, d’un centre, d’un praticien. Par exemple, on a une étude de 2006 qui évalue l’impact d’une formation donnée aux médecins généralistes pour améliorer la prise en charge du psoriasis (3). L’intervention s’applique donc au niveau du médecin, et on va randomiser au niveau du cabinet avec 165 cabinets pour 531 médecins. Bien que l’évaluation de l’intervention se faisait au niveau du patient. Donc là, d’un point de vue statistique, vous vous en doutez, il y a des petites choses à faire pour jongler entre individu et cluster.
La 2e raison, c’est le risque de contamination ou d’effet troupeaux entre le groupe contrôle et le groupe intervention. Imaginez que vous vouliez étudier l’impact de la consommation de tisanes de romarin sur les résultats de QCM de math dans un lycée. Il vous faut un groupe contrôle dans lequel rien ne change, et un groupe intervention dans lequel vous allez demander au lycéen de boire une tisane de romarin tous les jours à la cantine. Oui, je sais, idée farfelue, mais supposons. Vous randomisez 100 élèves dans la même école, 50 dans le groupe contrôle, 50 dans le groupe romarin. Cette étude est supposée durer 2 mois.
Mais au bout de quelques jours, les élèves du groupe contrôle regardent ceux du groupe intervention avec envie, en se disant « eh oh et moi, pourquoi j’y ai pas droit ? ben tiens, je vais me préparer mon propre thermos et je l’amène tous les jours avec moi ». Contamination. Ou alors, largement plus probable, les élèves du groupe contrôle regardent le groupe intervention en disant « regarde-moi ces losers qui boivent leurs tisanes de mémé », et du coup certains élèves du groupe intervention ne vont plus boire la tisane par pression sociale. Contamination. Là, il faudra randomiser au niveau des lycées, et pas au niveau des élèves. Certains lycées distribueront les tisanes de romarin à tous leurs élèves, et d’autres continueront sans changement. Et on est d’accord, tester un pack de M&Ms sera largement plus simple que la tisane.
Étude croisée
Parlons maintenant des études croisées, qu’on appelle aussi études « cross-over ». Dans une étude interventionnelle classique, je vous rappelle qu’on avait un groupe intervention qui prendra la substance active, et un groupe contrôle qui prendra en général un placebo, les deux étant séparés.
Dans un plan d’étude croisée, toutes les personnes prendront les deux, la substance active et le placebo, mais pas en même temps. Le groupe A prendra la substance active, le groupe B prendra le placebo pendant une période. Puis on va inverser, parfois après une période de pause qu’on appelle « washout », pour que les personnes reviennent à un état « normal » avant de passer à la deuxième phase, dans laquelle le groupe A prendra cette fois le placebo et le groupe B prendra la substance active.
L’un des avantages majeurs, c’est de travailler avec un groupe de personnes plus petit, car chaque personne agira à la fois comme témoin de la substance active et comme témoin du placebo. Donc ça va coûter largement moins cher, et donc c’est un design que vous allez voir de temps à autre dans notre monde des études sur les plantes, car les gros budgets, nous on n’en a pas. Il y a un autre avantage, c’est moins de variabilité entre le groupe traitement et le groupe contrôle vu que ce sont les mêmes personnes. Je suis mon propre contrôle !
Bien sûr, il y a des inconvénients aussi, le fait que le traitement ne peut pas trop avoir d’inertie dans le temps sinon je ne peux pas constituer un bon contrôle après avoir pris le traitement. On ne doit pas avoir de conditionnement de l’individu qui aura peut-être appris des choses et changé son hygiène de vie pour la 2e phase, etc. Je ne vais pas m’attarder sur ces points, trop long, mais ils existent. Cela dit, c’est un design que vous verrez régulièrement pour les études sur les plantes.
Relatif ou absolu
Un autre point important au sujet des résultats, c’est de savoir si on parle d’améliorations relatives ou absolues. Et là, on est souvent manipulé sur ce point-là. Allez, un exemple. Imaginons qu’on ait une plante, ou un médicament, qui diminue la mortalité cardiovasculaire dans un échantillon. On va vous dire, et là j’invente, cette molécule diminue de 33% la mortalité. Waouh.
Regardons les chiffres. Dans le groupe placebo, on a eu 3 morts d’accident cardiovasculaire. Dans le groupe expérimental, on a eu 2 morts. OK, donc effectivement, réduction de 33%. Oui mais la taille de l’échantillon, c’était quoi ? Eh ben, c’était 1200 individus. OK, donc on est passé de 3/1200 à 2/1200, avec un gain de 1/1200, c’est-à-dire de 0,08%. C’est largement moins excitant ça. Eh oui, mais ça, c’est le pourcentage d’amélioration absolue. C’est bien de connaître les deux. Vous sentez le soufflet qui redescend un peu, là.
Signification clinique
Encore une discussion qui en vaut le détour : est-ce que cette étude est significative d’un point de vue clinique, c’est-à-dire d’un point de vue pratique d’accompagnement d’individus dans le besoin. Cette étude, si elle a été publiée, elle sera significative statistiquement.
Je vais inventer un exemple. Imaginons qu’on étudie l’effet d’une plante sur la tension artérielle chez la personne hypertendue. On donne au groupe intervention un extrait sec très concentré, la prise se fait pendant 3 mois, puis on mesure les résultats. On voit qu’en moyenne, au départ, les individus du groupe intervention avaient une tension systolique moyenne de 14,7 et là, on est passé à 14,5, un résultat considéré comme statistiquement significatif dans cette étude qui avait employé un gros échantillon de personnes. OK, mais d’un point de vue clinique, passer 3 mois avec un produit concentré qui sera cher à fabriquer, et cher pour l’utilisateur, et gagner 0,2 de systolique, c’est pas super excitant. On a de meilleurs outils.
En revanche, on avancera simplement ce point « statistiquement significatif » comme si ça voulait dire « cliniquement significatif ». Mais en fait non. Parfois, on peut observer des résultats qui sont très significatifs d’un point de vue clinique, pour s’apercevoir qu’on n’est pas arrivé à montrer que c’est statistiquement significatif, parce qu’on n’avait pas recruté assez de personnes. Et ça, c’est très frustrant. Ceci dit, ce qui est très commun, c’est plutôt l’inverse, c’est statistiquement significatif, mais c’est pas très excitant cliniquement.
Et je vais faire mon petit mea culpa au passage, c’est quelque chose que je n’ai pas assez fait dans le passé, j’ai été un peu trop rapide à brandir le terme « résultats significatifs » sans préciser cette évaluation de l’utilité clinique. Je m’engage à m’améliorer sur ce point-là.
Bon, vous avez maintenant un résumé de ce que sont les études interventionnelles, à un niveau assez élevé, croyez-le ou non. Parce que sous le capot, mes amis, il y a tout un monde de complexité dont je ne soupçonnais pas l’existence il y a quelques années. En parlerons-nous un jour ? Je ne sais pas, peut-être.
Ceci dit, on prend l’ascenseur… enfin plutôt les escaliers, c’est meilleur pour la santé… vers le dernier niveau, le 5 s’il vous plait.
Niveau 5 – revues systématiques
Au niveau 5, nous avons les revues systématiques.
C’est un travail de collecte, d’évaluation critique et de synthèse des connaissances existantes sur un sujet donné. On va rechercher toutes les études existantes d’une manière exhaustive, en retenir certaines et pas d’autres basé sur des critères de qualité. Puis on va décrire tout ce que l’on sait, comment on pense que ça fonctionne, les recommandations pour la pratique, les inconnues et des recommandations pour la recherche future.
Donc, lorsque c’est bien fait, cela nous donne l’état de la science actuelle sur tel ou tel sujet. J’aime beaucoup ces papiers. Du moins lorsqu’ils sont bien faits. Le sujet peut-être précis, par exemple, l’utilité du gingembre chez l’enfant souffrant du mal des transports. Ou beaucoup plus large, par exemple, les thérapies complémentaires dans la gestion des états de fatigue.
Exemple, une revue systématique de 2008 sur l’aubépine dans les cas d’insuffisance cardiaque (4). La revue nous dit que dans la plupart des études sélectionnées, l’aubépine a été donnée en complémentarité des traitements conventionnels. On voit que la tolérance à l’exercice est augmentée. Amélioration de la consommation du muscle cardiaque en oxygène, amélioration de la fatigue et du sentiment de souffle court. Tout ceci statistiquement significatif. Je sais ce que vous allez me demander… non, je n’ai pas essayé de déterminer si c’était cliniquement significatif. Là, il faudrait que j’aille voir dans les résultats détaillés de l’étude, pas juste dans l’abstract (c’est-à-dire le résumé d’accès gratuit). Là je voulais juste vous donner un exemple de revue systématique.
En général, au minimum, ces papiers sont très éducatifs pour le lecteur. Comme je vous disais, c’est un état des lieux. Lorsque je tombe sur une revue systématique sur un sujet qui m’intéresse, je trouve que c’est riche en informations.
Niveau 6 – méta-analyse
Allez, on finit par le dernier niveau. Tout en haut de la pyramide, à la pointe, on a la fameuse « méta-analyse ».
C’est du travail statistique. On ne va pas monter une expérimentation, on ne va pas organiser une nouvelle étude interventionnelle ou observationnelle. Ici on va juste combiner les données existantes qui se concentrent sur le même phénomène, sur la même question.
Chaque étude va recevoir un poids, et le poids dépend de la taille de l’échantillon (donc du nombre de participants) et de la précision statistique. Et l’une des manières de présenter ça dans la méta-analyse, c’est ce qu’on appelle en anglais un « Forest Plot ».
C’est une série de points, la taille du point représente la taille de l’échantillon. Et une barre autour du point qui représente l’intervalle de confiance. Voici un lien vers une description de ce que tout ceci signifie.
Une étude avec beaucoup de participants et une grande précision statistique pèsera plus lourd dans la méta-analyse que d’autres.
Donc on combine les différentes études avec différents poids et on va calculer un résultat final, c’est comme si on transformait cette somme d’étude en une seule étude. C’est un outil qui peut être assez puissant pour prendre des décisions de santé publique, car justement, on a une vue d’ensemble de l’efficacité de telle intervention, à tel dosage moyen, pour telle population. C’est pour ça que vous voyez la méta-analyse tout en haut de la pyramide.
Mais on le sait aujourd’hui, si on fait une méta-analyse basée sur des études et des données qui sont de mauvaise qualité, alors le résultat sera à l’image des études utilisées. Là encore les américains ont une expression : « Garbage in, garbage out ». Si à l’entrée, on a des études poubelle, à la sortie, on aura une méta-analyse poubelle. Donc il va falloir que l’équipe fasse un travail vraiment très bon de sélection des études. Mais ce n’est pas forcément tout le temps le cas.
Parfois, on peut avoir une seule étude randomisée et contrôlée, donc au niveau 4, qui se trouve donc en dessous de la méta-analyse dans la pyramide, mais qui est de meilleure qualité et qui nous en dit plus qu’une méta-analyse sur le même sujet, qui est au-dessus car la méta-analyse aura dilué cette excellente étude dans tout un tas d’autres études de moins bonne qualité.
Donc vous l’avez compris, la pyramide nous fournit un guide pour le niveau de preuve, mais cela ne peut pas devenir une vérité absolue, il y a toujours une marge d’interprétation, d’erreurs. Le monde scientifique, dans tous ses meilleurs aspects, a fait de son mieux pour éliminer le plus de biais possibles. Mais il en restera toujours. Et on est jamais à l’abris de l’incompétence humaine. Et pour les confits d’intérêts, souvenez-vous, j’ai volontairement mis de côté pour garder une discussion la plus épurée possible.
Etudes interventionnelles : résumé
Allez, je vous fais un petit résumé avant de vous laisser.
Au départ, on a une hypothèse qu’on aimerait tester. Cette hypothèse est souvent née d’observations. Une étude de cas, c’est une observation. Au fil du temps, on peut avoir des cas qui s’accumulent et on peut faire une série d’études de cas.
Mais à un moment donné, on va vouloir passer à un échantillon plus grand pour avoir quelque chose de statistiquement représentatif. Ici on a les études de cohortes, rétrospectives ou prospectives, longitudinales ou transversales. On est toujours dans l’observationnel. On tire des corrélations de grands nombres. C’est bien les corrélations, c’est intéressant, ça nous donne des pistes. Mais n’oublions pas les facteurs confondants qui viennent semer la pagaille. On en avait parlé dans la partie 1. On ne peut pas prouver la causalité.
A un moment donné, on voudra faire une étude interventionnelle, en général randomisée en double aveugle, qui pourra, on l’espère, démontrer un lien de causalité d’une manière significative d’un point de vue statistique, mais aussi, idéalement, d’un point de vue pratique et clinique.
Lorsqu’on a un certain nombre d’études qui s’accumulent au fil des années, des décennies, il serait bon d’avoir une revue systématique ou une ou plusieurs méta-analyses pour avoir une équipe qui vient nous faire un résumé de tout ce qu’on a, d’un point de vue qualitatif ou quantitatif et statistique.
Chaque niveau de la pyramide a son rôle à jouer. Il n’y a pas de bon niveau ou de mauvais niveau. Juste une bonne manière d’utiliser les conclusions, ou une mauvaise. Le piège principal, c’est d’induire une causalité lorsqu’il n’y en avait pas.
Je vais m’arrêter là. Je sais, ça fait beaucoup d’informations. Si le sujet vous intéresse, allez-y par phases. N’oubliez pas que l’apprentissage est un processus itératif. Il faut souvent en mettre plusieurs couches pour que le vernis prenne. Et dites-vous aussi que c’est un très vaste sujet et là, on a juste commencé à grattouiller la surface !
Sur ce, je vous dis à très bientôt pour un prochain épisode dans lequel on reviendra aux plantes, ne vous inquiétez pas.
Etudes interventionnelles : références
(1) Seltzer CC, Bosse R, Garvey AJ. Mail survey response by smoking status. Am J Epidemiol. 1974 Dec;100(6):453-7. doi: 10.1093/oxfordjournals.aje.a112057. PMID: 4447109.
(2) Hovmand OR, Poulsen ED, Arnfred S, Storebø OJ. Risk of bias in randomized clinical trials on psychedelic medicine: A systematic review. J Psychopharmacol. 2023 Jul;37(7):649-659. doi: 10.1177/02698811231180276. Epub 2023 Jul 4. PMID: 37403379; PMCID: PMC10350724.
(3) Griffiths CE, Taylor H, Collins SI, Hobson JE, Collier PA, Chalmers RJ, Stewart EJ, Dey P. The impact of psoriasis guidelines on appropriateness of referral from primary to secondary care: a randomized controlled trial. Br J Dermatol. 2006 Aug;155(2):393-400. doi: 10.1111/j.1365-2133.2006.07354.x. PMID: 16882180.
(4) Pittler MH, Guo R, Ernst E. Hawthorn extract for treating chronic heart failure. Cochrane Database Syst Rev. 2008 Jan 23;(1):CD005312. doi: 10.1002/14651858.CD005312.pub2. PMID: 18254076.
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5 réponses
Lorsque la sociologue que je suis, rejoint l’herbaliste de première année, cela donne un curieux mélange qui me fait plutôt rigoler ! Je viens de conseiller à des étudiants niveau master de sciences humaines de regarder les deux vidéos de Christophe sur les études (observationnelles et interventionnelles) s’ils voulaient mieux comprendre la recherche quantitative !
Bon, je m’occupe maintenant de bien leur expliquer la recherche qualitative…. c’est à dire la compréhension, par la recherche scientifique (si si !) du sens des pratiques, des représentations, des opinions…
Merci pour ces jolies vidéos qui m’ont ravies !
Bonjour et Gratitudes Christophe pour ce deux dernières publications Hô combien représentatives de ton engagement de ton honnêteté pour nous faire prendre conscience de nos lectures pour notre autonomie de santé.
Je ne suis pas très (chiffres) et le monde « scientifique et des statistiques » certainement utile, m’est très (trop) complexe. Ce monde des statistiques ; je l’ai autrefois expérimenté pour m’apercevoir que la nature laisse faire mais revient à son organisation ancestrale, elle rejette ce qu’elle n’a pas construit…
Je ne suis peut-être pas dans le fil du sujet mais je voulais partager ces quelques mots (maux)
Les êtres humains sont tellement différents qu’il est pour moi difficile de faire des comparaisons même en voulant éviter les biais non intentionnels.
Les recherches sont réalisées sur des animaux et/ou des plantes, ensuite le plus complexe est d’appliquer ces résultats à l’être humain, c’est si j’ai bien saisi c’est ce que tu recherches à valider avec brio et honnêteté dans l’analyse de tes 2 dernières présentations. Je les ai écoutées et lu au moins trois fois car l’écrit est important…
Les statistiques permettent de faire le tri.
Pour se faire une opinion sur telle ou telle plante, tel ou tel conseil venant d’un thérapeute ou de pratiques anciennes réputées transparente ; on s’en remet à une croyance et bien souvent les effets divergent d’une personne à l’autre. Rien n’est linéaire avec le vivant.
Faut-il chercher une solution, attendre tout de la recherche avant de comprendre notre psyché, attendre une solution sans remettre en cause nos causes profondes ? Travail sur soi ?
Faire appel à notre ressentit accompagné de la médecine, des plantes pour nous faire cheminer sans attendre mais construire une solution ! La différence des résultats souvent constatée avec les mêmes soins n’est-elle pas là l’expression de nos différences face à la vie ? La peur d’essayer de s’engager n’est-elle pas le premier échec, premier danger ?
Il y a un sujet intéressant et aussi complexe, qui est l’expression du ressenti ! Le ressenti est un état qui nous est propre. Cet état fait appel (écoute) à tous nos SENS pour s’harmoniser, s’osmoser faisant appel à notre conscience. Notre première autonomie de soin n’est-elle pas de se recentrer sur notre mode de vie pour rétablir ou conserver un équilibre physique et surtout psychique…
La maladie a-telle un sens ? Est-elle là pour nous faire mourir ou pour nous soigner ? Nous envoie-t-elle une alarme pour nous signaler que quelque chose ne va pas bien dans notre corps (Physique et émotionnel)
Comment expliquer que la nature a prévu tout ce qu’il faut pour exister et perdurer, nous nourrir et nous soigner ?
Ce proverbe tibétain représente magnifiquement bien l’importance et la pertinence d’écoute et de prise en compte de notre ressentit : « Si tu écoutes ton corps lorsqu’il chuchote, tu n’auras pas à l’entendre crier ».
Et s’il fallait laisser le corps se réparer en l’aidant (homéostasie), être en relai sur les causes ?
La maladie fait-t-elle partie intégrante d’une bonne santé ? Est-elle la gardienne de nos dérives ?
Est-il important de chercher la douleur qui est derrière la douleur ?
La maladie est-elle une émotion que l’on a refusé de vivre (somatisation) ? Serait-ce le SENS que de rechercher quelle est l’émotion responsable de cette maladie ? Cela permettrait-il de soigner la (les) maladie (s) ?
Plus j’avance dans ce monde intéressant du végétal et du vivant, moins j’affirme plus je me remets en CAUSE, plus je pense que les problèmes comportent la solution… Voilà ma petite contribution en quelques modestes lignes d’échange.
Bien à toute l’équipe d’Althéa Provence
pascal
Cher Monsieur. Tout d’abord, je vous félicite pour votre travail rigoureux, constant, très utile à l’intérêt général, et gratuit pour l’essentiel. Pour cette série sur les études, je vous remercie et vous félicite à nouveau car c’est une base incontournable de toute tentative de raisonnement, et chacun devrait connaître cette réalité par cœur avant d’ouvrir sa bouche sur quoi que ce soit… Votre travail est très bien fait et accessible. Bravo pour cette initiative indispensable. Bien cordialement. Philippe Lasbats.
Merci, ces deux articles presents de notions importantes de comprendre
Je ne cesserai jamais de m’émerveiller devant votre générosité et la justesse, la transparence de vos articles! merci infiniment! Ils influencent ma pratique au quotidien!