Comprendre Les Études : observationnelles (partie 1) : (abonnez-vous au podcast ici)
Dans notre monde des plantes médicinales, on a trois sources d'informations pour continuer d'apprendre et de progresser. La tradition, pour laquelle j'ai énormément de respect. Notre propre pratique, notre travail avec les individus qu'on accompagne, pour celles et ceux qui sont praticiennes ou praticiens. Et puis la science. Dans ma vision des choses, les trois se croisent et s'entrecroisent, se combinent et s'enrichissent, les trois sont importants.
Aujourd'hui, j'aimerais vous parler des études scientifiques et vous fournir une petite carte du territoire. Je consulte régulièrement les bases de données d'études, sur les plantes spécifiquement, mais aussi sur la nutrition, l'hygiène de vie ou la santé d'une manière générale. Tout m'intéresse. Savoir rechercher et lire ces études, c'est une compétence importante. Mais c'est pas un travail facile.
Ce que j'aimerais faire aujourd'hui, c'est partager avec vous ce que j'ai compris des différents types d'études. Je vais faire de mon mieux pour vulgariser et simplifier. Simplifier oui, mais surtout pas tomber dans le simpliste.
Et notez qu'il est possible que vous en sachiez plus que moi sur le sujet si c'est votre domaine. D'ailleurs, j'en profite pour vous dire que si j'avance des informations qui ne sont pas correctes, vous me le dites, et je ferai une correction dans l'article associé à cette vidéo sur mon site.
Je vais diviser la discussion en 2 épisodes. Dans ce premier épisode, je vais vous présenter la pyramide qui montre les différents types d'études classées par niveau de preuve. Je vais vous expliquer comment la lire. Ensuite, toujours dans cet épisode, je vais passer pas mal de temps sur les études observationnelles, leurs limitations et les biais qui sont bien connus aujourd'hui. Et dans l'épisode 2, je me concentrerai surtout sur les études interventionnelles.
Warning : vidéo longue ! Mais toutes les informations sont ici, dans l'article associé. Donc pas besoin de prendre des notes. Restez juste avec moi, à écouter pendant une première passe. On va faire un petit peu chauffer les neurones, mais j'espère que vous allez me suivre dans cette exploration, et le faire avec curiosité et intérêt, parce que je peux vous dire que j'ai pu trouver, au fil des années, de vraies pépites qui m'ont aidé à mieux accompagner les personnes avec qui je travaille.
Avant de démarrer, je vous rappelle deux points importants. Tout d'abord, je ne suis ni médecin, ni pharmacien, ni professionnel de la santé. Je suis là pour partager des informations avec vous, mais ceci ne remplace pas un suivi médical, et n'a pas vocation d'être diagnostic ou prescription. Et puis dans le cas de la discussion aujourd'hui, je ne suis ni chercheur ni scientifique de métier.
Et second point, vous nous demandez régulièrement comment vous pouvez nous soutenir et nous remercier pour tout ce contenu gratuit qu'AltheaProvence publie depuis 2010 et qui représente des milliers d'heures de travail pour moi et toute l'équipe. Voici un lien avec des explications, et avec toute notre gratitude : https://www.altheaprovence.com/nous-soutenir/
Et les magouilles ?
Bon... petite pause... Il y a un point qu'il faut qu'on enlève du milieu, sinon il va grandement nous complexifier la tâche.
On peut utiliser les études scientifiques pour bâtir le savoir, comprendre, expliquer le monde qui nous entoure. Ça, c'est la science "noble" je dirais. Et on peut aussi les utiliser pour manipuler l'opinion, ou booster les ventes de certaines activités commerciales.
Peut-il y avoir manipulations et magouilles dans le monde de la publication scientifiques ? La réponse est oui, on le sait, on l'a vu, même dans les revues les plus prestigieuses. Comme partout, d'ailleurs. Dans notre petit monde des plantes médicinales et des pratiques du bien-être, on peut aussi trouver des tricheurs, des fraudeurs, des gens qui font du mal à toute la filière. Donc ça existe partout.
Et puis comme disent les Américains, "follow the money". Suivez l'argent. À quel endroit a-t-on le plus de chance de faire fortune ? Bien sûr que c'est une question importante. Bien sûr qu'il faut toujours l'avoir à l'esprit les conflits d'intérêt.
Mais je ne peux pas vous faire l'exposé d'aujourd'hui avec ceci dans l'équation. Il faut que je l'enlève. Je vais vous expliquer ma compréhension des études sans présupposition de manipulations, sinon je ne peux m'accrocher à rien. Mais on en reparlera peut-être dans un autre épisode pour aller plus loin.
Différents types d'études
Ceci dit, je vous propose que l'on parle des différents types d'études que vous allez rencontrer dans les journaux spécialisés et dans certaines bases de données comme PubMed, probablement la base de données Américaine d'études la plus connue.
Pour illustrer mes propos, j'ai pris comme point de départ la pyramide de l'université de Purdue aux États-Unis. C'est une pyramide qui présente les différents types d'études en fonction du niveau de preuve. Preuve dans le sens "capacité à prouver une hypothèse de départ". Donc ce qui est tout en bas, à la base de la pyramide, ce sont les études qui ont un niveau de preuves faibles. On ne pourra pas en tirer grand-chose d'un point de vue décisionnel, mais comme on le verra, elles sont utiles. Et tout en haut, on a les études qui ont un niveau de preuve élevé. Toutes sont importantes, toutes les couches de la pyramide, et on va voir pourquoi.
Est-ce que la pyramide est parfaite ? Non, et on verra pourquoi, en particulier pour les couches hautes. Mais ça nous aide à visualiser et comprendre. Ça a été ma base de compréhension, je l'ai traduite moi-même et je l'ai aussi simplifiée pour mes propres besoins, et c'est la version simplifiée que je vais vous livrer. J'espère que vous la trouverez utile.
Observationnel contre interventionnel
A ce stade, il faut que je définisse 2 termes très importants : observationnel et interventionnel.
Une étude observationnelle, comme son nom l'indique, observe une situation sans intervenir. On regarde les données existantes, on peut faire de nombreux calculs statistiques sur ces données. Ou alors, on monte un plan d'étude pour mesurer de nouvelles données, dans le futur, sur un groupe de personnes choisi. On ne force pas ces personnes à modifier leurs habitudes, leur hygiène de vie, si ce n'est de faire certaines mesures ou capturer certaines informations. Ici, on démontre des liens de corrélation, pas de causalité. On reviendra sur ce point-là qui est tellement important, et tellement mal compris aujourd'hui.
Donc, par exemple, on pourrait sélectionner un échantillon de la population qui boit des tisanes de menthe poivrée plusieurs fois par semaine, un autre groupe qui n'en boit pas, et voir si on arrive à en tirer des tendances. Mais les personnes en boivent déjà, ou n'en boivent pas. On ne va pas leur de mander de changer quoi que ce soit. On observe juste ce qu'il se passe dans ces échantillons.
Une étude interventionnelle, comme son nom l'indique, intervient dans la vie de l'individu et lui demande de changer un paramètre. On emploie aussi le terme "étude expérimentale" dans le sens où il y a une expérience à réaliser et pas juste une observation. On va demander aux participants de prendre une substance en interne, ou leur faire suivre un autre type de traitement ou manipulation.
Dans le monde des plantes, il y aura, en principe, prise de la plante sous une forme ou une autre. Donc on vient s'insérer dans la vie des personnes. Si l'étude interventionnelle est bien faite, en général contrôlée randomisée en double aveugle (on expliquera ces termes), elle sera capable de démontrer d'une manière statistique, avec un certain intervalle de confiance, qu'une hypothèse de départ est vraie, par exemple "telle substance naturelle améliore la perception de la douleur dans les cas d'arthrose de la hanche". Et donc, quelque part, démontrer une causalité avec des outils statistiques. Tout ça, on en parlera dans l'épisode 2.
Dans la pyramide, vous verrez que les couches basses sont observationnelles, ensuite au-dessus, on a de l'interventionnel. Et encore au-dessus, on a de l'analytique et de l'évaluatif, c'est-à-dire qu'on va faire une analyse de toutes les études qu'on a trouvées, et que l'on a rassemblées, avec certains critères de qualité, et on va voir ce qu'on peut en déduire. On va faire une sorte de distillation de toutes ces données disponibles et voir quel type d'essence on peut en tirer.
Allez, on passe à la pyramide.
Niveau 0 - opinion d'expert
Niveau 0 : c'est une opinion, d'expert en général, c'est un éditorial, c'est une lettre à un journal scientifique avec un point à faire passer. Vous savez ce qu'on dit sur les opinions, tout le monde en a une, ou même plusieurs. Donc on a un niveau de preuve très bas, mais ça peut être une base pour faire une étude plus tard et pour monter dans la pyramide. En science, tout commence par une hypothèse de départ que l'on voudra tester par la suite. Comment génère-t-on des hypothèses ? En observant, en partageant, en exprimant une idée.
Exemple d'une hypothèse : l'existence d'un lien entre la consommation de feuilles de roquette sauvage dans l'alimentation et la prévention de l'ulcère de l'estomac à Helicobacter pylori. Notez que j'invente un exemple ici. Donc là, on aurait une hypothèse très spécifique qu'on aimerait tester au travers d'études futures.
D'où vient cette idée ? Elle n'est pas sortie de nulle part. Elle peut venir d'un expert en constituants des plantes qui s'est dit que basé sur la teneur en glucosinolates des roquettes sauvages, et vu les données existantes sur ces constituantes, il pourrait y avoir un tel effet. Donc là, on a une hypothèse que l'on aimerait bien tester et valider.
Est-ce que l'on peut prouver quoi que ce soit à ce niveau de la pyramide ? Non, absolument rien, c'est juste une opinion, une hypothèse, on n'a encore rien démontré, ni corrélation, ni causalité.
Niveau 1 - Étude de cas
Niveau 1 : à un niveau au-dessus, on a l'étude de cas. C'est une observation faite sur un individu, donc l'échantillon le plus petit possible.
C'est souvent dans un contexte clinique. Un médecin a reçu une personne en consultation de gastro-entérologie, cette personne avait une récurrence d'ulcère à Helicobacter dans le passé, la situation était résistante aux antibiotiques classiques. Et là, le patient s'est débarrassé de la bactérie sans prise d'antibiotiques. Le médecin pose des questions et s'aperçoit que la seule chose qui a changé, c'est le fait que ce patient consomme maintenant des feuilles de roquettes sauvages d'une manière régulière dans sa salade. Je répète, mais j'invente cet exemple de toutes pièces.
Dans le monde idéal, l'observateur irait soumettre une étude de cas dans une base de donnée spécialisée. Elle pourra être utilisée par d'autres spécialistes qui ont peut-être fait une observation similaire. D'autres spécialistes pourront se dire "ah ben tient, c'est pas la première fois que ça arrive apparemment". Au fil du temps, il y aura peut-être d'autres études de cas très similaires qui seront soumises à la base de donnée.
Je vous donne un exemple réel. Étude de cas publiée en 2005 (1) sur une personne de 76 ans souffrant d'une inflammation des muqueuses digestives provoquée par la prise de methotrexate, un médicament, dans le contexte d'une polyarthrite rhumatoïde. La situation a été soulagée grâce à des bains de bouche à la camomille matricaire. L'équipe médicale de l'hôpital ayant fait l'observation, en Crête, a décidé de soumettre une étude de cas. Le but de l'étude de cas, c'est de dire "on a observé ceci, peut-être que d'autres bénéficieront de cette information".
Niveau 2 - Série de cas
Au niveau 2, on a quelqu'un, un expert, un chercheur, qui va combiner plusieurs études de cas similaires et va nous faire un petit résumé. C'est pratique. On commence à voir le nombre d'observations qui augmente. On appelle ça une "série de cas".
Un exemple : une publication de 2022 (2), qui rassemble 3 cas dans lesquels la médecine traditionnelle chinoise a soulagé un cas d'urticaire chronique accompagné d'allergies alimentaires. C'est super intéressant. Mais est-ce qu'on peut prouver causalité ici d'un point de vue scientifique ? Non. Et corrélation statistique ? Non, on a juste 3 cas, échantillon trop petit.
Car peut-être, allez savoir (et là j'invente encore une fois), les 3 familles se connaissaient, et ont partagé des astuces sur la situation de leurs enfants, et ont vu que les mettre à un cours de yoga pour enfant faisait une grande différence. Du coup, c'est quoi qui a vraiment aidé ici, la médecine chinoise ou le yoga pour enfant ? On ne sait pas.
Niveau 3 - études de cohortes
Au niveau 3, on est dans le dernier niveau de la couche observationnelle, on va commencer à rentrer dans les études de cohortes. Une cohorte, c'est un groupe de personnes. Et là, tellement de choses à dire. On commence à voir des échantillons de grande taille. On ne parle plus de 2 ou 3 cas comme précédemment. Ici, c'est des centaines, des milliers de personnes, parfois plus. Mais on est toujours dans l'observationnel, on n'intervient pas dans la vie de ces personnes.
On a des études de cohortes qui ont été effectuées sur de très grands groupes. Par exemple, une étude de 2017 (3) effectuée sur plus de 270 000 personnes avec 30 années de données, qui mesurait l'association entre l'index de masse corporelle (IMC) et la mortalité de l'échantillon. Donc là, sur des échantillons énormes, on peut faire tourner des outils statistiques assez sophistiqués. Et on a vu que quand l'IMC est trop bas, donc personne en sous-poids, ou trop haut, donc personne en sur-poids, il y a une corrélation statistique avec la mortalité de l'échantillon.
Tiens d'ailleurs, j'en profite pour vous donner la différence entre morbidité et mortalité, deux termes que vous allez voir dans les études et qui créent souvent la confusion. La morbidité n'a rien à voir avec la mort, c'est l'incidence et la prévalence de maladies dans l'échantillon. Et la mortalité, c'est la fréquence des décès. Et donc, une question que l'on pose souvent, c'est quelle est la morbidité et la mortalité dans l'échantillon, les deux sont importants à connaître.
Ce qui m'amène à incidence et prévalence. Désolé, mais je déroule la définition des termes au fil de la discussion. L'incidence, c'est le nombre de cas apparus pendant une année dans l'échantillon. La prévalence, c'est la proportion de personnes touchées par une condition à un moment donné. Là encore deux termes que vous allez voir dans les études. Incidence et prévalence.
3a - études de cohortes rétrospectives
Retour à nos études de cohorte. Ces études peuvent être rétrospectives ou prospectives.
Une étude de cohorte rétrospective regarde vers le passé. Elle va analyser une masse d'information qui existe déjà, qui a déjà été obtenue, mesurée, stockée.
Par exemple, dans une étude taïwanaise de 2022 (4), on a examiné plus de 4 000 patients prenant un médicament anticoagulant. On a regardé les personnes qui prenaient certaines plantes ou formulations de médecine chinoise, et les personnes qui n'en prenaient pas. Et on a noté une association inverse entre prise de plantes et risques de saignements majeurs. Association inverse, ça veut dire que la prise de plante est associée à une diminution des accidents hémorragiques. Les données existaient déjà dans les bases de données médicales, là les chercheurs n'ont fait que sélectionner les données qui les intéressent pour faire tourner leurs outils statistiques.
3b - études de cohortes prospectives
Une étude de cohorte prospective regarde vers le futur. Les données n'ont pas encore été mesurées, mais on va le faire dans le cadre de l'étude.
Exemple d'étude de 2012 réalisée en Allemagne. L'étude s'est étalée sur 5 ans, on a recruté des médecins qui se sont déclarés comme pratiquant la médecine anthroposophique, 22 médecins au total. Les chercheurs ont épluchés plus de 2600 prescriptions, et ont constaté la chose suivante : les médecins ont prescrit du millepertuis dans 45% des cas, et de l'amitriptyline (un antidépresseur médicamenteux) dans 16% des cas. On n'a pas de données d'efficacité, ici le but était juste de comprendre les types de prescription. Il y a des sponsors et des conflits d'intérêts potentiels dans cette étude, je ne vais pas rentrer dans les détails car je voulais juste vous donner un exemple.
Là encore, on n'est pas dans l'interventionnel. On est dans l'observationnel. Que l'on fasse du rétrospectif, en regardant vers le passé, ou du prospectif, en regardant vers le futur, si on est dans une étude observationnelle, on ne demande pas aux personnes de l'échantillon de changer leurs habitudes. On capture juste des informations.
Longitudinal et transversal
Je vous donne encore 2 termes pour rajouter à votre soupe : longitudinal et transversal.
Une étude transversale regarde une situation à un instant T dans une population. Au 26 janvier 2024, quelle est la prévalence des troubles respiratoires chez les fumeurs. On mesure la prévalence d'un phénomène. C'est un Polaroid figé à une certaine date.
Une étude longitudinale va suivre la fréquence de ce phénomène de santé au cours du temps. On va suivre la dynamique de ce phénomène. Comment évoluent ces troubles respiratoires au fil des années. On parle d'incidence ici. Quelle est l'incidence des nouveaux cas de troubles respiratoires chez les fumeurs dans la période 2019 à 2024, par exemple.
Corrélation ou causalité ?
Maintenant, on arrive à la discussion intéressante. Peut-on prouver un lien de causalité dans ces études de cohorte ? Eh non, c'est très important de le comprendre. A ce stade, on est dans le lien de corrélation, pas dans le lien de causalité. Une corrélation, c'est phénomène A et phénomène B sont en relation, si l'un varie, l'autre varie aussi. Une causalité, c'est dire phénomène A provoque phénomène B, il est la cause de B.
Un exemple basé sur de vieilles études américaines : on va passer de quelque chose comme... "dans cette étude, on observe que le nombre d'accidents cardiovasculaires semble positivement associé à la quantité d'acides gras saturés consommés quotidiennement". Donc corrélation. Les gens qui mangent plus de gras saturés ont aussi plus d'accidents cardiovasculaires. Et puis dans les journaux, ça devient "les gras saturés sont la cause de maladies cardiovasculaires !" Eh non. Erreur. Et cette bascule de la corrélation à la causalité, on le voit tout le temps.
On fera une petite entorse à la règle dans quelques minutes avec les critères de Bradford-Hill. Mais pour l'instant, la réponse est non, pas possible.
Facteurs confondants
Le problème principal avec les études observationnelles, ce sont ce qu'on appelle les "facteurs confondants", qu'on appelle aussi "facteurs de confusion". Ce sont d'autres facteurs, que l'on n'a pas forcément mesurés, que l'on ne connait souvent pas, mais qui pourraient bien être la cause du phénomène.
Attendez voir... et si ceux qui mangent plus d'acides gras saturés, aux États-Unis où l'étude a été faite, sont des gens qui passent beaucoup de temps devant la télé, avec une bière et un burger ? Et si on avait plus de fumeurs dans cet échantillon ?
Alors certes, une étude observationnelle bien faite essaie de mesurer tous ces autres facteurs, y compris la situation socio-économique des participants, pour ensuite calculer le poids statistique de ces facteurs. Mais on ne pourra jamais tous les enlever. Et puis on ne connait pas tous, ces facteurs confondants, et on peut en avoir une belle brochette. Donc on ne pourra pas établir de lien de causalité avec ce genre d'étude.
Biais des études observationnelles
On a aussi de nombreux biais dans ces études observationnelles.
Biais du participant en bonne santé
Un biais très connu, que les américains appellent "healthy user bias", le "biais du participant en bonne santé". C'est l'un des plus courants dans le monde de la santé.
Par exemple, imaginons une étude qui nous dit : "la consommation de thé vert semble associée à une prévalence de cancers plus basse". OK, mais il est possible que les personnes qui consomment du thé vert soient beaucoup plus conscientes de leur hygiène de vie, de leur alimentation, de leur activité physique, fasse de la méditation. Il est possible que le thé vert soit un marqueur, en quelque-sorte, d'une bonne hygiène de vie. Du coup, c'est quoi qui diminue l'incidence des cancers ici, le thé vert ou l'activité physique ou la méditation ou tout combiné ? On ne peut pas conclure.
Biais de remémoration
Un autre biais que l'on va rencontrer dans ces études, c'est le biais de remémoration. Et ça, c'est tellement classique dans les études nutritionnelles. C'est pour ça que dès que vous voyez les gros titres des journaux "tel aliment provoque tel problème de santé"... regardez l'étude qui est derrière. Comment a-t-elle été réalisée, comment a-t-on capturé les informations ?
Dans de nombreuses études observationnelles, on demande aux participants de se rappeler ce qu'ils ont mangé, ce qu'ils ont fait, à quelle fréquence, à quelle intensité. Parfois, on les voit une fois par mois pour collecter l'info. Parfois, c'est encore plus espacé ! Et devinez quoi ? La mémoire est très faillible !
On demande souvent aux personnes de se souvenir de combien de fois ils ont mangé des flocons d'avoine ou des amandes ou des produits laitiers sur une période assez longue. Vous vous imaginez ? Je me rappelle à peine ce que j'ai mangé il y a 2 jours, donc le mois dernier... Parfois, on demande la fréquence de consommation des aliments sur une année ! Et de là, on va tirer des conclusions.
Il y a de bien meilleures manières de procéder, de collecter des données, ça coûte plus cher bien sûr, donc toute une discussion sur le sujet dans laquelle nous ne rentrerons pas.
Biais de performance
Allez, un autre biais, c'est ce qu'on appelle le biais de performance. C'est le fait que je suis observé, et que ceci va modifier mes habitudes de vie et mes performances. Si je suis tout seul à faire du vélo en salle, j'ai une certaine performance. Mais si vous m'observez, là c'est pas pareil. Je vais peut-être mouliner un peu plus fort.
Si vous me demandez de tenir un journal des repas, le fait que je vais devoir tout noter et que vous allez regarder mon journal... ça va peut-être me faire réfléchir au sujet des 2 barres au chocolat que je voulais m'enfiler avec mon café. Donc le journal même, comme si j'avais une personne qui m'observe, va me faire changer mon comportement.
On le voit aussi avec des appareils comme les moniteurs de glucose, ou avec tout appareil de mesure. Il y a une sorte de comportement très joueur du participant, qui veut, en quelque sorte, améliorer le score, améliorer la performance, et va donc agir d'une manière qui est déformée par rapport à sa réalité habituelle.
Donc là, avec le biais de performance, on a quelque chose de bien réel, de connu, et qu'on a un peu de mal à maitriser.
Je vais m'arrêter là avec la liste des biais, mais sachez qu'il y en a d'autres et que ma liste est non-exhaustive. Une étude observationnelle de qualité devrait toujours préciser les risques de facteurs confondants et de biais. Et si ce n'est pas fait dans l'étude, c'est bien dommage, le travail n'est pas complet.
Éliminer les biais
Une manière d'éliminer ces biais serait au travers d'une étude interventionnelle avec groupe contrôle. Et dans les 2 groupes, on va gérer les participants exactement de la même manière. On va les observer de la même manière. Un groupe prend du ginseng, un groupe n'en prend pas, on les fait pédaler sur le vélo d'entrainement de la même manière. Oui, il y aura un biais de performance, mais vu que c'est le même dans les deux groupes, on peut l'éliminer des résultats. Encore faut-il traiter les 2 groupes exactement de la même manière.
Donc vous l'avez compris, la seule manière d'éliminer ce problème sera de faire une étude interventionnelle. Cela nous permettra de prouver la présence ou l'absence d'un lien probable de causalité.
Ceci dit, l'étude observationnelle a toute sa place. Elle n'est pas mauvaise en soi. Elle offre juste un niveau de preuves limité. Mais elle aide les chercheurs à partir défricher certaines zones, à voir ce qu'il ressort d'études sur de grands échantillons, de générer de nouvelles hypothèses ou même parfois, lorsqu'une étude interventionnelle ne serait pas éthique à mener, de se contenter d'observationnel.
Étude cas-témoin
Par exemple, imaginez qu'on suspecte le fait qu'une molécule de l'environnement provoque un type de cancer. Si on voulait prouver un lien de causalité, faudrait faire une étude interventionnelle (on en parlera dans l'épisode 2), dans laquelle on fait prendre cette molécule à un groupe de personnes. Mais ce n'est pas éthique, on est d'accord. Ou si on voulait démontrer qu'une molécule provoque des malformations fœtales.
Donc il va falloir faire avec des études observationnelles sur de grands groupes dans lesquels on analyse les paramètres des personnes qui n'ont pas le cancer et ceux qui en ont. On appelle ça des études "cas-témoins".
Si on voyait une grande différence entre les 2 groupes, imaginons que les personnes exposées à la fameuse substance développent 100 fois plus de cancers que le groupe témoin. Et si on a aussi tout un nuage de suspicions au sujet de cette molécule, au travers d'autres études, car on a prouvé qu'elle endommageait les tissus humains in vitro, qu'elle provoquait des cancers chez l'animal. Alors, on pourrait mouiller la chemise et dire que cette substance provoque probablement ce type de cancer chez l'humain et il faut l'éviter. Probablement.
Oui, mais vous allez me dire attend, y a corrélation ici, pas causalité. Oui, je sais. Mais on n'ira pas faire de recherches interventionnelles car ce n'est pas éthique. Donc on a cette étude cas-témoin avec un grand échantillon qui semble de bonne qualité, on a toutes ces autres informations, on les met ensemble et on se dit, ce n'est pas parfait, mais tout de même, il est légitime de suspecter une causalité.
Par contre, ça serait bien d'être clair dans le raisonnement, qu'on ait l'info.
Existe-t-il une liste de critère qui aiderait à déterminer si on pourrait suspecter une causalité à partir d'une corrélation ? Oui, nous avons un fameux épidémiologiste qui s'appelle Bradfort-Hill et qui a établi cette liste : stabilité, cohérence, spécificité, etc.
Allez, on va donc prendre les escaliers et aller un étage au-dessus dans notre pyramide et on va aller rendre une petite visite aux études interventionnelles ou expérimentales. Mais ça, on va le faire dans la partie 2 de cette discussion car là, je pense que vous avez besoin d'une petite pause.
A très bientôt, donc, pour la partie 2 !
Etudes observationnelles : Références
(1) Mazokopakis EE, Vrentzos GE, Papadakis JA, Babalis DE, Ganotakis ES. Wild chamomile (Matricaria recutita L.) mouthwashes in methotrexate-induced oral mucositis. Phytomedicine. 2005 Jan;12(1-2):25-7. doi: 10.1016/j.phymed.2003.11.003. PMID: 15693704.
(2) Fan X, McKnight T, Neshiwat J, Park S, Chung D, Li XM. Successful management of chronic urticaria and food allergies in a pediatric population using integrative traditional Chinese medicine therapy: a case series. Clin Mol Allergy. 2022 Nov 25;20(1):12. doi: 10.1186/s12948-022-00175-y. PMID: 36434719; PMCID: PMC9700962.
(3) Klatsky AL, Zhang J, Udaltsova N, Li Y, Tran HN. Body Mass Index and Mortality in a Very Large Cohort: Is It Really Healthier to Be Overweight? Perm J. 2017;21:16-142. doi: 10.7812/TPP/16-142. PMID: 28678695; PMCID: PMC5499607.
(4) Hsu SM, Lin HJ, Kao YW, Li TM, Shia BC, Huang ST. Concurrent use of Chinese herbal medicine and anticoagulants may reduce major bleeding events. PLoS One. 2022 Aug 23;17(8):e0271965. doi: 10.1371/journal.pone.0271965. PMID: 35998204; PMCID: PMC9398017.
(5) Jeschke E, Ostermann T, Vollmar HC, Tabali M, Matthes H. Depression, Comorbidities, and Prescriptions of Antidepressants in a German Network of GPs and Specialists with Subspecialisation in Anthroposophic Medicine: A Longitudinal Observational Study. Evid Based Complement Alternat Med. 2012;2012:508623. doi: 10.1155/2012/508623. Epub 2012 Dec 6. PMID: 23304204; PMCID: PMC3529476.
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Fabienne C dit
très intéressant, très pédagogique. je me sens + intelligente ! 😉 merci Christophe !
sabine dit
bonjour Fabienne
je ressens la même chose 🙂
José Luis dit
Bonjour Christophe. Je suis chercheur et professeur de statistique et tu as très bien expliqué les concepts et de manière simple pour que le grand publique les comprendre. Félicitations et Bravo! comme toujours j'ai bien profité du podcast.
Mélusine dit
Merci pour ce cours bien mené 🙂
HERVE GOURIOU dit
bonsoir Christophe, vous avez un sens de la pédagogie indéniable !... Vous dites les choses de façon très compréhensible, à la portée de pratiquement tout le monde et le fil conducteur chemine d'un bout à l'autre de votre exposé sans cassure, sans interrogation de vos auditeurs sur le sens de vos propos... Bravo et merci !... Je vais partager en attendant la 2e partie...
Penny Boyle dit
Christophe, thank you. There is so much conflicting published research out there it helps to have the tools to sort the wheat from the chaff. Looking forward to the next article. Cheers.
Aumont Éric dit
Merci Christophe, j'ai beaucoup aimé ! J'espère ne pas louper le second article.