Brèves des herbes 2 : feuilles de chardon-marie, petite renouée et sumac : (abonnez-vous au podcast ici)
Bienvenue dans ce brèves des herbes N°2. J'avais introduit le concept dans le premier volet, et je vous avais dit, si ça vous plait, ça deviendra probablement une série régulière. Eh bien voilà, la série se poursuit, vous avez laissé de nombreux commentaires positifs, donc je suis content de voir que la partie un peu plus recherches sur les plantes vous intéresse.
Le concept Brèves des herbes est simple : on va passer en revue un petit nombre d'études, aujourd'hui j'en ai sélectionné 3, des études qui m'ont interpellé car elles m'ont donné de nouveaux outils, ou de nouvelles idées pour ma pratique.
Et je vais toujours essayer d'insister sur l'aspect pratique. C'est super important pour moi. Si on reste juste au niveau du laboratoire, ou de l'éprouvette, ce n'est pas suffisant. Ça n'a pas d'application pratique. C'est un peu du blabla.
Comme toujours, les références sont en fin d'article.
Brèves des herbes N°2 : chardon-marie, silymarine dans les feuilles
La première étude qui a attiré mon attention, c'est une étude sur le chardon-marie (1). Cette étude m'a été envoyée par un lecteur du site, que je remercie, donc un petit bonjour à Gabriel au passage, qui nous a laissé cette information. Et vous allez voir que c'est une information vraiment super intéressante et que je ne connaissais pas.
Le chardon-marie, vous le connaissez déjà peut-être, c'est un grand reconstituant du foie. Je vous ai fait un épisode complet à son sujet donc je ne vais pas revenir sur ses propriétés. En revanche, je vous rappelle que ses propriétés sont attribuées à un ensemble de constituants, des lignanes pour être exact, que l'on appelle silymarine. Ce sont eux qui semblent protéger le foie et l'aider à se reconstruire lorsqu'il a été agressé.
Lorsque vous voyez le terme "silymarine", vous aurez peut-être l'impression que c'est un seul constituant, mais en fait, ce sont plusieurs constituants regroupés sous ce terme. Et ce sont des substances actives qui ont été bien étudiées pour leur action protectrice et régénératrice sur les cellules du foie.
Ce sont les graines que l'on utilise d'habitude. Du coup, pour ramasser les graines qui sont emprisonnées dans cette carcasse piquante, c'est très compliqué. On va immanquablement s'empaler plusieurs fois, pas très agréable. Car voyez-vous, c'est dans la pellicule externe des graines, cette peau de couleur grise ou noire, que l'on trouve la silymarine. Du moins, c'est ce qu'on pensait. Cette étude nous donne une nouvelle perspective. L'étude ne date pas d'hier vu qu'elle est de 2012, mais je n'étais jamais tombé dessus.
Dans cette étude, les chercheurs ont comparé la teneur en silymarine des graines à la teneur des feuilles. Et voici ce qu'ils ont découvert. Ils ont analysé les feuilles à 3 stades de croissance : avant l'apparition des fleurs, à la floraison, et à la fructification, c'est-à-dire lorsque les graines sont disponibles. Les plantes en question ont été cultivées en Égypte.
Le stade qui fournit le plus de silymarine dans les feuilles, c'est avant l'apparition des fleurs. Ce qui parait logique, à la floraison il y a un appel des constituants vers les fleurs, et ensuite lorsque les graines se développent, il y a une forte proportion de silymarine qui va se retrouver dans les graines. Donc déjà, si on utilise les feuilles, on va les récupérer avant la floraison.
Ensuite, en ce qui concerne la concentration, lorsqu'on ramasse les feuilles avant la floraison, elles contiennent 1/5 de la silymarine des graines par unité de poids, ce qui est plutôt excellent quand on y pense. Car on peut ramasser beaucoup plus de feuilles par plantes.
Les chercheurs ont effectué un petit calcul par superficie de plantation. Pour une surface de plantation de 4000 m2, ils ont obtenu quasiment 14 kg de silymarine dans les graines, et 23 kg de silymarine dans les feuilles, vu qu'il y a beaucoup plus de feuilles en poids que des graines.
Que faire de cette information ? Eh bien je peux vous dire que personnellement, je vais commencer à utiliser les feuilles. Il faut savoir que la silymarine est peu soluble dans l'eau, donc l'infusion va probablement extraire peu de silymarine. Il vaudra mieux en faire une teinture, c'est-à-dire une macération alcoolique. Ou alors manger les feuilles en aliment après avoir découpé toutes les parties piquantes, faut faire attention, au moment où les feuilles sont jeunes et tendre. Je ne les ferais pas cuire car on sait que la silymarine est abimée par la chaleur.
Donc voilà, c'est le genre d'étude que je trouve super excitant. Alors oui, ce qui nous excite, nous passionnés d'herboristerie, c'est assez atypique. Si vous faites une soirée entre amis par exemple, vaudra mieux parler géopolitique plutôt que des feuilles de chardon-marie, histoire de vous éviter un grand moment de solitude. Et oui, c'est du vécu !
Brèves des herbes N°2 : petite renouée et troubles cognitifs
Ma deuxième étude (2), elle parle d'une plante qui s'appelle la petite renouée (Persicaria minor), petite plante vivace de la famille des polygonacées. C'est une plante que l'on trouve dans plusieurs régions de France. Il n'y en a pas chez moi dans le sud-est.
C'est une cousine d'une plante médicinale qu'on connait un peu mieux, qu'on appelle la persicaire (Persicaria hydropiper), une vivace qui pousse dans les zones humides, parfois semi-immergée dans les ruisseaux, les fossés inondés, etc. Je vous dirais plus tard pourquoi je vous parle de la persicaire. Pour l'instant, on revient à la petite renouée.
Dans cette étude malaisienne faite en 2020, randomisée et contrôlée, on a donné des capsules d'extrait sec de petite renouée (ou un placebo) à un groupe d'adultes entre 60 et 75 ans. L'extrait sec a été fabriqué par extraction aqueuse, donc on peut supposer qu'une simple infusion apporte des effets similaires. La prise s'est faite pendant 6 mois.
Dans le groupe prenant la petite renouée, on note une amélioration de la mémoire visuelle, de l'humeur avec une diminution de la tension et de la colère, et une augmentation d'un facteur qu'on appelle BDNF et qui encourage la croissance et la différenciation de nouveaux neurones et des synapses dans le cerveau.
Donc dans l'ensemble, une amélioration des capacités cognitives, peut-être une augmentation de la plasticité neuronale, qui pourrait être utile chez la personne âgée qui justement est en perte de ces fonctions.
Alors, point négatif de l'étude, le voici. Elle a été financée par le laboratoire qui fabrique le fameux extrait sec. Ah ! Problème. Et c'est le laboratoire qui a fait la conception de l'étude elle-même. Donc il y a conflit d'intérêt. Alors pourquoi j'ai retenu cette étude dans ma liste ? Eh bien d'abord pour vous montrer que les conflits d'intérêts existent partout, y compris dans le monde des plantes, au cas où vous ayez des doutes.
Mais aussi parce que si le laboratoire a décidé de fabriquer ce produit, en principe, ce n'est pas pour rien, ils ont fait des recherches préalables. Donc en fait, ceci m'a mis sur une piste. Je pense qu'il y a quelque chose à aller gratter dans cette histoire.
Je pense qu'il y a quelque chose d'intéressant dans ce genre persicaria. Il est fort possible que ces plantes soient très actives dans l'environnement cérébral. A ce stade, je me suis demandé si la persicaire (Persicaria hydropiper), une plante assez classique que l'on trouve dans certaines herboristeries françaises et qu'on appelle le poivre d'eau, n'aurait pas ces mêmes propriétés.
Les propriétés de la persicaire sont les suivantes : elle est antioxydante et antiinflammatoire, et on sait que le vieillissement cérébral est fortement influencé par l'inflammation et le stress oxydatif. On a aussi une étude (3) qui montre que certains constituants de la persicaire, comme le β-sitosterol, pourrait améliorer les troubles de la mémoire pour certaines maladies comme la maladie d'Alzheimer. Là encore, super intéressant.
Au final, au travers de cette étude biaisée, j'ai donc glané des informations intéressantes. J'ai découvert une propriété au sujet d'une plante, la petite renouée, que je ne connaissais pas. L'étude n'est pas fiable car il y a conflit d'intérêt. Ensuite je me suis penché sur sa cousine beaucoup plus connue en herboristerie, la persicaire, et j'ai vu qu'il y avait probablement des propriétés très similaires.
Et à une époque où l'on recherche des substances qui peuvent aider à accompagner le vieillissement cérébral prématuré, je vais probablement expérimenter avec la persicaire, dont Valnet nous parlait déjà il y a 40 ou 50 ans pour les problèmes de retour veineux ou les problèmes de calculs rénaux. Donc vous voyez, ça me permet de générer de nouvelles idées, d'adapter des plantes connues des anciens à des problématiques nouvelles. Et ça, ça me plait beaucoup. Ceci dit, ça reste spéculatif à ce stade, on est d'accord, il faudra de l'expérience pour valider ceci.
Brèves des herbes N°2 : poudre de sumac et stéatose hépatique non alcoolique
Ma 3ᵉ étude est au sujet du sumac et son utilité pour les problèmes de stéatose hépatique non alcoolique. C'est une problématique que l'on voit de plus en plus lorsqu'il y a des problèmes métaboliques, on parle ici du métabolisme du glucose, avec hyperinsulinémie et résistance à l'insuline. Tout ceci est le plus souvent lié aux problèmes de surpoids, au diabète de type 2, et parfois au profil génétique.
La stéatose hépatique est une situation sérieuse. On l'appelle aussi maladie du foie gras, car on voit une accumulation de gras à l'intérieur du foie qui peut progresser vers une fibrose, donc littéralement la transformation des tissus fonctionnels du foie en cicatrices, puis vers une cirrhose, parfois un cancer du foie. Donc le but est évidemment d'agir sur le plus leviers possibles. Et dans notre monde, on va beaucoup parler d'alimentation, de micronutrition, d'activité physique et de certaines plantes qui peuvent aider.
Quelle plante ? Bonne question. Aujourd'hui on parle de sumac avec une étude iranienne de 2020. Le sumac, je pense que vous le connaissez. Vous en avez probablement déjà vu. C'est un arbuste, parfois un arbre. Ce sont les fruits acidulés qui sont utilisés comme épice, on les utilise dans la cuisine de certains pays. Vous en trouverez dans les boutiques d'épices d'une manière assez facile. Vous verrez aussi l'arbre ici et là dans différentes régions de France.
Dans cette étude, on a pris 84 patients souffrant de stéatose hépatique non alcoolique. L'étude était randomisée en double aveugle avec placebo. Les patients ont reçu soit 2 g de poudre des fruits de sumac par jour, soit un placebo, le tout pendant 12 semaines. On a aussi donné des conseils alimentaires aux personnes, avec un déficit de 500 calories par rapport à leurs besoins estimés, et des recommandations avec 55 à 65% des calories provenant de glucides.
Alors là, comment dire... dans mes vues, autant de calories provenant de glucides, c'est juste pas une bonne idée dans le contexte d'un syndrome métabolique. Mais c'est le contexte de l'étude. On a aussi donné des conseils d'exercice physique modéré. Et notez que ce ne sont que des suggestions que les chercheurs ont données aux participants, qui ont suivi ou pas ces recommandations, et qui ont pu dire un peu ce qu'ils voulaient au chercheur. Mais bon, les études dans lesquelles on peut vraiment contrôler l'alimentation coûtent très cher, donc c'est plutôt rare d'en voir.
Au bout de 12 semaines, comparé au groupe placebo, on peut voir que les patients prenant le sumac ont une diminution de la fibrose hépatique, diminution des enzymes hépatiques, du niveau d'insuline sanguin, de l'hémoglobine glyquée, de la CRP ultra sensible (donc diminution de l'inflammation). Le groupe placebo a aussi constaté des améliorations, vu qu'ils étaient en mode de déficit calorique et qu'ils ont fait de l'exercice. Mais les améliorations du groupe sumac sont largement plus intéressantes et sont significatives d'un point de vue statistique.
Pour vous donner un exemple, on va prendre le score de fibrose, qui est super important ici. Dans le groupe placebo, on a une diminution de 7,7% et dans le groupe sumac on a une diminution de 22 % du score de fibrose, donc vous voyez, des différentes significatives.
Ce qui me plait beaucoup avec le sumac, c'est que, comme je vous ai dit, on peut trouver facilement la poudre des fruits dans les magasins d'épices. Et un peu comme pour la cannelle de Ceylan qui est bénéfique dans le contexte du syndrome métabolique et qu'on peut utiliser à bon escient pour épicer les plats, eh bien là on peut avoir un 2ᵉ outil, qui est peut-être largement plus intéressant que la cannelle de Ceylan, et qui peut aussi être intégré à la nourriture.
Pour information, le sumac utilisé dans l'étude est Rhus coriaria, le sumac des corroyeurs, que l'on trouve dans le midi de la France.
Eh bien voilà, c'est terminé pour ce brèves des herbes N°2, j'espère que ça vous a plu, en attendant je vais retourner dans mon épluchage d'études pour vous préparer le numéro 3. À très bientôt !
Brèves des herbes N°2 : références
(1) Omar, A. & Hadad, Ghada & Badr, Jihan. (2012). First detailed quantification of silymarin components in the leaves of Silybum marianum cultivated in egypt during different growth stages. Acta Chromatographica. 24. 463-474. 10.1556/AChrom.24.2012.3.9.
(2) Lau H, Shahar S, Mohamad M, et al. The effects of six months Persicaria minor extract supplement among older adults with mild cognitive impairment: a double-blinded, randomized, and placebo-controlled trial. BMC Complement Med Ther. 2020;20(1):315. Published 2020 Oct 19. doi:10.1186/s12906-020-03092-2
(4) Kazemi S, Shidfar F, Ehsani S, Adibi P, Janani L, Eslami O. The effects of sumac (Rhus coriaria L.) powder supplementation in patients with non-alcoholic fatty liver disease: A randomized controlled trial. Complement Ther Clin Pract. 2020 Nov;41:101259. doi: 10.1016/j.ctcp.2020.101259. Epub 2020 Nov 10. PMID: 33190008.